Un article corporatiste ? Non, citoyen justement !
Ce n’est pas parce que j’enseigne aussi que j’ai choisi de centrer mon propos sur l’école ; mais bien parce que l’école représente un enjeu essentiel dans toute démocratie. C’est le moyen d’instruire un peuple, donc de former des esprits éclairés, et capables de faire preuve d’esprit critique. Pascal Paoli, un homme des Lumières, en avait bien conscience en créant l’université de Corte. A l’heure où on parle de « développement durable », il serait bon de se rappeler que ce dernier ne recouvre pas seulement la protection de l’environnement. Il inclut également la question éducative, parce que c’est en formant les hommes qu’on peut inscrire le progrès dans la durée.
Or, l’école est en crise, comme en témoigne de nombreux ouvrages publiés par des professeurs depuis quelques années. Je pense notamment à La Fabrique du crétin, par Jean-Paul Brighelli, ou encore à Ces profs qu’on assassine, par Véronique Bouzou. Le système reste profondément inégalitaire ; les conditions d’enseignement se dégradent ; et l’institution, par souci de « ne pas faire de vagues », a davantage tendance à lâcher ses agents qu’à les soutenirs. Peut-être, me direz-vous, tout cela est-il vrai en banlieue parisienne (vous évoquez le 93) mais pas en Corse ?
En fait, je me méfie des clichés, que ce soit dans un sens ou dans l’autre. Sampiero, qui est intervenu plus haut, rappelle à juste titre combien les poncifs sur notre île sont nombreux.
Ils le sont également, malheureusement, concernant le continent. J’ai eu l’occasion d’enseigner dans le 94, par le passé. Et j’ai pu constater que lorsqu’une agression avait lieu dans un établissement scolaire de 600 élèves, cela ne signifiait pas pour autant qu’il y avait 600 élèves avec un couteau entre les dents ; qu’on pouvait même y rencontrer des classes agréables ; que l’un des effets positifs de la « mauvaise réputation » des habitants du Val-de-Marne, c’était de bénéficier de ZEP où les effectifs étaient limités à 24 élèves par section... Bref, tout est relatif !
Et inversement, il existe dans des régions réputées « calmes » des collèges et des lycées qui connaissent eux aussi leur lot d’incidents (avec le couvert d’une administration qui fait tout pour éviter que ça se sache). Je crains que la Corse ne fasse pas exception. Certes, le tissu social a sans doute permis de retarder l’arrivée de certaines difficultés.
Cependant, il faut savoir que la population y est aujourd’hui urbanisée (plus de 70 % des insulaires vivent en agglomération, on est loin du cliché du « village ») ; que les villes présentent leurs inégalités sociales (la difficulté à se loger et la précarité ne sont pas absentes) ; que l’échec scolaire et les incivilités se développent ; et que beaucoup d’enseignants ici commencent à éprouver le même ras-le-bol qu’ailleurs (même s’il règne encore un tabou autour de ce phénomène)...
Pour toutes ces raisons, il ne m’a pas semblé illégitime (et encore moins « corporatiste ») de m’étendre sur l’école en interpellant Nicolas Sarkozy. Parce que c’est un enjeu clef dans une République, et pour l’avenir de la Corse.