Ce qu’en pense Nadia ,
À ceux qui par leur silence complice ou leur
soutien au voile dans les services publics utilisent leur bonne
conscience et leur « tolérance » comme cache-sexe de leurs erreurs et de
leurs
abdications passées.
Ils connaissent et reconnaissent si peu nos combats de femmes issues
des migrations, de celles qui depuis leur enfance ont eu à subir ce
qu’ils ne veulent pas savoir, parce qu’il est plus simple de
tricoter de l’idéologie et des concepts à la tribune des conférences
que d’être confronté aux cris et au sang des tribunaux pour enfants, aux
mots qui défilent dans nos gorges en colliers de
sanglots.
Dans le passé, ils disaient et soutenaient le mot
d’ordre : « Mon corps m’appartient ». Certains n’ont pas
vu le temps passer et l’utilisent encore (si, si !) comme
justifications de leurs petites pulsions.
Quand je dis que mon corps m’appartient, c’est que je sais dans mon
corps et dans ma mémoire ce que cela signifie !
De générations en générations, les femmes de nos
familles nous ont transmis leur aliénation
derrière leurs silences et leurs paupières baissées, dans leurs
pudeurs de femmes battues et polygamisées, contrôlées dans leurs
déplacements, faits et gestes disséqués par le regard
patriarcal.
Tous les hommes sont nos pères quand il s’agit
d’oppresser, de dénoncer cette jupe trop courte, ces longs
cheveux au vent, les vibrations de nos corps et les marches rythmées
de nos hanches dans les rues de Paris.
Vous défendez les droits de celles qui se soumettent librement à des
pratiques archaïques et rétrogrades. Vous êtes même soutenus par les
pays musulmans les plus antidémocratiques, ceux qui
instituent la charia et la sunna comme pratique législative.
Et si nos combats contre le voile dérangeaient
ces pays, si nos combats étaient soutenus par les femmes à
qui on impose le voile là-bas ? Vous n’en reviendriez pas, encore une
fois, comme ce fut le cas le 21 avril.
Vous avez, sous prétexte d’antiracisme et d’anti-néocolonialisme,
apporté un soutien aux plus obscurantistes des musulmans, alors que la
majorité non voilée, athée, agnostique, voire croyante,
pensait pouvoir compter sur vous pour une société de progrès.
Vous retournez vos gants pour défendre le contraire de ce que vous
défendiez dans le passé. Votre nouveau mot d’ordre est : "Liberté
Égalité Fraternité pour les voilées !".
Que chacun reste à sa place et les idéologies seront bien gardées !
C’est épuisant, ces féministes qui veulent à tout prix préserver leur
dignité et affirmer la constance de leur libération !
Notre parole serait moins audible que la parole de celles qui se
soumettent aux dogmes religieux et cachent leurs cheveux et leur corps ?
C’est tellement émouvant et rafraîchissant pour vous d’avoir un
nouveau combat à soutenir, et qui plus est celui de « jeunes filles »
voilées !
Notre féminité affirmée et visible est aussi le
résultat de vos combats passés : planning familial, droit
à l’avortement, à la contraception, à la protection judiciaire.
Vos mémoires seraient-elles défectueuses ? Pourquoi ne faites-vous pas
le lien entre vos revendications passées et ce que la majorité d’entre
nous sommes devenues ? Vous nous trahissez encore une
fois sous prétexte que la loi exclut et serait raciste et
colonialiste.
Je suis arabo-berbère et mon père a été torturé par les militaires
français !
Que savez-vous de l’islam ? Que savez-vous de pratiques qui ne
trouvent leurs sources dans aucun texte et qui datent des temps
préislamiques.
Depuis les années 1970, vous disiez vouloir des femmes libres, vous
vouliez changer le monde.
Nous sommes des femmes libres et souhaitons encore, nous, enfants des
deux rives, changer le monde et tout particulièrement celui de nos
soeurs qu’on insulte tous les jours en France si elles
n’intègrent pas les codes de l’oppression.
Et parce qu’il n’y a pas de frontière, nous
combattons le code de la famille en Algérie qui institue
depuis vingt ans un statut de mineures à vie pour les femmes.
Je ne doute pas que vous serez pour ce combat- là. Mais il y a la
Méditerranée pour vous protéger de la confrontation possible et directe
entre les principes et les actes.
Nous voulons tisser l’avenir avec le politique et non avec le culte.
Vos comités de vigilance contre les partis d’extrême-droite et les
intégrismes religieux sont bien silencieux devant les
manipulations dogmatiques.
Vous pensez que les filles voilées sont des boucs émissaires, mais que
savez-vous des fausses victimes qui sont de vrais bourreaux, ou tout au
moins qui contribuent à soutenir les dictateurs qui
appliquent les codes religieux jusque sur nos terres ?
Derrière le voile, il y a le refus de la mixité, le mépris des
femmes.
Vous pensez que l’école laïque offre des chances d’égalité alors que
pendant des dizaines d’années vous n’avez jamais transmis dans vos
classes la beauté, le savoir, la culture arabo-berbère.
Si ces jeunes femmes fréquentaient Saint-Nicolas-du-Chardonnet, vous
seriez déjà des milliers dans la rue à défendre la laïcité, alors que
nous qui pratiquons la liberté absolue de conscience
sommes à vos yeux les intégristes d’une République qui serait raciste
et néo-colonisatrice.
Alors, comme l’ont fait dans le passé les « salopes » qui déclaraient
avoir avorté, j’affirme que, moi et mes amies, nous sommes les
« nouvelles salope » non voilées qui fréquentons tous les lieux
mixtes sans que cela pèse sur nos consciences.
Je me battrai encore et toujours avec la majorité des enfants de
migrants qui refusent d’être désignés par une appartenance cultuelle,
réelle, présumée ou reconstruite au gré de vos lâchetés. Nous,
les « nouvelles salopes », heurtons vos habitudes et vos convictions
parce nous déclarons que nos corps nous appartiennent.
L’avenir sera celui de la réaffirmation de l’égalité des droits pour
une République démocratique, laïque et sociale, et nous en serons les
Mariannes à la peau mate, celles qui sont la cible du FN,
enfants de la guerre de Libération, de toutes les libérations.
Nadia Amiri