Puisqu’une de vos interrogations tournait
autour de la voyellisation finale
(marquage des genres) en russe et hindi : commençons alors par la question
des voyelles en PIE.
(précision : la notation avec
astérisque * exprime le caractère reconstruit des éléments exposés
(phonèmes, racines, mots,etc…) soit entre hypothétique
et probable)
Donc
phonologie PIE probable : voyelles
Le système
voyellaire PIE est supposé ne connaître au départ que deux voyelles
notées : *o soit [ə] et *e [a], en le rapprochant d’un groupe
linguistique présentant cette même caractéristique, le groupe des langues abkhazo-adygiennes, on suppose que d’un
point de vue phonétique/phonologique le système voyellaire PIE s’apparentait à
un jeu d’opposition entre une voyelle fermée et une ouverte.
A noter : la confusion *o&*e forme le /a/ en PIE (transition
par le biais de [ä] ou [ɐ]), une loi linguistique phonétique
formalise aussi cette mutation postérieure avec
Attention cependant, nous parlons du système
voyellaire de base, ce qui n’implique pas l’absence de sons proches de nos
voyelles actuelles : sons obtenus par diphtongue ou allophonie, (exemples :
syllabes : *em,*om,*en,*on,*ew,*ow,*ey,*oy…où
consonnes (ainsi que d’autres) *y et *w
jouent le rôle de voyelles) : bref par association avec des consonnes et
formations de segments syllabaires : d’où un système voyellaire secondaire
où nous retrouverons *i et *u, et à
nouveau un jeu d’opposition : *i,*u/*e,*o ;
*e,*i/*o,*u plus la possibilité de voyelles longues *ē/*ō
Pour plus de détail, je vous renvoie à la
notion d’alternance ou gradation vocalique, (en anglais indo-european ablaut) qui définit le système de gradations des timbres vocaliques
propres au groupe indo-européen et au langage PIE.
passons maintenant aux voyelles dans les
langues qui nous intéressent ou plutôt dans les groupes auxquels elles
appartiennent : ceci afin de voir quelles lois linguistiques s’appliquent
pour ces langues et donc quelles sont les divergences ou convergences possibles
ou probables :
Russe : la langue russe connaît cinq
phonèmes dans le registre voyelles : i, e, a, u, o ; voyelles présentant de nombreux
allophones ; à cela les voyelles (ɨ) centrale fermée et (ə) centrale moyenne peuvent
être considérées comme des voyelles en russe (bien que cela soit sujet à
discussion : mais ceci est un autre débat).
Hindi(-Urdu) : la langue hindi
connaît dix phonèmes dans le registre
voyelles, construit selon un système fondé sur la symétrie entre 3 voyelles
courtes ə, ɪ, ʊ et 7 voyelles longues aː, iː, uː, eː, oː, ɛː, ɔː ; à noter importance de la nasalisation
Notes :
ʊ = voyelle pré-fermée (mi-)postérieure arrondie comme dans foule en français
ɛ = voyelle mi-ouverte antérieure non arrondie comme dans bed en anglais
ɔ = voyelle mi-ouverte postérieure arrondie comme dans sort en français
remontons maintenant aux langues-mères
les plus influentes dans la genèse du hindi
et du russe soit le sanskrit et le vieux-slave, ainsi qu’aux proto-langues dont ils sont issus (bien
entendu à nouveau exposé sommaire pour mettre en évidence les éléments les plus
pertinents)
système
voyellaire vieux-slave : i, y,
u, ь, ъ, e, ę, o, ǫ, ě, a
les séquences
voyellaires /aa/, /aě/ /ai/, /au/, /ao/, /oi/, /ou/, /oo/, /ěi/, /ěo/ sont
attestées en vieux-slave mais n’apparaissent que dans un nombre restreint de
morphèmes ou unités lexicales (lèmes)
système
voyellaire sanskrit (fondé sur cette même symétrie voyelles courtes/longues que le hindi-urdu) :
a/ā ; i/ī ;
u/ū ; diphtongues : e, ai, o, au ; consonnes syllabiques (entendues comme
voyelles) : ṛ, ṝ, ḷ, ḹ
petite pause : chère Arunah,
le but de cet exposé n’est pas, je vous rassure de vous infliger la migraine,
mais à partir de ces rappels sommaires remonter jusqu’aux points de divergences
entre rameaux balto-slave et indo-iranien afin de mettre en évidence ce
qui relève d’un fond commun (racines et étymons, certaines contraintes
morphologiques, etc…) et le fait que le marquage des genres caractéristiques du
russe ou hindi peut autant être considéré par la linguistique, que résulter de
l’évolution de ces langues et des contraintes qui sont apparues lors de cette
évolution. Enfin, le choix des voyelles comme fil conducteur est arbitraire
mais aussi plus pratique pour plusieurs raisons : une approche par les
consonnes serait trop longue et ardue (les systèmes consonnantiques étant
beaucoup plus complexes) et mes commentaires atteindraient alors une densité intolérable pour certains de mes
admirateurs…bahhhhh….
Soit nouveau bond en arrière : continuons avec les caractéristiques
propres aux groupes proto-indo-iranien
et proto-balto-slave
Si j’ai insisté sur l’opposition/alternance voyelles longues/courtes en sanskrit
et ne l’est pas jusqu’à ce stade évoquer quant au vieux-slave : c’est pour arriver à ce point précis :
l’existence de ce système d’opposition/alternance des voyelles longues&courtes
dans les groupes : balto-slave (et donc le proto-balto-slave ainsi que le proto-slave), ainsi que indo-iranien
(et donc dans le proto-indo-aryen et proto-indo-iranien) et donc dans le PIE : ce qui nous renvoie au début
de cet exposé avec le jeu d’opposition entre *o&*e .
Le vieux-slave rend en effet bien
compte de cette alternance : ainsi avons-nous présenté le système
voyellaire du vieux-slave : ь, ъ, i, y, u, e, ę, o, ǫ, ě, a
l’alternance
voyelles longues/courtes apparaît alors ainsi :
/ь/ :
/i/ ; /ъ/ : /y/ : /u/ ; /e/ : /ě/ : /i/ ; /o/ :
/a/ ;/o/ : /e/ ;/ě/ : /a/ ;/ъ/ : /ь/ ;/y/ : /i/ ;/ě/ : /i/ ;/y/ :
/ę/
Nous avons donc
apparition d’un premier fond commun, qui dépasse le simple registre
étymologique : puisque nous sommes là en face de particularités phonologiques
donc structurelles
partagées par des langues (ou groupes linguistiques) qui donc divergent
vers -6900 BP mais qui conservent en vieux-slave
(fixé au IXème siècle), sanskrit (app. entre IIème millénaire av JC et -1500 av JC),
russe (app. XIVème siècle) et hindi
(entre 7ème et 10ème
siècle)