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Commentaire de François-Ferdinand De la Friche en Souche

sur Le djihad islamique


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Merci Ploutopia pour votre commentaire (remerciements non pas par réflexe narcissique mais pour avoir compris mon propos) : je me permet donc de le développer afin que de l’étayer encore plus : car en effet, l’usage des termes hypermédiatiques jihad, oumma, salafiste, wahhabite, etc…est rarement connecté à une réelle connaissance de leurs origines ou sens véritable et ne sont donc principalement issu que de réflexes et non d’une réflexion.

 

Il est donc important de sortir du Religieux ou Culture, puisque en définitif nous en sommes bien éloignés. A l’évidence autant l’islamophobe (par méfiance, par conditionnement, par stratégie) que l’islamiste (par fanatisme, par intérêt, par ignorance) profite de la situation actuelle où l’Instantané est considéré comme suffisant pour entendre le Réel ou support à une réflexion digne de ce nom : alors que c’est bien plus l’irrationnel qui domine en la matière (peur, haine, etc…) ce qui pose un défi majeur pour toute société démocratique puisque démocratie suppose ou postule que le citoyen, l’être humain est doué de raison : face à la puissance de l’Irrationnel et de l’Instantané : autant la Démocratie qu la Pensée vivent de terribles heures : ce qui bien évidemment ne fait que conforter et supporter les tenants du village global et du choc des civilisations 

 

Donc petit rappel avec évocation de la Nahda ou renaissance musulmane : cela fin de supporter à nouveau l’idée d’un monde musulman bien souvent réactif plus qu’actif, et donc plus spectateur qu’acteur : et à nouveau l’impact de pensées ou idéologies qui ne sont pas issues du monde musulman dans son évolution : une évolution dés lors plus contrainte que naturelle et qui inéluctablement hier comme aujourd’hui engendrera des changements autant radicaux que violents dans les sociétés musulmanes. Bref.

 

Aprés une période allant du XVIè au XVIIIè où les grands empires musulmans (ottoman, safavide, moghol) équilibraient les puissances européennes : la seconde moitié du XVIIIè voit le rapport de force basculer brutalement en faveur des Européens : partout de la Méditerranée, Balkans, Mer Noire, à l’Inde : le monde musulman est objectivement attaqué :

 

Expédition française d’Egypte de 1798 à 1801 concrétisant le danger : les Ottomans ne réussissent à repousser les Français que grâce à l’aide des Anglais et des Russes et cela dans le contexte des guerres napoléoniennes qui de fait ou par défaut atténuent la menace provisoirement. Cependant les Russes entreprennent déjà la conquête du Caucase au détriment et des Ottomans ainsi que des Persans ; la guerre d’indépendance grecque (1821-1829) elle marque le début du démantèlement des Balkans musulmans, avec les soulèvements chrétiens appuyés par les puissances européennes et les terribles nettoyages ethniques qui les accompagnent : processus de balkanisation qui s’est tragiquement reproduit récemment : et qui à nouveau a vu les intérêts stratégique US avoir plus d’influence ou d’impact qu’une quelconque motivation islamo-centrée (cf. Kosovo)  

Suite : 1830, la France commence elle la dure et sanglante conquête de l’Algérie, milieu du 19è les Russes amorcent celle de l’Asie Centrale, les Anglais eux sont repoussés d’Afghanistan.

 

La Guerre de Crimée (1854-1856) sauve provisoirement l’empire ottoman mais la crise d’Orient (1876-1878) commence son démantèlement (perte d’une large partie des Balkans ottomans), suivie de l’établissement des Français en Tunisie (1881) et de l’occupation britannique de l’Egypte (1882) : dans le discours, les puissances européennes annoncent la soumission totale de l’Islam à la domination européenne.

 

Dés lors, on peut entendre et comprendre la perception négative qu’ont les peuples musulmans d’un monde occidental comme perpétuellement menaçant (l’Histoire ainsi que l’actualité ne feront que confirmer et renforcer cette perception)

 

Sur la résistance à ces conquêtes : elle fut surtout le fait de rassemblements tribaux encadrés par des confréries religieuses (Abd-el-Kader en Algérie, Chamil dans le Caucase, etc…) les colonisateurs eux usant bien souvent de la terreur pour l’emporter ; quant aux états ils ont surtout mené des combats d’arrière-garde :

 

Effet positif ? ils ont aussi compris la nécessité de réformes pour faire face : constitution d’armées régulières, fiscalité moderne : donc implication de transformations, si ce n’est radicales, très profondes des sociétés concernées.

 

Et donc situation autant paradoxale que logique : pour emprunter ce dont on a besoin, il faut connaître l’Europe, la société occidentale : l’Ennemi ou l’agresseur.

 

Donc dans un premier temps : simple importation de techniques dans l’optique d’une conservation de l’essence ou identité islamique de la société : mais cela apparaît rapidement insuffisant : d’où la naissance d’un discours puis projet modernisateur qui reprend le discours européen de la civilisation et implique la nécessité de rattraper le monde occidental avec un enjeu assez difficile : conserver ou vouloir préserver son identité propre (islamique).

 

Ainsi donc la pensée islamique se doit donc d’être réformée pour faire face à ce défi colossal puisque d’échelle civilisationnelle, culturelle…

 

Premier changement radical : la pensée islamique entre dans le domaine de l’Imprimé : premières imprimeries établies à Constantinople fin 18è et dans ses provinces vers 1820 :

 

C’est d’abord l’Etat qui est producteur de livres : souvent manuels techniques traduits ou adaptés de modèles européens ; classiques religieux ou philosophiques.

Cette confrontation avec l’Occident s’accompagne de la disponibilité nouvelle du patrimoine intellectuel : les textes sont en cours de normalisation : deux dimensions à cette renaissance intellectuelle : mouvement croissant de traductions (substrat occidental) doublé par une redécouverte du patrimoine (substrat islamique)

 

De plus, le passage à l’imprimé induisant un élargissement de l’audience de l’écrit : nécessité d’une réforme de la langue afin que celle-ci soit compréhensible au plus grand nombre : cet ensemble de transformations constituera au XIXè siècle la renaissance littéraire des grandes langues de l’islam : arabe, turque, persan, ourdou.

 

Conséquence : l’usage des journaux connaît un essor au milieu du 19è : les premières publications sont le fait d’un état se voulant moderne et donc sont principalement la diffusion des nouveau règlements ; vient ensuite l’émergence d’une presse d’information et d’opinion.

 

Les principales tendances sont : encyclopédisme (savoirs européens+patrimoine musulman) et mobilisation autour de la question des réformes ; face à la censure, les plus militants optent pour l’exil en Europe et la diffusion clandestine de leurs journaux.

 

La question autant centrale qu’essentielle est le passage à l’Universel : ainsi la définition des savoirs européens permet plus ou moins d’en éliminer les origines : le travail d’absorption du nouveau savoir passe par l’établissement d’équivalences avec le patrimoine islamique afin de le rendre plus acceptable.

 

Deux tendances apparaissent donc : la première soutenue par l’Etat modernisé préfère l’islamisation des réformes par leur reformulation dans un vocabulaire islamique ; la seconde soutenue par le milieu religieux va beaucoup plus loin : ce qui est la différence fondamentale et essentielle avec les courants musulmans contemporaines qui bien qu’usant du même vocabulaire font exactement le contraire de leurs prédécesseurs :

 

Ils parlent et concoivent la nécessité d’une réforme radicale de l’islam : mettre fin à des siècles de sclérose intellectuelle, pour revenir à l’Esprit et non à la Lettre des salafs : voilà le mouvement originel dit salafite : qui s’inspire du modèle de la réforme protestante considérée comme exemple même de la modernité : rien à voir donc avec les dits salafistes contemporains.

 

Premier bilan : les transformations sociales, les courants et influences intellectuels amorcent directement ou indirectement l’émergence du modèle européen de nation : dotée d’un territoire défini ; la simplification des usages de la langue supporte ce modèle

 

Cependant cette innovation d’origine européenne pose un dilemme aux réformateurs autant l’Etat que le Religieux : la question centrale étant : la véritable patrie des musulmans n’est-elle pas la totalité du monde musulman ? un monde de mieux en mieux connu par le progrés des communications.

 

Le panislamisme n’est-il pas le meilleur moyen de repousser l’agression occidentale ? mais dans le même temps, l’Etat moderne et donc modernisé n’est-il pas en train de définir spécifiquement et population et territoire et donc de constituer une réplique des nations européennes ?

 

Donc les deux grandes tendances qui vont conjointement influé sur l’espace arabo-musulman au XXè siècle : le panarabisme centré sur le concept de Nation ; le panislamisme centré sur celui de Oumma : la défaite du premier dans les années 70 ouvrera une véritable avenue pour le second : la globalisation autant que le progrés des ICT ne fera que supporter encore plus ce discours d’autant plus que le support financier est assuré par les pétro-dollars (pouvoir autant économique que religieux directement conséquent aux choix stratégiques occidentaux et d’avoir fait d’une secte considérée comme hérétique par l’orthodoxie sunnite les gardiens des lieux saints musulmans et les bénéficiaires des richesses hydrocarbures de la péninsule arabique : sans ingérence extérieure, la secte wahhabite aurait été une minorité parmi d’autres, évoluant entre désert et marais de Bassorah).

 

Bref…au niveau religieux, la pensée n’est pas spécialement originale, mis à part dans le monde chiite où les réflexions philosophiques se perpétuent et poursuivent une pratique multiséculaire : rationalisme antique et/ou médiéval est pratiqué, autant que le mysticisme se nourrit de la tradition néoplatonicienne : ainsi pour la pensé religieuse : la plus grande part de la production intellectuelle n’est que la continuation et la répétition du savoir connu : et donc résistance aux réformateurs.

 

Ces derniers cependant font un travail gigantesque de réflexion fondé et sur l’assimilation des connaissances nouvelles et leur traduction et la mise en place d’équivalences.

 

Leur problématique principale étant éviter une séparation radicale entre modernité et héritage islamique ; bien plus que les Catholiques de leur temps : ils se revendiquent d’un libre exercice de la raison naturelle même si cette dernière se doit naturellement d’être subordonnée à la Révélation : ce qui est une constante dans la pensée musulmane.

 

Cependant, bémol et innovation : cette dernière se doit d’être ouverte à une nouvelle interprétation ou réforme : position particulière : les réformateurs tout en défendant l’islam acceptent l’innovation qui nous paraîtra certes modérée aujourd’hui mais définitivement révolutionnaire à l’époque ; allant jusqu’à l’affiliation à la franc-maçonnerie pour certains d’entre eux

 

Ainsi leurs lointains successeurs qui se sont auto-proclamés salafistes vont à l’opposé complet de ces premiers salafistes : ils font le contraire : optant pour un islam non seulement appauvri mais aussi utopique ou idéalisé conçu comme un modèle absolu rejetant l’Autre et débouchant inéluctablement sur la violence : et en cela : ils ne sont que le reflet de la frange occidentale qui confond Universel et Global, et par le multiculturalisme de façade qu’ils nous proposent considèrent leur modèle global et total comme un absolu fondé sur la négation de l’Autre dans sa singularité ; les deux optent pour le Contrôle et le Conditionnement, usant de l’Ecran et de l’Infini virtuel pour cela ; les deux préférant le Global à l’Universel, les deux préférant le Particulier au Singulier : les uns rêvant d’une société de clones se reflétant, les autres d’une société de soumis se surveillant.   

   


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