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Commentaire de Philou017

sur Nullité de la presse française


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Philou017 Philou017 14 avril 2010 14:58

Un petit supplément ?

Depuis sa fondation en 1947, le Centre était géré par autant de syndicalistes que de patrons. Au printemps 1998, après le dépôt de bilan, deux solutions s’affrontent : un partenariat avec l’État ou une privatisation, comme le souhaitent une douzaine d’anciens «  motivés par l’aventure  » et emmenés par Pierre Lescure. Ces derniers l’emportent et obtiennent sept millions de francs de Canal+, RMC, La Vie du Rail, TF1, Bayard Presse, France2, France3, Le Nouvel Observateur, Hachette, Havas, etc. Les employeurs contrôlaient déjà largement la formation. Par la taxe d’apprentissage versée (ou non) à l’école ; par le recrutement des élèves, puisqu’ils siègent aux jurys d’entrée. Désormais maîtres du conseil d’administration, ils déterminent aussi la pédagogie. Dans ce collège, des entreprises donatrices, bien sûr : Le Monde, Havas, France3, Le Midi libre (groupe Le Monde), Vivendi Universal Publishing, Capa. Et, parmi les «  fondateurs  » ou les «  amis de la maison  » : Jérôme Seydoux (PDG de Pathé-Chargeurs et actionnaire de Libération), Jean-Michel Bloch Lainé (ex-président de la banque Worms ), Pierre Feydel (directeur de L’Usine nouvelle), Roland Cayrol (directeur de l’institut CSA), Pierre Lescure (alors PDG de Canal+, qui devient président du groupe CFPJ). Quant aux syndicats, ils ont disparu…
Continuellement au bord de la banqueroute, le CFPJ courtise les grands patrons 7. On les invite au Centre. On leur accorde des «  Leçons inaugurales  » sur une estrade. On applaudit bien fort en espérant une obole en retour… En 2000, les anciens adressent «  un grand merci à TF1 et à Robert Namias pour l’excellence de l’accueil qui nous a été réservé 8  ». Quelques mois plus tard, le directeur de l’information à TF1 vient parader au CFJ. Ayant décrit Jean-Pierre Pernaud comme «  un modèle de vrai, de bon journalisme, au contact du terrain  », il quitte la salle scandalisé qu’un étudiant ait osé critiquer «  une chaîne qui rassemble vingt millions de téléspectateurs  ». Résultat : TF1 se retire du conseil d’administration et remballe ses subventions. Mais Vivendi-Universal Publishing vient à la rescousse : «  Quand Messier m’a fait le chèque, raconte la directrice du groupe CFPJ, je l’aurais embrassé. Lui, c’était bon pour son image, et nous pour nos finances.  »

La fusion du journalisme et du capitalisme se répercute non seulement sur les conditions d’enseignement (suppression de la bibliothèque) mais aussi dans la hausse des frais d’inscription – multipliés par 2,3 en cinq ans. Le vocabulaire a suivi : le CFPJ est devenu le Groupe CFPJ. À l’entrée, une affichette ne parle plus de «  l’école  » mais de «  l’accès à l’entreprise  ». Danièle Granet, la directrice, ne jure que par « la maison-mère, qu’entre nous on appelle holding…  » Aux Namias et Messier, elle n’a pas emprunté que le lexique : «  Notre idée, c’est de réconcilier journalisme et esprit d’entreprise  » ; «  La SA, on souhaite qu’elle devienne énorme. On veut en faire quelque chose de lourd, de fort, de numéro un. […] Dans les années 1970, quand on voyait un mec de la pub, on le saluait pas. On changeait de couloir. Y avait les journalistes et les connards. Aujourd’hui, c’est devenu plus complexe.  » «  Plus complexe  », en effet : Granet, qui gouverne « le groupe CFPJ », est l’ancienne directrice de Stratégies, hebdomadaire des annonceurs publicitaires.

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Pierre-Luc Séguillon, ancien responsable du service politique de TF1, aujourd’hui rédacteur en chef de LCI et grand amateur de « ménages » «  à un tarif raisonnable (50 000 francs la prestation), qu’il compense par une intense activité  ». Parmi ses employeurs récents, «  la Direction générale de l’Armement, Europlace, le Conseil général d’Ile-de-France, Michelin  » 9. Bref, un maître qui désire surtout «  partager son savoir-faire éthique  » en prônant un «  respect de la morale du métier  ».

Ces causeries «  déontologiques  » sont surtout l’occasion de rassembler «  du beau monde. […] Citons pêle-mêle : André Azoulay, conseiller auprès du roi du Maroc, Dominique Alduy, directrice générale du Monde, […] François de Closets, Michel Schiffres, directeur de la rédaction du Figaro, Jean-François Bizot, président directeur général de Novapress 10 ». Une façon de tisser «  des liens avec les entreprises, de sensibiliser les dirigeants au sort de l’école et au vôtre ». Pour compléter leur formation morale, les élèves sont envoyés dans les services communication des grands groupes. Ils y rédigeront des communiqués pour Axa, Paribas, le CCF, Lafarge, L’Oréal, Vivendi, etc. Alarmée de l’inculture économique des étudiants, une enseignante se rassure : «  C’est pas grave. Pour vous aider, vous aurez toujours les dossiers de presse des entreprises.  »

L’information marchandise

Si l’école détermine en partie ce que sont et seront les médias, les médias pèsent en retour sur l’école qui s’emploie désormais à «  répondre aux évolutions du marché  » et aux «  nouvelles demandes des entreprises » 11. Pourtant, le président des Anciens du CFJ geint encore : «  L’offre du CFJ correspond-elle à la demande des entreprises de presse ? Ayons l’honnêteté de le dire : pas suffisamment. 12 » Le Centre ne se contente pas d’habituer à produire vite et mal. Il apprend à se vendre aux vendeurs d’information, puis à revendre les consommateurs d’information aux annonceurs publicitaires. Florilège du séminaire « Les médias dans leur environnement » : «  La part de marché des politiques, des médias, des soft-drinks, c’est pareil  » ; «  Le seul critère, c’est le résultat, l’audience ou la vente  » ; «  On est dans l’univers de l’information, donc de la marchandise  » ; «  Dans les médias, on est dans la même logique que le PDG de Procter  » ; «  Le Monde est une marque, et une marque très forte.  » En une semaine, le mot « rentabilité » a été scandé 31 fois, contre trois pour le mot « enquête » (et… zéro pour « téléachat moustachu » !)

Un dirigeant de TF1 a résumé le propos : «  La liberté du journaliste passe par la rentabilité maximale de l’entreprise.  » Dans la catégorie des formateurs de cerveaux essorés, de dangereux concurrents menacent cependant la suprématie du CFJ. Comme, par exemple, le « Mastère Spécialisé Médias » de l’École supérieure de commerce de Paris, qui entend «  former des cadres polyvalents qui seront les dirigeants des entreprises en constante mutation des médias du xxi e siècle 13 ». Ce « danger » pour la part de marché du CFJ à été prévenu grâce à un séminaire « Gestion des médias » du Centre. Un intervenant a conseillé : «  En sortant de cette école, vous pouvez écrire des articles dans la presse mais c’est pas révolutionnaire. Ou alors, vous pouvez devenir manager et gérer un projet. Et là, il reste des segments du marché à investir.  » Marc Roche, ex-directeur de La Tribune (groupe LVMH spécialisé dans les produits de luxe) a alors opéré une judicieuse synthèse, le « produit-presse » : «  Essayez d’imaginer un magazine en fonction du marché publicitaire. Il faut monter un bizness plan. Avoir un concept. Analyser la concurrence. “Je vais taper là parce qu’il y a un créneau”, c’est la base du raisonnement. Ensuite, le rythme de parution : “On peut gagner plus et plus vite avec un hebdo qui marche qu’avec un mensuel“. […] Enfin, on fixe un prix. Et puis après, on met un costume cravate, on va voir les financiers.  »
Pour le Parti de la presse et de l’argent, tout cela a un très beau nom : cela s’appelle « la liberté ».

http://homme-moderne.org/plpl/n12/p5.html



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