Portrait. Une baroudeuse de la confrontation intellectuelle.
Elisabeth Lévy : l’amour du débat
Cécile Thomas le jeudi, 10/06/2010
Animatrice de “Causeur”, l’auteur des “Maîtres censeurs” savoure le combat des idées sans se prendre au sérieux.
Dans le Marais, facile de trouver l’immeuble d’Élisabeth Lévy : « Ça ressemble à la porte d’une entreprise. » On se retrouve dans un joyeux bazar où les livres investissent plusieurs pans de mur. Trois fauteuils fatigués en cuir noir se disputent la place entre un bureau surchargé et une penderie. On se croirait dans un fumoir. Ou chez Causeur.fr, baptisé “salon de réflexion”, d’abord site Internet et désormais également mensuel, dont la journaliste est rédactrice en chef depuis septembre 2007. Essayistes et chroniqueurs de tout bord y livrent leur analyse de la société et de la vie politique. « Il y a une liberté totale. Il est assez rare que je pratique la censure. Il faut que les propos dépassent les bornes de l’acceptable. »
Élisabeth Lévy propose du Perrier, cherche vainement un sac plastique contenant de précieux cahiers. Elle s’amuse : « Comme ça, ça fera de la couleur pour votre papier. » Elle les connaît, les ficelles du métier, depuis le temps qu’elle le pratique. Une baroudeuse en quelque sorte.
Parce que, en plus de Causeur – « où nous sommes tous mal payés pour le moment » –, Élisabeth Lévy travaille pour le Point, intervient sur Direct 8 et sur RTL, dans l’émission On refait le monde, où l’on peut entendre sa voix gouailleuse disséquer l’actualité avec d’autres polémistes. Pour presque rien. Mais plutôt que de se formaliser, elle sourit : « J’aime bien dire que je suis payée 150 euros la passe. » Ne pas se prendre au sérieux et débattre, elle sait faire.
Et défendre des idées, quitte à essuyer le feu des polémiques. Elle avait quitté RTL et l’émission On refait le monde où elle était chroniqueuse, renvoyée par Pascale Clark, et elle est revenue y jouer les langues de vipère – titre de gloire des polémistes – quand Christophe Hondelatte a repris l’émission. Récemment, il y a eu ce duel avec Edwy Plenel, le rédacteur en chef de Mediapart, lors du débat sur l’identité nationale. « Il faut être honnête, la bagarre m’amuse. Les gens qui vous cognent dessus vous font exister. » Et pourtant, cette femme menue, aux yeux bleus encadrés par une chevelure brune, « refuse depuis longtemps qu’on hurle avec les loups ».
Née à Marseille il y a quarante-six ans, elle commence sa carrière à l’AFP, puis au Nouveau Quotidien à Lausanne, de 1994 à 1996. Elle accompagne son complice, le journaliste et essayiste Philippe Cohen, à la création de Marianne, en 1997. Licenciée par Jean-François Kahn pour incompatibilité d’humeur, elle écrit pour le Figaro et le Figaro Magazine et couvre la guerre du Kosovo à Belgrade. En 2000, elle acquiert une petite notoriété grâce à son article « Kosovo, l’insoutenable légèreté de l’information », qui crée des remous dans la profession. Elle revient sur la manière dont les médias français ont couvert le conflit et pris parti. « Je voulais dire que les Serbes n’ont pas commis plus d’horreurs ou de crimes parce qu’ils sont les plus salauds ontologiquement, mais parce qu’ils sont les plus forts. »
Autre article remarqué, « L’antifascisme ne passera pas », au plus fort de la “quinzaine anti-Le Pen” de l’entre-deux-tours de 2002, moque l’aveuglement des “résistants” à un fascisme inexistant. Mais elle s’impose véritablement dans le paysage avec son livre les Maîtres censeurs (Lattès, 2002) dans lequel elle dénonce la nouvelle censure insidieuse de la pensée unique, qui se réfugie derrière la tolérance et la bien-pensance, et un droit-de-l’hommisme devenu « aujourd’hui si abstrait […] qu’il sert moins à lutter contre les tyrannies qu’à légitimer l’ordre du monde tel qu’il est ». Elle décortique ainsi une décennie d’information, privée selon elle de vrais débats d’idées.
Le journalisme d’idées, elle y tient. « Le journalisme est un métier intellectuel. Quand j’attaque, j’attaque sur les idées, pas sur les personnes. Cela dit, je n’ai pas peur des êtres humains. » Mais elle ne renie pas le journalisme de terrain, « la séparation est impossible ». Et dans la façon dont certains le pratiquent, il y a des choses qui l’agacent, dont l’étalage des sentiments du journaliste. « Votre émotion, on s’en fout. La communion universelle des médias m’emmerde. Notre boulot, c’est de donner de l’intelligibilité. » Le clivage droite-gauche, elle n’y croit pas : « J’ai compris un jour que je n’étais pas de gauche, mais je ne me sens pas particulièrement de droite. » De sa voix au timbre particulier, Élisabeth Lévy poursuit : « La gauche a un problème avec la réalité car elle fait d’une opinion une vérité, comme si on ne pouvait pas être autre chose que favorable à l’homoparentalité et qu’hostile à Nicolas Sarkozy. Ce qui la conduit à mettre une chape de plomb sur le réel et à pratiquer l’indignation à jet continu. »
La conversation tourne ensuite autour de la Fondation du 2-Mars, un think tank de tendance républicaine qui a notamment soutenu la candidature de Chevènement à la présidentielle. Ses buts : promouvoir la culture et les valeurs républicaines, avoir un regard critique sur la mondialisation et lutter contre la pensée unique. Un « truc excitant intellectuellement et rigolo », comme Causeur. Comme tout ce qu’elle fait. Avoir de l’humour sur soi, c’est ce qui lui permet de se réconcilier avec ses adversaires et évite de garder des rancœurs. « C’est une perte de temps. Même dans le cas de mon renvoi de France Culture, alors que l’émission critique des médias, le Premier Pouvoir, marchait bien. J’ai passé l’éponge, mais c’est comme ça. »
Rigoler en bande, c’est son credo journalistique. Le duo qu’elle forme avec Philippe Cohen en est un exemple. Et pourtant ils ne partagent pas les mêmes opinions : « Philippe Cohen est plus de gauche, plus anti-Sarkozy. Mais à l’époque des nationaux-républicains, nous avons mené plus d’un combat ensemble. » Une sorte d’ouverture à la sauce journaliste. Les copains, essentiels. Même le barman du bistrot le confirme : « Éli, c’est une grande sœur, une copine. » Sérieuse, mais sans sombrer dans la gravité. Cet excès l’afflige : « J’ai l’impression que l’esprit de sérieux gagne tous les jours. »
Son modèle en matière de pensée, qu’elle cite entre Proust, Nabokov et Balzac, était d’ailleurs « un homme délicieux et hilarant » : elle parle de Philippe Muray, essayiste et pamphlétaire, décédé en 2006 – un 2 mars, comme par ironie du sort. Le romancier et satiriste dénonçait la société moderne qui nie le réel, détruit le passé et infantilise les individus. Avec lui, elle signe Festivus, Festivus, un livre de conversations, variations autour de mêmes thèmes : la fin de l’Histoire, le nihilisme festiviste, la médiocrité de la société postmoderne désormais sans repère.
L’humour lui permet d’esquiver. À la question « Qui auriez-vous aimé être ? », elle cite Quand Harry rencontre Sally et s’esclaffe : « grande, blonde, avec des gros lolos, notre cauchemar à toutes ». Des enfants ? « Chacun son job. J’ai des frères et sœurs qui perpétuent l’espèce. » De sa vie privée, elle ne dira plus rien, elle ne parlera pas de sa foi ou de son absence de foi, même si elle vient d’une famille juive pratiquante. « Bien sûr, je suis dépositaire d’un héritage, d’une culture. Cela oriente certains de mes centres d’intérêt, sans doute aussi mes convictions. J’espère que cela ne pèse pas sur ma réflexion. »
Le reste de son histoire est celle de la méritocratie républicaine : ado “emmerdante” au lycée, vexée de rater le bac à force de sécher, elle s’inscrit en histoire… et fait Sciences Po. « J’ai découvert un monde dont je n’avais pas les codes. » On pense un peu à Éric Zemmour, en bottines-jean serré. Là aussi, sans entrer dans les détails, elle s’échappe d’une pirouette : « Pas tout à fait, comme par exemple sur la question de l’avortement, je suis moins tranchée. » On aimerait en savoir plus, mais l’entretien s’arrête là. Elle se rend rapidement au kiosque et allume une cigarette : le secret de sa voix grave, qui lui permet de refaire le monde et de rire sérieusement. Cécile Thomas
A lire également... Les nouveaux insoumis, par Laurent Dandrieu Finkielkraut, l’inoxydable, par Jean-François Gautier
Dans nos archives : Entretien avec Élisabeth Lévy : « Le Bling Bling » pour tous.
11/07 15:10 - ELCHETORIX
Merci d’être passé , le prof talmunique , sioniste et donc malfaisant ! Hasta la victoria (...)
14/06 15:04 - inès
Armand On prête trop d’intentions belliqueuses à la Turquie comme jouer une carte (...)
14/06 11:17 - Sahtellil
Mention spéciale aux Israéliens de l’intérieur qui oeuvrent véritablement pour une (...)
14/06 09:40 - armand
Inès, Je suis le premier à le déplorer, mais le tourisme de masse est l’une des plus (...)
14/06 09:37 - armand
Sahtelil, AInsi qu’à la trentaine d’intellectuels alevis, brûlés vifs il y a (...)
13/06 17:23 - inès
Armand Tout ce que la Turquie a gagné dans cette affaire c’est que 600 000 touristes (...)
Agoravox utilise les technologies du logiciel libre : SPIP, Apache, Ubuntu, PHP, MySQL, CKEditor.
Site hébergé par la Fondation Agoravox
A propos / Contact / Mentions légales / Cookies et données personnelles / Charte de modération