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Commentaire de Vincent Jappi

sur Affaire Chauprade : le géopoliticien attaque Hervé Morin en justice


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Vincent Jappi Vincent Jappi 6 juillet 2010 06:42

Un « plan » américain « de déstabilisation des Balkans » ? 

T’as qu’à croire... Ce sont les Serbes qui ont détruit la Yougoslavie, à partir de 1987. 

C’est ce qu’explique Florence Hartmann,  ancienne correspondante du « Monde » à Belgrade :

"L’analyse du drame yougoslave, de la fin des années 80 jusqu’à nos jours démontre l’écrasante responsabilité de Slobodan Milošević. Mais les informations aujourd’hui accessibles ont apporté de nouvelles précisions. Elles permettent d’imputer au leader des Serbes la responsabilité non seulement du déclenchement de la guerre, mais aussi celle de l’éclatement de la Fédération yougoslave. Elles révèlent par ailleurs que les Occidentaux savaient dès le début que Milošević était le premier sécessionniste yougoslave, l’homme qui a pris l’initiative de démembrer la Yougoslavie tout en prétendant la défendre.

"...la politique des grandes puissances reste incompréhensible. Pourquoi les Occidentaux légitimèrent-ils l’intervention de l’armée fédérale en appelant au maintien de la Yougoslavie alors qu’ils n’ignoraient ni la collusion entre les généraux et le pouvoir serbe, ni le projet de dépeçage de Slobodan Milošević ?

"... Lorsqu’en 1992, le conflit déborde sur la Bosnie, Européens et Américains connaissaient jusque dans les moindres détails les objectifs de Slobodan Milošević. Ils détiennent le film de la rencontre entre Milošević et Tuđman à Karađorđevo en mars 91 —partition de la Bosnie (1) ainsi que les enregistrements des échanges téléphoniques entre Milošević, Karadžić et la JNA [On se souvient de « l’affaire » de la carte crayonnée sur une nappe de restaurant, montrant le découpage de la Bosnie, lors de la rencontre des deux Chefs d’État] portant sur la planification des opérations militaires en Bosnie (Plan RAM).

"... il convient de rappeler comment Slobodan Milošević devint le premier sécessionniste de la Yougoslavie.

"Son virage remonte à [janvier]1990 lorsque son refus catégorique d’abolir le rôle dirigeant du PC yougoslave précipite l’effondrement du Parti. Slobodan Milošević rêvait de s’emparer du contrôle de l’appareil politique yougoslave.

"Depuis 86 [en fait, septembre 87], il avait surmonté la crise de légitimité des communistes serbes qu’il dirigeait alors en s’alliant aux nationalistes, consolidé son pouvoir en exaltant le nationalisme serbe, supprimé [par des coups de force] l’autonomie de la Voïvodine et du Kosovo, installé ses alliés à la direction du Monténégro et gagné la confiance d’une partie de la direction militaire en défendant le socialisme et le centralisme.

"Il contrôlait ainsi la majorité des voix au sein des instances fédérales (5 sur 9 constituées par les six républiques, les 2 provinces et l’armée) et pouvait se rendre maître d’une Yougoslavie qu’il entendait soumettre à une hégémonie à la fois serbe et communiste.

"Mais son rêve se brisait sur l’écueil du multipartisme et des dissensions croissantes entre les républiques yougoslaves. Sa soif de pouvoir allait dicter sa nouvelle politique : il décidait de laisser s’écrouler le fragile édifice yougoslave pour bâtir sur ses cendres un nouvel Etat, amputé de ses principaux adversaires yougoslaves. Cette « Yougoslavie tronquée », sur laquelle il pourrait renouveler un pouvoir totalitaire, devait rassembler en son sein tous les Serbes de la Fédération.

"Les thuriféraires de la Grande Serbie se rallièrent immédiatement au projet que leur présenta Slobodan Milošević dès février 1990. En mars, il demanda à son entourage de préparer une nouvelle Constitution

"afin que la Serbie puisse se constituer en État indépendant et se protéger contre une guerre inéluctable. La Bosnie-Herzégovine ne pouvant se maintenir en tant qu’État, il est clair qu’il y aura une lutte pour les territoires qui ne peut se faire sans que sang soit versé« .
...

 »La dérive nationaliste de la Serbie assura la victoire des partis nationalistes dans la plupart des républiques lors des dernières élections libres de 90. Les Serbes de Croatie, chauffés par la propagande de Belgrade depuis 89, ne tardèrent pas à se soulever contre le régime nationaliste de Franjo Tuđman. La rébellion armée qui éclata en août 1990 à Knin fut toutefois organisée depuis Belgrade. Les milices serbes du SDS dressèrent des barricades tout autour de la Krajina puis revendiquèrent l’indépendance. Les semaines suivantes, dans la république voisine de Bosnie-Herzégovine, le SDS de Radovan Karadžić constituait à Banja Luka un Conseil national serbe chargé de préparer l’autonomie des communes à majorité serbe en Bosnie.

"En septembre 1990, Belgrade poussa la Slovénie encore hésitante à quitter la Yougoslavie, soulignant que son départ ne posait par de problème territorial. Le 24 janvier 91, Slobodan Milošević et Milan Kučan scellaient un accord à Belgrade, reconnaissait la Slovénie sans recours à la force en échange de la neutralité bienveillante des Slovènes vis-à-vis du projet grand-serbe. Les États Unis furent mis dans la confidence. Le 25 mars [à Karađorđevo], Slobodan Milošević pactisait avec Franjo Tuđman aux dépens de la Bosnie-Herzégovine, qu’ils décidaient de dépecer. Le Président croate reçut l’assurance que l’armée yougoslave n’empêcherait pas l’indépendance de la Croatie.

"Courant 1991, l’ambassadeur des États Unis en Yougoslavie, Warren Zimmermann, fut informé par les deux États du projet de partition de la Bosnie-Herzégovine entre la Serbie et la Croatie. Ils partagèrent également leur secret avec le diplomate européen, Lord David [en fait, Peter] Carrington, début 1992.

"À l’automne 91, alors que la guerre faisait rage en Croatie (en dépit des promesses de Milošević), le chef du gouvernement yougoslave, Ante Marković, présenta aux Occidentaux les preuves de la préparation militaire du dépeçage de la Bosnie-Herzégovine. Des enregistrements téléphoniques révélaient l’existence de contacts entre la JNA, Slobodan Milošević et Radovan Karadžić visant, par l’armement des populations serbes et la planification d’une intervention directe de la JNA, à permettre la prise de pouvoir du SDS sur une grande partie de la Bosnie (plan RAM).

"Les grandes puissances savaient, par conséquent à l’avance, que Slobodan Milošević avait mis en oeuvre son projet grand-serbe, qu’il tenterait de légitimer avec la complicité de Franjo Tuđman qui aspirait à construire une grande Croatie.

"Pourquoi les plans de Slobodan Milošević n’ont-ils pas été déjoués ? Pourquoi les chancelleries ont-elles feint de croire que Milošević voulait préserver la Yougoslavie ? Peut-on émettre l’hypothèse de complicités inavouées semblables à celles récemment dévoilées au Rwanda par le Figaro ?

"Déjà dans son livre « Bosnie : témoin d’un génocide » [Éditions Desclée de Brouwer], Roy Gutman évoquait les connivences de certains responsables américains avec la direction serbe [pour EMPECHER l’intervention américaine].

"À Londres, une enquête parlementaire suscitée par des révélations dans la presse, avait contraint les autorités à dévoiler, fin 1996, les noms des députés travaillistes payés par Belgrade [plus d’un million de francs aurait été « empoché » par le député Greer] pour influencer la politique britannique en faveur des Serbes [Ed Wulliamy & David Leigh, « Sleaze, The corruption of Parliament », Éditions Guardian Books, Londres 1997...].

"En France, le black-out reste total. Les dérives pro-serbes publiquement assumées par François Mitterrand suffiraient-elles à tout expliquer ?

"Non pas dans un pays où les défenseurs de la cause du régime guerrier de Belgrade et de son émanation « paléenne » comptaient autant de personnalités influentes. Ont-ils tous agi à titre gracieux ? Par pure conviction ? Dans quelle mesure ont-ils usé de leur influence pour infléchir la politique française dans les Balkans ? Leur doit-on le fait que Paris ait sérieusement envisagé la partition ethnique de la Bosnie-Herzégovine ? La lumière reste à faire.« 
(Florence Hartmann,  »L’écrasante responsabilité de Milošević" Convergences Bosnie-Herzégovine n° 20 janvier / février 1998
https://docs.google.com/Doc?docid=0AevnAZEI5La7ZGMybThwNjJfMTQ1Zm53OWdmZmM&hl=fr )

L’avocat belgradois Srđa Popović décrit en détail les manigances de la direction politique de Belgrade à partir de 1990,  pour empêcher le fonctionnement normal des institutions et usurper la direction des instances fédérales, notamment de l’armée, commettant à cette occasion divers actes qualifiés crimes par le Code pénal yougoslave :

"L’expérience mentale que nous proposons consiste à formuler les éléments de l’acte d’accusation en vertu duquel Milošević, Jović et Kadijević, s’ils n’avaient pas réussi à détruire la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie, auraient été jugés par un tribunal yougoslave,  conformément à la législation yougoslave alors en vigueur.

"L’acte d’accusation devrait comprendre ce qui suit :

"Slobodan Milošević, en sa qualité de Président de la Présidence du Comité central de la Ligue des communistes de Serbie (jusqu’au 16 juillet 1990), de président du Parti socialiste de Serbie (à partir du 16 juillet 1990), et de Président de la République de Serbie (à partir du 9 décembre 1990),

"Borisav Jović, en sa qualité de Président de la Présidence de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (à partir du 15 mai 1989) et vice-président du Parti socialiste de Serbie (à partir du 16 juillet 1990), et

"Veljko Kadijević, en sa qualité de Secrétaire fédéral de la défense nationale


"Ont, pendant la période du 15 mai 1989 au 8 octobre 1992,

"Formé une conjuration pour, en abusant de leur position politique

"1. en violation de la Constitution et des lois en vigueur, altérer la composition nationale de la JNA, la placer de facto sous leur contrôle, et s’en servir en vue des objectifs suivants :

"2. renverser par la force les gouvernements de Slovénie et de Croatie ;

"3. renverser par la force d’un coup d’Etat militaire les organes les plus élevés de l’Etat fédéral : son Conseil exécutif ([Savezno Izvršno V(ij)eće ou] SIV) et sa Présidence ;

"4. par la force ou par des moyens anticonstitutionnels, altérer les frontières de la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie, en excluant de cette République, par un ordre inconstitutionnel de la Présidence, les Républiques de Slovénie et de Croatie ;

"5. par la force ou par des moyens anticonstitutionnels, altérer les frontières de la République de Croatie, en y incitant à une rébellion armée, et en organisant celle-ci politiquement et militairement ;

"ce qui a causé la mort d’un grand nombre de personnes, mis en danger des vies humaines, et s’est accompagné de grands actes de violence et de destructions massives ;

"et, ce faisant, ils ont tous, individuellement et collectivement,  commis un acte criminel prolongé relevant des articles 136, § 1, et 116, §§ 1 et 2, passible, sous ses formes les plus graves, de l’article 139 du Code pénal de la République Socialiste Fédérative de Yougoslavie (Službeni list SFRJ [Journal officiel de la RSFY] n°  44/76).

...

"Les faits qui indiquent l’exécution de cet acte criminel se fondent presque exclusivement sur le journal personnel de Borisav Jović entre le 15 mai 1989 et le 8 juillet 1992, publié sous le titre "Poslednji dani SFRJ" [Les derniers jours de la RFSY] (Belgrade, Politika 1995), et sur les mémoires de Veljko Kadijević "Moje viđenje raspada - Vojska bez države" [Ma vision de l’éclatement - Une armée sans Etat] (Belgrade : Politika, 1993).

"La crédibilité des faits que ceux-ci rapportent, et qui ont trait à la formation du complot, provient

"(a) de la concordance fondamentale de leurs témoignages ;

"(b) du fait qu’ils témoignent de leurs propres actes, ainsi que

"(c) du fait que l’on ne peut imaginer aucun motif crédible pour qu’ils s’incriminent eux-mêmes faussement.


"En outre, non seulement Milošević n’a jamais nié les allégations de Jović et Kadijević, mais leurs livres ont également été publiés par la maison d’édition Politika sur laquelle Milošević exerçait un contrôle complet.

"Il est vrai que, lors de son procès à La Haye, Milošević, lors de l’audition du témoin Stjepan Mesić, a nié qu’il ait jamais connu le contenu du livre de Jović. Cependant, cette affirmation est contestée  par Miodrag Marović dans son livre P« olitika » i politika [Politika et la politique] (Belgrade : Comité Helsinki pour les Droits de l’Homme,  2002, p. 331) :
 
"«  (Mihajlo) Marković a dit - et les médias ont publié — que Milošević avait eu le manuscrit de Jović entre les mains. »

"Enfin,  les plans et les intentions des conspirateurs, comme ils les décrivent eux-mêmes, se sont matérialisés dans la réalité des événements politiques et militaires qui ont suivi.

"Examinons maintenant les activités au moyen desquelles ils ont accompli certains éléments essentiels de ces actes criminels..."

http://docs.google.com/Doc?id=dc2m8p62_138ds8t8nfs

En outre, comme l’explique Popović, l’adoption de sa Constitution du 28 septembre 1990 par la République de Serbie était en même temps une déclaration d’indépendance, puisque son article 135 déclarait expressément que celle-ci n’obéirait aux instance fédérales que si ça lui chantait.
A ce moment, personne ne pouvait plus « détruire » la Yougoslavie puisque, juridiquement, elle avait cessé d’exister.
http://docs.google.com/Doc?docid=0AevnAZEI5La7ZGMybThwNjJfMTM4ZHM4dDhuZnM&hl=fr

Dès octobre 1990, le National Intelligence Estimate de la CIA sur la région rend compte de cette réalité-là, avec les informations dont elle disposait à l’époque (on en sait beaucoup plus aujourd’hui)
http://docs.google.com/fileview?id=0B-vnAZEI5La7N2Y2ZGRmMjYtNDU3Yi00YmUwLWEwMTgtNjRmYzU3N2IwZjAx&hl=fr&authkey=CLaI8K0D
(fichier récupéré sur le site du Comité Helsinki pour les Droits de l’Homme en Serbie)

Il y dit en particulier : 

"la Yougoslavie cessera de fonctionner en tant qu’état fédéral d’ici à un an, et se dissoudra probablement d’ici à deux. La réforme économique n’empêchera pas l’éclatement. La Serbie bloquera les tentatives des Slovènes et des Croates pour former à la place une confédération sur l’ensemble de la Yougoslavie....
Ni les Etats-Unis ni les alliés européens ne peuvent faire grand-chose pour sauver l’unité yougoslave. Les Yougoslaves percevront de tels efforts comme contradictoires avec le soutien à la démocratie et à l’autodétermination."

Les différents NIE sur la Yougoslavie présentent d’ailleurs un point de vue uniformément fascinant sur l’attitude des Etats-Unis vis-à-vis de la région :
http://www.dni.gov/nic/foia_yugoslavia_intro.html

Les Etats-Unis, qui s’étaient désintéressés de la région et ne voulaient pas se fâcher avec les Français et les Britanniques qui étaient complices des Serbes (les Français jusqu’aux élections de 1993, les Britanniques jusqu’à 1995), ils n’ont commencé à intervenir sérieusement qu’après le massacre de Markale du 5 février 1994,  contraignant en mars de cette année-là le gouvernement croate à s’allier avec celui de Bosnie-Herzégovine, au lieu de tenter de dépecer celle-ci avec la complicité de Belgrade.
Cette alliance a permis de vaincre les Serbes en août 1995, de récupérer les régions de Croatie occupées, et de mettre fin à la guerre en Bosnie-Herzégovine par les accords de Dayton de novembre 1995. 

Si M. Chauprade a pu croire un seul instant à la fable d’un "complot américain contre la Yougoslavie", alors il est désespérément INCOMPETENT, et la seule question à poser est :

"mais pourquoi donc avait-on embauché un tel imbécile" ?

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