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Commentaire de J. GRAU

sur La décroissance, une théorie économique bien trop sage


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Jordi Grau J. GRAU 26 juillet 2010 11:19

Bonjour Caleb Irri.

Votre article est intéressant, mais hautement discutable et parfois franchement inexact. Voyons d’abord le point sur lequel nous sommes en accord. Je vous rejoins quand vous parlez de la trop grande sagesse des « décroissants » (qu’il vaudrait mieux appeler « objecteurs de croissance », car pour eux la décroissance n’est pas un idéal, mais quelque chose qui va nécessairement arriver). Effectivement, leur discours n’est pas très motivant, dans la mesure où il met toujours en avant l’idée de restreindre ses besoins et ses désirs. Cela me fait penser à l’épicurisme, philosophie pour laquelle l’homme peut être heureux s’il vit de manière naturelle, en satisfaisant quelques besoins naturels (manger à sa faim, boire à sa soif, avoir quelques amis...).

Voyons maintenant nos points de désaccord.

1. Le début de votre article est une assez bonne présentation de l’idéologie (ou plutôt du courant) de la décroissance, mais la suite verse dans la caricature. Les « objecteurs de croissance », à ma connaissance, n’ont jamais dit qu’il fallait renoncer à toutes les découvertes techniques du XIXèe, du XXème et du XXIème siècle. Quand vous écrivez :

« faut-il alors dénoncer la technologie et ses avancées pour retourner en arrière, se passer de la machine à vapeur et de ses mines de charbon pour partager notre misère avec les autres misérables ? faut-il réapprendre à vivre dans des cabanes en bois insalubres, avec des chevaux pour moyen de locomotion et la bougie pour éclairage ? »,

vous faites clairement une caricature du discours des objecteurs de croissance. Les écologistes, de manière générale, ont toujours dû subir ce genre de caricature, qui ne fait pas avancer le débat.

Pour savoir ce que dit exactement le mouvement de la décroissance, je vous recommande de lire leur revue, La décroissance, dont une partie est d’ailleurs accessible en ligne. Je vous conseille également de lire les livres ou les articles de Serge Latouche, dont cet article .

2. Je suis également en désaccord avec vous quand vous dites : « car nous ne réglerons pas le problème des inégalités et de l’injustice sociale en retournant en arrière, ni en abaissant nos prétentions au point de vouloir devenir tous pauvres. » D’abord, je ne pense pas le mouvement de la décroissance dit qu’il faut que nous redevenions tous pauvres. D’ailleurs, que veut dire « pauvre » ? Cette notion est assez relative. Ensuite, ils considèrent (et à juste titre, à mon humble avis) qu’on n’a pas besoin d’attendre un surcroît de richesses pour instaurer l’égalité et la justice sociale. Une des raisons pour lesquelles les inégalités subsistent, c’est justement la croissance économique : si la totalité du gâteau augmente, on pense que même les plus pauvres peuvent voir leur niveau de vie augmenter (ce qui n’est d’ailleurs pas toujours vrai). On ferait mieux de dire : il y a aujourd’hui assez de richesses produites pour que chacun vive décemment. Partageons mieux le gâteau. Vous qui vous dites anticapitaliste, vous devriez vraiment lire l’article de Serge Latouche auquel je renvoie plus haut : il y fait une référence très éclairante à Marx.

3. Last but not least : votre notion de « croissance ». D’abord, il me paraît clair que ce mot, employé sans autre précision (exemple : « la croissance d’un enfant ») renvoie toujours à la croissance économique. On aurait donc tort d’accuser les objecteurs de croissance d’être contre tout développement humain.

Ensuite, la notion de croissance économique ne renvoie pas uniquement à l’argent. Certes, dans la pratique, on mesure la croissance à l’aide du PIB, qui s’évalue lui-même en terme monétaire. Mais, ne vous en déplaise, la production de richesses par une société peut très bien exister indépendamment de l’argent qui sert à mesurer, accumuler ou échanger ces richesses. Il ne suffit donc pas de supprimer l’argent pour supprimer le problème de la croissance économique. Certes, on peut difficilement imaginer une accumulation capitaliste sans argent. Mais on peut très bien imaginer, par contre, une société sans argent qui gaspille allègrement les ressources naturelles et se retrouve au bout du compte appauvrie ou menacée par une catastrophe écologique. Comme vous voyez, on ne sort pas si facilement de l’économie, au sens de l’activité qui consiste à économiser les ressources rares pour pouvoir les utiliser de la façon la plus intelligente.

Mais, me direz-vous, nous vivons dans un monde infini ! Et vous me donnez l’exemple de ressources naturelles quasi inépuisables : l’eau, l’air, l’énergie solaire. Au sujet de l’énergie solaire, je veux bien vous suivre, à cette réserve près que pour capter l’énergie solaire il faut tout de même des matériaux, qui ne sont pas en quantité infinie. Au sujet de l’air et de l’eau, je ne vous suis pas du tout. Vous savez sans doute que des conflits existent dans le monde au sujet de l’eau, ressource très inégalement répartie sur la planète (voir par exemple toute la zone du Proche-Orient, où il y a de fortes inégalités entre la Turquie et la Syrie, ou entre Israël et les territoires occupés). Et je ne parle même pas de la pollution des cours d’eau, des nappes phréatiques et des océans. Quant à l’air, il peut lui aussi devenir une richesse limitée, si on continue à le polluer indéfiniment.

Salutations

J. G.


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