Un article excellent de bout en bout.
Vous terminez votre article en disant :
il faudrait sans doute une analyse plus poussée, et se demander notamment en quoi consiste précisément la liberté ou un rapport de domination. Peut-être ces questions feront-elles l’objet d’un futur article.
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Il me semble que l’on pourrait, comme Bourdieu montrer que la domination est « transfigurée en méritocratie » (il y avait un article excellent de Patrick massa à ce sujet dans un numéro de la revue contretemps), la dépossession rendue invisible par sa transfiguration en une inégalité de dons« (Lire Charlotte Nordmann, Bourdieu/Rancière. La politique entre sociologie et philosophie)
L’idéologie de la méritocratie ne joue t-elle pas un rôle idéologique déterminant dans le refus de l’égalité ou de l’égalitarisme ?
A ce sujet, je me suis toujours demandé si l’on ne pouvait pas mettre en évidence une aporie dans le raisonnement méritocrate. Une aporie sur laquelle il faut porter le regard ou attirer plus encore l’attention ? Il me semble que Boltanski le dit très bien dans son »De la critique« . Il dit, en effet, qu’une société méritocratique est facilement menacée par une forme de racisme ou de naturalisme biologisant. De fait, j’ai l’impression que les méritocrates oscillent souvent entre une vision biologisante expliquant la distribution différentielle des »talents« ou des dons » et une vision où le mérite constitue l’indicateur de la volonté et de l’effort ; lesquelles dépendent de la seule responsabilité de l’individu. On connaît les limites de ce type de réflexion, mais j’ai l’impression qu’elle est inaperçue. Soit, l’ordre social est la conséquence de l’ordre biologique qui le détermine (une forme de darwinisme social ??), soit la compétition n’est valide et valorisante que si l’on postule une relative homogénéité des intelligences a priori.
Quelle gloire peut-on tirer de la première puisque c’est une forme de providence qui est à l’origine de l’ordre social ? Ensuite, comment mépriser les pauvres ou les « basses classes » s’ils ont les moyens de s’élever, mais que tendanciellement les structures sociales se reproduisent ? Nous devons donc constater que les règles du jeux sont clairement faussées et que nous vivons dans une société profondément inégalitaire.....Bien entendu, on peut nier cet état de fait et éventuellement remobiliser, alors une vision raciste et biologisante. En effet, si l’on ne veut pas se confronter aux contraintes sociologiques, aux système producteur des inégalités, les méritocrates sont-alors contraints de remobiliser les différentiels de talents ou de dons ? Ils tournent en rond non ?
je crois qu’on touche (outre le fait qu’on peut certainement enchevêtrer ces schémas) en fait, à ce qui était exprimé dans l’article de la revue contretmps (rejoignant alors Bourdieu dans ses méditations pascaliennes) « Les ressources intellectuelles pour s’opposer à la violence symbolique que représente la tentative de faire du Self-made man la figure de l’excellence humaine ne manquent donc pas. Il n’en reste pas moins que l’esprit public n’en semble guère affecté. »