Complément d’information, apporté par Adèle Gabor
A ce monsieur qui demande « en quoi le cas Amélie Birembaux remet-il en cause le système de santé privé en France ? », je me dois d’apporter quelques éléments de réflexion.
1) Le cas d’Amélie Birembaux est exemplaire d’un certain nombre de dérives du système de santé privé. Personne n’oserait prétendre que le système public est exempt de défauts mais ce sont d’autres défauts. Ils méritent, dans les deux cas, d’être pointés, non pour le plaisir d’un quelconque lynchage médiatique mais pour espérer provoquer une prise de conscience et un changement des pratiques - au bénéfice des patients qui ne devrait jamais cesser d’être la priorité de la médecine dans son ensemble.
2) L’article ci-dessus posait certaines questions de façon claire :
- Est-il acceptable que les cliniques puissent échapper à toutes poursuites en cas d’incident médical grave dans ses locaux ? Grâce à un habile montage médico-juridique, le patient s’entend de fait répondre que la clinique se contente de louer ses locaux, le matériel et le personnel de service à des médecins indépendants et qu’elle ne saurait être tenue responsable des fautes commises par lesdits médecins.
- La réputation de la clinique pourrait être un bon garde-fou : dans un système idéal, la direction veille à attirer et conserver en son sein des médecins compétents ; assez rapidement, le travail de qualité de ces derniers, testé et approuvé par x patients, se transmet de bouche-à-oreille et la clinique connaît un succès toujours grandissant grâce à sa vertueuse stratégie « qualité ». Cette honorable stratégie est une priorité pour la direction car, qu’un incident se produise et la réputation de la clinique pourrait être ruinée, ou tout du moins gravement écornée.
- Dans les faits, la situation est contrariée par une réalité : en province encore plus qu’ailleurs, la presse peine à garder son indépendance. Ainsi, à Carcassonne, ville-préfecture de 50.000 habitants qui peut se targuer de disposer de trois titres quotidiens (Midi Libre, La Dépêche du Midi, L’Indépendant), personne ne s’est inquiété de savoir pourquoi, en ce mois de septembre 2003, aucun de ces trois titres n’a fait ne serait-ce que mention du décès d’Amélie Birembaux. Ces mêmes titres n’hésitent pourtant pas à évoquer dans leurs colonnes que l’enseigne de M. Machin, cordonnier dans tel bourg audois, a été méchamment arrachée par un vandale ! Sans entrer dans une quelconque polémique, ce décès aurait pu, aurait dû être évoqué, au moins dans la rubrique « Faits divers » à défaut d’investigation plus poussée.
- Rien d’étonnant, dans ce contexte, que d’autres victimes d’accidents médicaux du Dr C., chirurgien viscéral, ne se soient pas manifestées plus tôt. Peut-être, d’ailleurs, qu’elles se sont manifestées auprès de ces journaux mais que ces derniers, comme dans le cas d’Amélie Birembaux, ont jugé superflu de relayer l’information ?
- Dommage pour l’ensemble des patients audois qui, du coup, ne disposent pas d’une information complète et objective pour faire son choix avant une opération chirurgicale. Dommage aussi pour Amélie Birembaux et ses parents ? On peut supposer que lesdits parents, s’ils avaient été informés du cas de Karine Charles, auraient peut-être choisi de faire opérer leur fille dans un autre établissement, ou tout du moins avec une autre technique opératoire que la coelioscopie.
- Pour information, Karine Charles a été opérée en juillet 2004, soit deux mois à peine avant Amélie Birembaux, par le même chirurgien ; ce dernier lui a perforé l’artère mésentérique lors de l’intervention et, comme dans le cas d’Amélie, n’a pas diagnostiqué l’hémorragie interne, n’a pas converti en cours d’intervention comme le prévoit les recommandations officielles pour vérifier les dommages causés par le trocart ombilical, a laissé la jeune fille rentrer chez elle alors que le jour même de sa sortie elle a fait un malaise grave au sein de la clinique (pour plus de détails et preuves, se reporter sur le site www.amelieb.com/cas.html). Cette jeune fille a failli mourir de cette hémorragie interne, 5 jours après l’intervention.
- Autre question : comment une enfant peut-elle être opérée, dans une clinique reconnue, par un praticien qui reconnaît réaliser 30 coelioscopies par an sur des enfants, alors qu’il ne dispose d’aucune formation pédiatrique, ni de matériel adapté et qui avoue lui-même « ne pas avoir pris connaissance des recommandations » édictées par la principale autorité médicale française, la Haute autorité en santé (ex-Agence nationale pour l’accréditation et l’évaluation en santé) depuis 1996 ? Se reporter à ce propos aux dires du chirurgien et aux conclusions des experts consignés dans le rapport demandé par le TGI de Toulouse (www.amelieb.com/chirurgien.html) : c’est tout bonnement édifiant !
- Comment une enfant peut-elle mourir d’une hémorragie interne non diagnostiquée, au terme de 15 heures d’agonie, pendant lesquelles l’anesthésiste enregistra deux malaises sévères (dont un avec perte de connaissance), une hémoglobine en chute libre, des douleurs abdominales aiguës, une pâleur extrême et une tachycardie persistante ? Deux heures après l’intervention, l’anesthésiste a pourtant consigné sur sa feuille de suivi que la fillette avait perdu plus de 500 ml de sang, un chiffre alarmant pour une enfant de 33 kg ! La question reste posée... L’anesthésiste concerné connaît-il les spécificités anesthésiques et de réanimation propre à l’enfant ? Si tel n’est pas le cas, pourquoi accepter de pendre régulièrement en charge des enfants dans le cadre d’une activité de bloc normale (hors service des urgences) ? Pour plus de détails , lire les dires de l’anesthésiste et les conclusions des experts consignés dans le rapport demandé par le TGI de Toulouse (www.amelieb.com/anest.html)
- Comment le radiologue peut-il avouer n’avoir fait une lecture détaillée du scanner commandé en urgence pour un diagnostic vital qu’au terme de trois heures ? Motif invoqué : il fallait « libérer le poste d’examen [la console du scanner] pour d’autres malades. (...) ». « En ce qui concerne l’interprétation des résultats de cet examen, le Dr B. reconnaît qu’aussitôt après terminé l’examen, l’interprétation en est succincte car il n’aurait pas disposé du temps nécessaire à une interprétation complète ; d’autres malades étaient en attente d’examen. » Ces autres malades attendaient-ils eux aussi un diagnostic vital ou étaient-ils là pour un examen programmé de longue date, sans urgence particulière ? Qui sait que pendant ces trois heures, la console du scanner était, en fait, loué par une autre structure de soin et donc indisponible pour les médecins libéraux de la clinique ? Est-ce un argument valable lorsque la vie d’une fillette de 9 ans est en jeu ? Pour plus de détails , lire les dires du radiologue et les conclusions des experts consignés dans le rapport demandé par le TGI de Toulouse (www.amelieb.com/radio.html).
- Surtout, et c’est le plus grave dans cette affaire, comment ce chirurgien, cet anesthésiste et ce radiologue ont-ils pu reprendre leurs activités quelques jours plus tard, sans qu’au moins une enquête interne ne soit diligentée ? Le père d’Amélie dit qu’il a, « dès le lendemain du drame, personnellement informé le directeur général de la clinique, des dysfonctionnements ayant conduit à cette mort tragique ».
- Un an après ce drame, où en est-on ? Le rapport d’expertise contradictoire, ordonné par le tribunal de grande instance de Toulouse, a été rendu public le 9 juin 2005 : il est accablant pour les trois médecins. Sur la base de ce rapport, le Dr Birembaux a saisi, dès le mois de juin, toutes les autorités compétentes pour qu’au moins une enquête administrative ou corporative soit conduite (www.amelieb.com/sanctions.html). Pourquoi ces trois médecins n’ont-ils, dès lors, pas été inquiétés par le conseil de l’ordre des médecins - dont le président est lui-même chirurgien à la clinique Montréal ? Pourquoi l’ARH n’a-t-elle pas rendu d’avis argumenté sur cet incroyable enchaînements de faits et les responsabilités des uns et des autres ? « Je m’attendais tout du moins à ce que ces trois médecins soient évalués dans leur pratique médicale, afin de s’assurer que cette pratique est bien conforme aux recommandations des autorités de tutelle, en dehors du strict cadre de l’affaire d’Amélie, se désole le Dr Birembaux. A ce jour rien n’a été fait. L’agence régionale d’hospitalisation n’a pris aucune mesure, pas plus que le directeur de la clinique ou le conseil départemental de l’ordre des médecins qui s’est réuni le 7 juillet 2005 pour... ne rien décider ! » L’ensemble des patients n’aurait donc rien à gagner à savoir si ces pratiques sont effectivement « conformes aux règles de l’art et conformes aux données acquises par la science » ? Pour rappel, le décès d’Amélie n’est pas un accident isolé dans la carrière du chirurgien (www.amelieb.com/cas.html).
- Malgré le contexte, cette triple enquête, interne, administrative et corporative est-elle d’emblée apparue superflue ?
3) D’autres points, évoqués sur le site www.amelieb.com, dans la rubrique « De gros enjeux », dépasse le cadre de la simple affaire « Amélie Birembaux ».
- La clinique théâtre de cette affaire fait partie du second groupe d’hospitalisation privée en France (un groupe qui a récemment changé de mains, racheté par deux fonds de placement ; l’opération a généré une coquette plus-value pour la holding UHS).
- Depuis mars 2005, le directeur général de la clinique occupe un poste clé à la Haute autorité de la santé (HAS) : il est vice-président de la commission de certification des établissements de santé. Autrement dit, il co-chapeaute la commission qui délivre les droits à exercer et les labels de qualité à l’ensemble des cliniques de France ! Il est par ailleurs, président Languedoc-Roussillon du syndicat de la fédération hospitalière privée (qui regroupe près de 1300 établissements privés en France soit la quasi-totalité des lits d’hospitalisation privée de France). Il est également président du Medef Aude, élu à la chambre de commerce et d’industrie de Carcassonne, etc.
4) On pourrait, encore se demander : « Pourquoi le Dr Birembaux a-t-il fait opérer sa fille dans cet établissement ? », « Etait-il au courant que le chirurgien a qui il a confié sa fille avait connu plusieurs accidents médicaux au cours de l’année 2004 ? » « Ne dénonce-t-il ces dysfonctionnements que parce qu’il connaît aujourd’hui un deuil personnel ? ». Ces questions sont sans doute intéressantes mais changent-elles quelque chose aux problèmes de fond ? Supposer que le Dr Birembaux connaissait ces dysfonctionnements et ait, malgré tout, choisi de faire opérer sa fille dans cet établissement, reviendrait à supposer qu’il a fait courir un risque délibéré à sa fille. Cela paraît peu crédible. D’autant moins crédible que le Dr Birembaux dispose d’un important réseau de connaissances au sein de l’Hôpital des Enfants de Toulouse, où il officiait un tiers de son temps jusqu’en juin dernier. Il aurait tout aussi bien pu confier sa fille à l’un de ses confrères du public et on peut imaginer que c’est ce qu’il aurait fait s’il avait su qu’au sein de l’établissement privé où il exerçait les deux autres tiers de son temps, les recommandations officielles relatives à l’appendicectomie et la coeliochirurgie chez l’enfant ne sont même pas connues.
5) Précision : l’ensemble des faits et preuves évoquées dans cet article sont consultables et téléchargeables sur le site www.amelieb.com. La lecture intégrale est vivement conseillée pour comprendre tous les aspects de cette affaire.
Adèle Gabor
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