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Commentaire de easy

sur « Vénus noire » : au temps du zoo humain


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easy easy 8 novembre 2010 22:14


Posons que le voyeurisme consiste à jouir du spectacle qu’offre une personne qui, toute à ses affaires ou à ses souffrances soit l’ignore, soit ne dispose pas de temps ou de moyens pour nous en faire procès. Au point qu’elle peut même se faire une raison de cette situation inéquitable et se contenter d’une moindre compensation pécuniaire.


Et bien depuis la décolonisation, nous avons de plus en plus l’impression que celui dont nous profitions autrefois en tant que voyeur, nous a démasqué et nous le dit parce qu’il nous connaît mieux, parce qu’il peut nous faire procès dans notre langue, parce qu’il dispose de plus de temps, parce qu’il dispose de preuves, parce que notre voyeurisme perdure.


Le voyeurisme ne figure pas dans la liste des péchés capitaux.
Mais depuis un siècle c’est probablement celui de nos traits qui nous fait le plus honte et cela essentiellement parce que nous avons l’impression que ce trait n’est pas universel, qu’il est très caractéristique de notre communauté et que nous avons été démasqués par ceux dont nous jouissions en toute impunité. 


Il s’agissait de jouissances de tous ordres, pas seulement scopiques, même si dans voyeurisme il y a d’abord voir.
Ils ne sont pas rares les témoignages de touristes actuels qui n’arrivent pas à prendre place dans un cyclo-pousse au Vietnam, par honte de se sentir profiter de quelqu’un qui sait désormais clairement qu’on profite de lui (et cette nouvelle honte pose alors problème aux cyclo-pousseurs). Ils ne sont pas rares non plus ceux qui hésitent à prendre en photo des femmes Hmongs au seins obus. Des gueux d’ici ou d’ailleurs nous proposeraient de nous porter sur leur dos, aucun d’entre nous n’oserait (à moins de pouvoir porter le porteur à son tour)

Même pour le massage, il y a désormais cette difficulté à en jouir quand le masseur peine à l’ouvrage.

Cette honte d’avoir été démasqué joue jusque dans la restauration où nous commençons à être gênés de déranger un serveur, jusque dans le spectacle de cascadeurs, de courses automobiles, de combats de boxe, de corridas, de zoos, dans la traction attelée. Ca va si loin, cette culpabilité que nous en arrivons à avoir honte de jouir d’un foie gras, d’un chapon...
L’oie, le bec maintenu à la verticale, le gosier violé, nous regarde d’un oeil torve « Maintenant, je sais » 


Vénus noire est un film sur notre voyeurisme à l’époque où il n’était pas encore démasqué.
Ce que Saartjie Baartman ne pouvait pas nous dire autrefois, alors même qu’on lui offrait un procès sur un plateau d’argent, elle peut nous le dire aujourd’hui et ça nous fait rougir jusqu’aux oreilles.

Concernant ce que le malheureux subissait, ce n’était pas toujours de notre fait. Si une Blanche était très poilue, ce n’était de la faute à personne. Mais son mauvais sort pouvait satisfaire notre plaisir de la voir souffrir sans qu’elle puisse nous faire procès. Mieux même, contre une piécette, le mendiant, l’infirme, le bossu, le malheureux, la bonne, le groom, la strip teaseuse, peut en venir à nous remercier d’avoir joui du spectacle de sa misère.


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