Bonjour Jesse Darvas,
Content de pouvoir discuter de Nabe avec vous en de meilleurs lieux que le lamentable forum (on est d’accord) d’alainzannini.com
Je trouve pour ma part l’article convaincant. Les éléments sont trop nombreux pour ne pas être pris au sérieux.
De plus je crois aussi que Nabe représente un vrai tabou pour Houellebecq. Nabe a écrit des tas de pages sur Houellebecq. Houellebecq a toujours évité d’y réagir.
Mais surtout, j’ai avec vous une divergence de fond qui fait que nous n’appréhendons pas le débat soulevé par cet article de la même manière.
Vous affirmez que ni l’un ni l’autre ne sont romanciers. Je pense au contraire que l’un et l’autre sont romanciers plus que tout, et que c’est précisément sur le terrain du roman qu’ils entrent en concurrence et même plus, comme semble l’indiquer l’auteur de cet article.
Affirmer que Nabe est avant tout un pamphletaire et un diariste est un cliché, une erreur courante, qui a été installée notamment par ceux qui volontairement ou non sont toujours passés complètement à côté de ses romans.Parfois par ignorance mais le plus souvent de façon mal-intentionnée. Un moyen souvent utilisé pour minimiser son oeuvre. Combien de fois n’a-t-on pas entendu ces phrases du genre « ce sera un grand écrivain quand il saura écrire un roman » ... Misère ! (Je sais bien que ce n’est pas du tout le sens de votre remarque)
En quoi, Le Bonheur, il y a plus de 20 ans déjà, était-il moins une oeuvre majeure que le Journal Intime ? En quoi les personnages d’Andrea ou d’Athénée, les scènes familiales, les descriptions de Marseille, toute l’intrigue du livre n’est-elle pas l’oeuvre d’un romancier ? Le travail de recherche profondément littéraire de Nabe se trouve en fait davantage dans ses romans. Qu’il s’agisse du Bonheur ou d’Alain Zannini, plus que dans le Journal Intime au jour le jour. Mais également dans Lucette ou dans Je suis mort, qui est un chef d’oeuvre à la fois transparent et impénétrable. Sans même parler de L’Homme qui arrêta d’écrire, dont la structure et le pari romanesque donnent d’autant plus le vertige qu’ils échappent au premier coup d’oeil.
C’est l’écueil où vous me semblez échouer, justement. Le talent de romancier de Nabe vous échappe, car il est moins tapageur que d’autres parties de son écriture et demande plus d’efforts.
Il y a aussi le fait que Nabe, s’il est attaché au roman, l’est aussi pour en pousser les limites et en renouveler en permanence le genre. C’est peut-être le fait qu’il pousse le roman au delà de ce qui en a été déjà fait, qui vous fait dire qu’il n’est pas romancier.
Et je pense qu’il en est de même pour Houellebecq. Je connais l’oeuvre de Houellebecq moins bien que celle de Nabe, mais il me semble que le roman est sa destination. S’il fait de la poésie, sa réflexion porte sur comment intégrer la poésie dans le roman, la « romanciser », pas le contraire. Il en est de même avec les articles Wikipedia d’ailleurs. Comment faire du roman avec de nouveaux matériaux...
Ne vous faites pas avoir en prenant au pied de la lettre ce qu’il raconte dans ses interviews. Houellebecq n’écrit pas au fil de la plume, ou en « poète ». La structure et les personnages de ses romans sont très réfléchis et travaillés.
Il semble cependant s’essouffler et littéralement manquer de forces sur ce dernier, alors que Nabe acquiert une assise de plus en plus solide. Houellebecq a manifestement lu L’Homme qui arrêta d’écrire. Il est le mieux placé pour savoir en quoi le roman de Nabe entre complètement en collision avec son propre travail de romancier.