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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Et si le Goncourt n’était qu’un « sous-non Renaudot » (...)

Et si le Goncourt n’était qu’un « sous-non Renaudot » ?


Le Goncourt à Houellebecq et le Renaudot à Nabe, formidable affiche que cette opposition entre deux écrivains parallèles et opposés que tant de choses unissent et séparent, mais cette affiche, dans les toutes dernières secondes, a fini par être écartée pour un compromis plus sage en la personne de Virginie Despentes. Le Goncourt à Houellebecq et le Renaudot à Nabe, ç’aurait été formidable mais ô combien explosif ! Pas seulement pour le mauvais coup que le roman antiédité de Nabe constitue pour les maisons d’édition et les libraires boycotteurs. L’Homme qui arrêta d’écrire est une véritable bombe si on le met en présence de La Carte et le Territoire de Michel Houellebecq, paru neuf mois plus tard. La rencontre étroite de ces deux livres aurait eu des conséquences énormes et encore plus incontrôlables s’ils s’étaient trouvés tous les deux sur-médiatisés sur le même plan. Voici pourquoi.

On n’a fait que des mauvais procès à Michel Houellebecq. C’est très pratique, pour éviter de lui faire les bons. Par exemple, l’accusation de plagiat sur Wikipédia pour son dernier roman La Carte et le Territoire : très mauvais procès. Lautréamont copiait des passages entiers d’encyclopédie pour en faire des textes poétiques devant lesquels s’extasiait André Breton qui n’y voyait que du feu. Plus près de nous, Marc-Édouard Nabe reprenait le même procédé pour l’appliquer à Isidore Ducasse lui-même. Par exemple, ce passage célèbre des Poésies “Depuis Racine, la poésie n’a pas progressé d’un millimètre” apparait dans le pamphlet de Nabe, Rideau : “Depuis Céline la poésie n’a pas progressé d’un millimètre...” Et si on prend la peine de lire un peu attentivement d’autres écrits de Nabe, on s’aperçoit que cette technique est parfois reprise ailleurs : dans un texte comme La place de la Mort que Philippe Sollers avait publié dans l’Infini, ou dans le conte Sainte Nabe (K.-O. et autres contes). Les lecteurs perspicaces retrouveront la trace de l’original détourné.

Wikipedia n’est qu’un matériau, et c’est pour cette raison que la polémique sur son utilisation était absurde, au point qu’elle finit par servir Houellebecq, fatigué mais encore roublard, qui a eu beau jeu de retourner l’accusation en sa faveur. C’est d’autant plus regrettable que l’évacuation rapide de cette affaire a emporté avec elle des questions de fond plus dérangeantes sur l’écriture de son roman. Et si cette histoire de plagiat n’était qu’un leurre pour cacher autre chose ?

Une inspiration ? Oui ! Et au sens propre ! Michel Houellebecq rend dans ce livre son dernier souffle. Il n’a plus de jus et plus grand chose à dire : il est au bout du roman, lui qui jusqu’ici n’était qu’au bout du rouleau. Son livre est bâclé et truffé d’approximations de toutes sortes. Nombre de références plus figées dans les années 90 que dans la France post-2010 tendent même à faire soupçonner le recyclage d’un fond de tiroir. Scénario policier ? Mal ficelé. Chronologie globale ? Pleine d’incohérences. On publie certes aujourd’hui des romans bien pires, mais Houellebecq avait su jusqu’ici faire preuve d’un peu plus de rigueur. De son propre aveu, l’écriture romanesque lui demande de plus en plus de forces qu’il peut fournir de moins en moins. Il le confie aux Inrockuptibles : ce roman sera peut-être son dernier. Comme il le fait dire à Jed Martin, son personnage principal de La Carte et le territoire, Houellebecq en a “à peu près fini avec le monde comme narration”. Ce qu’il ne dit pas par contre, c’est comment l’écrivain asséché qu’il est devenu est allé chercher ses dernières ressources dans le puits d’un de ses contemporains !

Alors qui est-ce qui inspire aujourd’hui le Houellebecq qui expire ? Eh bien il ne s’agit de nul autre que Marc-Édouard Nabe, son ancien voisin ! Oui, Marc-Édouard Nabe, auteur en janvier 2010 de L’Homme qui arrêta d’écrire, roman qui signe à la fois le retour de Nabe à la littérature (quatre ans après une préface d’adieux – Le Vingt-septième livre – adressée justement à Michel Houellebecq) et sa rupture totale avec le milieu de l’édition.

Qui a lu les deux livres ?

Evidemment, pour s’en rendre compte, il faut avoir lu les deux livres. Or, parmi les milliers de lecteurs de Houellebecq très peu connaissent l’existence de L’Homme qui arrêta d’écrire, et encore moins l’ont lu. De l’autre côté, par mépris pour un livre préformaté et pour les turpitudes médiatiques goncourisantes, les 5000 lecteurs de L’Homme ont toutes les chances de boycotter La Carte et le territoire, trop imposé, trop best-seller, trop précisément emblématique du système contre lequel Nabe est en guerre. Très peu de chances pour ces romans de se trouver sur la même table. Mais pour qui s’est donné la peine de les lire, et plus encore accompagnés des autres livres des deux auteurs, l’inspiration saute aux yeux d’autant plus fort que jusqu’ici, rien chez Houellebecq ne la laissait supposer.

Fruits du hasard…

L’Homme qui arrêta d’écrire raconte une traversée du Paris des années 2000 par un Marc-Édouard Nabe qui aurait définitivement arrêté l’écriture. Le postulat paradoxal de ce gros roman de 700 pages se retrouve répercuté de manière très intéressante dans l’écriture du livre où Nabe s’est appliqué à neutraliser tout ce qui caractérisait son style très vivant.

Comme dans L’Homme qui arrêta d’écrire, Michel Houellebecq fait avancer son roman sur un ton atone, dans une "sous-écriture" pour employer le terme de Nabe. Houellebecq a certes toujours eu une écriture relativement plate, mais qui restait néanmoins émaillée de saillies ou de formules piquantes et provocatrices dont on ne trouve plus trace dans son dernier roman : ne subsiste dorénavant qu’une forme d’“ironie gentille” proche de celle du narrateur de Nabe, trop détaché de l’écriture pour céder de façon directe aux emportements.

Comme dans L’Homme qui arrêta d’écrire, l’art contemporain est un thème central de La Carte et le territoire. Houellebecq reprend les personnages de Jeff Koons et Damien Hirst (qui sont aussi dans le roman de Nabe) dans son livre, de la même manière que Nabe faisait apparaître Gena Rowlands et John Cassavetes dans un chapitre de Lucette en 1995. On ne comprend qu’à la fin de la scène que l’on est dans un tableau (ou un film chez Nabe). C’est d’ailleurs amusant de voir aujourd’hui Houellebecq salué pour ce procédé.

Comme dans L’Homme qui arrêta d’écrire, il y a une discussion sur l’industrialisation de l’art et le rôle des assistants des peintres de la Renaissance.

Comme dans L’Homme qui arrêta d’écrire, il y a un jeu de doubles entre l’écrivain vieillissant et un autre « artiste » plus jeune. Jean-Phi dans un cas, Jed Martin dans l’autre. Ces personnages, tous deux extérieurs au milieu littéraire rencontrent l’écrivain mis en abyme dans son propre roman. Ce jeu existait déjà aussi dans Alain Zannini roman de Nabe paru en 2002, où le rôle du double de l’auteur était tenu par un flic, comme Jasselin chez le Houellebecq 2010.

Comme dans L’Homme qui arrêta d’écrire, le roman use des noms de marque et du vocabulaire technologique de l’époque. On peut toutefois noter que les années 2010 de Houellebecq ont un certain retard sur les années 2000 de Nabe. Là où Nabe parle de la Wii, de GTA ou de Blu Ray, le futurisme de Houellebecq est nettement moins d’actualité et semble même se cantonner à la bonne vieille informatique du vingtième siècle : formats jpeg, disques durs externes, etc. En 2010, le comble de la modernité pour une attachée de presse chez Houellebecq, c’est de sortir une clé USB !

Comme dans L’Homme qui arrêta d’écrire, la télévision et ceux qui la font est décrite de l’intérieur. Canal Plus et Michel Denisot chez l’un, TF1 et Jean-Pierre Pernaut chez l’autre. De même que l’informatique, la télé de Houellebecq en 2010 a tout de même un côté bien vieillot. Là où Nabe parle de la Star Academy ou des émissions de Ruquier, Houellebecq regarde Thalassa ou Questions pour un champion. Ni télé-réalité, ni même télé-ruralité. On peut s’étonner que dans un livre annonçant le retour en force du terroir, une émission à succès comme L’amour est dans le pré ne soit pas évoquée.

Comme dans L’Homme qui arrêta d’écrire, apparaissent différentes figures du milieu littéraire parisien. Notamment Frédéric Beigbeder, Teresa Cremisi ou Philippe Sollers ainsi que des « peoples » comme Patrick Le Lay. Tous ceux-là sont présents et actifs dans les deux romans.

Comme dans L’Homme qui arrêta d’écrire, le personnage est ému par une chanson de variétés des années 70 dont sont reproduites les paroles. Quand j’étais chanteur de Michel Delpech chez Nabe, Salut les amoureux de Joe Dassin chez Houellebecq.

Comme dans L’Homme qui arrêta d’écrire, il y a un personnage qui trimballe un classique littéraire dans sa poche. Il s’agit des Impressions d’Afrique de Raymond Roussel chez Nabe et d’Aurelia de Gérald de Nerval chez Houellebecq. Aurelia, justement le livre où son auteur se mettait sur les pas de Dante : “j’ai pris au sérieux les inventions des poètes, et je me suis fait une Laure ou une Beatrix d’une personne ordinaire de notre siècle...” Rien ne saurait mieux résumer que ces mots de Nerval la démarche sous-jacente au dernier roman de Nabe qui est une transposition contemporaine de La Divine Comédie.

Enfin, comme pour L’Homme qui arrêta d’écrire, en vente exclusivement sur une plateforme Internet supervisée par l’auteur, le directeur de la communication de chez Michelin propose à Jed Martin de “prendre en charge la conception d’un site Internet où vous présenteriez vos travaux et les mettriez directement en vente.”

Mises bout à bout ces petites ressemblances commencent à devenir trop envahissantes pour être dues au seul fait du hasard. Les derniers doutes s’évaporent quand on ajoute à la comparaison les autres livres de Nabe, qui restent malheureusement très difficiles à trouver.

Il est mort

Roman publié par Philippe Sollers dans la collection l’Infini en 1998 et dans lequel figurait déjà le personnage de Houellebecq, Je suis mort de Marc-Édouard Nabe raconte à la première personne et vu de l’intérieur, le suicide de l’auteur et le destin de son corps jusqu’aux dernières étapes de la décomposition.

Comme dans Je suis mort, l’auteur de La Carte et le Territoire met en scène sa propre mort et son propre enterrement.

Comme dans Je suis mort, l’auteur meurt par balle, et la marque et le type de l’arme sont cités. Révolver 22 long Rifle Uberti à l’époque chez Nabe, Sigsauer M-45 chez Houellebecq.

Comme dans Je suis mort, le personnage entretient des rapports étroits avec son père et ces rapports tournent autour de la question de l’art.

Comme dans Je suis mort, la décomposition des corps et notamment le travail des larves après la ponte des mouches est décrit avec une précision entomologique. Frédéric Beigbeder avait à l’époque écrit un article dans Le Figaro pour saluer la description du travail des asticots dans le roman de Nabe.

Comme dans Je suis mort, l’auteur décrit les réactions des représentants de l’édition venus assister à son enterrement.

Comme dans Je suis mort, cet enterrement prend une tournure tragi-comique.

Houellebecq à la poursuite du Bonheur

On peut même reculer plus loin encore avec Le Bonheur, le premier roman de Nabe publié en 1988, qui raconte l’histoire d’un peintre parti sur les traces des peintres de La Renaissance Italienne pour une commande dont il découvrira horrifié à la fin qu’elle sert de pièce rapportée à un tableau d’art contemporain hyper-réaliste.

Comme dans Le Bonheur, le personnage de Houellebecq (auteur d’un recueil intitulé La Poursuite du Bonheur...) est évidemment un peintre. Il a sa période hyper-réaliste mais ne s’en satisfait pas.

Bien sûr, comme dans Le Bonheur, le personnage ressent une émotion esthétique devant des plans et cartes routières.

Et comme dans Le Bonheur, il y a une diatribe contre la laideur et l’impact morbide laissé par l’architecture de Le Corbusier.

Michel Zannini

On peut toujours continuer avec un autre roman de Nabe :

Comme dans Alain Zannini, le personnage est “visiblement parvenu à une fin de cycle”.

Comme dans Alain Zannini, un flic, double du personnage principal, traverse le livre...

Etc., etc.

Pas d’inquiétudes, on ne va pas aller jusqu’à dire que dans La Carte et le territoire, la femme du flic s’appelle Hélène (comme la femme de Marc-Édouard Nabe) et que ce n’est pas un hasard. On ne dira pas non plus que ce flic se promène avec un chien, comme celui d’Alain Zannini ; ni que comme dans Alain Zannini, le personnage de l’artiste détruit son œuvre... On n’évoquera pas plus les scènes sur les associations pro-euthanasie, qui avaient fait l’objet d’un tract de Nabe en 2006… Ce serait mesquin, d’abord, et inutile d’en rajouter, en plus.

Nabe, tabou de Houellebecq

Alors non, le plagiat n’est pas dans Wikipédia. Non, le plagiat n’est pas non plus dans l’idée principale de La carte et le territoire récupérée directement de l’œuvre d’un artiste contemporain, Christian Babou, mort en 2005 et qui exposait des photos de cartes routières. Houellebecq a tout à fait le droit d’avoir volé le titre d’un livre auto-édité par le frère (bien vivant lui) de la dame qui s’occupait de son site Internet, comme il a tout autant le droit de piquer en exergue de son livre une citation du Duc d’Orléans déjà utilisée par Guy Debord.

Autant de chiffons agités qui masquent un problème houellebecquien autrement plus intime, plus profond, parce que tout à fait invisible et insoupçonnable pour la majorité des gens qui n’a pas lu les deux auteurs. Les rares personnes les ayant lus et en mesure d’écrire sur le sujet comptent parmi les personnages des deux livres : Frédéric Beigbeder ou Philippe Sollers, descendus en flamme par Nabe et cajolés par Houellebecq. Ils n’iront évidemment pas prendre parti contre ce dernier. De manière générale, les violentes positions de Nabe contre le milieu éditorial ne risquent pas de lui valoir beaucoup de soutien de la part de ce petit monde dont Michel Houellebecq est aujourd’hui l’auteur le plus emblématique.

Pour en savoir plus sur la relation entre les deux auteurs, il faut lire Le Vingt-septième livre ! Dans ce texte sous forme de longue lettre à Michel Houellebecq, Nabe racontait les rapports qu’il entretenait avec celui-ci quand pendant près de dix ans ils étaient voisins d’immeuble. Au sens propre, il était alors l’un de ses plus proches lecteurs. Houellebecq, pourtant jamais en mal d’avis développés sur ses contemporains, s’est jusqu’ici abstenu de réagir sur ce petit livre, balayant au mieux d’une boutade les questions à ce sujet. Comme si le nom de Nabe constituait une sorte de tabou.

Nabe/Koons – Houellebecq/Hirst

Pourtant, de son propre aveu, c’est en lisant Le Vingt-septième livre que Houellebecq a eu l’idée de se transposer dans son roman : son personnage était trop fort pour qu’il n’essaie pas de faire la même chose. Alors, quand Le Vingt-septième livre décrit le destin parallèle de deux artistes à la fois très proches et aux styles, aux tempéraments, aux idées et aux œuvres totalement opposés, on est obligé de penser au tableau de Jeff Koons et Damien Hirst se partageant le marché de l’art, sur lequel s’ouvre La Carte et le Territoire. Quand Houellebecq raconte qu’“il y a eu en effet une sorte de partage d’un côté, le fun le sexe, le kitsch, l’innocence [Koons], de l’autre, le trash, la mort, le cynisme [Hirst]”, il sait de quoi il parle. Dans son livre, le peintre Jed Martin sera d’ailleurs incapable d’aller au bout de ce tableau et finira par le détruire. Comme si cette confrontation entre deux artistes ramenait Houellebecq à un problème personnel qui n’a pas fini de le hanter. Une situation que Marc-Édouard Nabe lui avait longuement expliquée : “Nous sommes exactement l’inverse l’un de l’autre. Il y a celui qui a tellement l’air mort qu’on lui fait un triomphe et celui qui est tellement vivant qu’on fait comme s’il était mort.”

Marc-Édouard Nabe et Michel Houellebecq se partageant la Postérité de la Littérature, allégorie alléchante, mais qui hélas ne verra pas le jour : Houellebecq n’a plus la force créatrice, même dans le trash, pour être encore Damien Hirst ou le pendant négatif de qui que ce soit. Que reste-t-il en effet de son roman quand on soustrait tout ce qui ne lui appartient pas ? La tête de l’écrivain posée sur une chaise et le reste en bouillie faussement pollockienne. Michel Houellebecq est devenu lui-même l’œuvre d’art contemporain sur laquelle il aurait pu écrire, un cadavre d’écrivain dans le formol, exposé à prix d’or. Michel Houellebecq est devenu l’homme qui arrêta d’écrire.


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16 réactions à cet article    


  • Laurent08 13 novembre 2010 12:33

    Bravo pour l’analyse de fond. Ca fait du bien de remettre la litterature au centre, et la démonstration est ici pour le moins bluffante...


    • kemilein 13 novembre 2010 12:47

      bworf personnellement j’ai un doute justifier envers la plus part des auteurs qui passe à la télé...

      un auteur qui fait du bon travail, ne devrait pas avoir besoin de ça, me dis-je.


      • Hijack Hijack 13 novembre 2010 12:52

        Il fut un temps où pour Nabe on aurait parlé avec admiration ... mais dommage pour l’intelligence humaine, dommage pour nous et pour lui ... il s’est fait dessus ... et par la même il autodétruit son œuvre ...

        Dorénavant ... Houellbecq/Nabe même combat .. comme quoi, des contraires peuvent se rejoindre dans l’immondice morale  ! Je parle de Nabe bien sûr ... car lui, tombe de très très haut ... ça doit faire mal !


        • Toby Dammit 13 novembre 2010 16:16

          Merci pour cette excellente analyse de la proximité entre le livre de Houellebecq et celui de Nabe, qu’Abeline Majorel avait déjà développée ici et que j’avais esquissée dans un article paru sur Slate.fr.

          A noter que le procédé de copier-coller littéraire dont vous parlez a également été utilisé par Nabe dans son roman « Alain Zannini », dont la première phrase fait référence à « La Divine Comédie » (« Au milieu du chemin de notre vie, je me retrouvai dans une sacrée merde »), tandis que la dernière est une allusion à l’incipit du « Voyage au bout de la nuit » de Céline (« Ça s’est terminé comme ça »).

          Ce que vous dites de la postérité future de « La Carte et le territoire » me semble particulièrement juste. Le name-dropping de Houellebecq est à côté de la plaque, puisqu’il présuppose à chaque fois, de la part du lecteur, une connaissance préalable des personnages réels qu’il cite. Tandis que Nabe, dans « L’homme qui arrêta d’écrire », parvient en quelques lignes à saisir l’essence romanesque d’un Frédéric Beigbeder ou d’un Jean-François Kahn.

          De ce fait, il en fait réellement des personnages littéraires et les rend accessibles aux générations futures qui auront sans doute oublié jusqu’à leur existence.
          On a accusé Nabe d’avoir fait une sorte de bottin mondain avec son livre. Ce reproche est révélateur d’une profonde méconnaissance littéraire : au XIVe siècle, Dante ne se livrait-il déjà pas à un name-dropping effréné lorsqu’il plaçait ses contemporains dans les cercles de l’Enfer ou sur les corniches du Purgatoire ?

          Comme son prédécesseur florentin, Nabe s’est donné « l’incroyable droit de trier les individus vivants de son temps », pour reprendre l’expression de Philippe Sollers. Pas grand-chose à voir avec les clins d’œil gentillets de Houellebecq, donc.

          Pierre Ancery


          • Petit Jean Petit Jean 13 novembre 2010 22:11

            Excellent, votre article de Slate, Pierre Ancery.

            En ce qui concerne Dante, la non-reconnaissance de la transposition de La Divine Comédie est une leçon terrible et unique sur l’état d’autisme, d’incompétence et d’aveuglement de l’ensemble de la critique littéraire, totalement incapable de prendre la mesure de l’oeuvre qu’ils avaient entre les mains.
            C’est comme si quelqu’un jugeait doctement la reprise des Ménines par Picasso, sans savoir ni imaginer un instant qu’il yavait eu un tableau peint trois cent ans plus tôt par Velasquez ! On en est là, hélas.

            J’ai écrit une étude sur les rêves de La Divine Comédie dans l’Homme qui arrêta d’écrire.
            Elle est publié sur le site des lecteurs de Nabe.
            Nabe’s Dreams
            L’étude de Dante n’est pas la seule manière d’aborder toutes les richesses du livre, mais elle est indispensable à la compréhension de ce roman.


          • Zoorro 13 novembre 2010 16:35


            Dites donc, il me semble que c’est Virginie Despentes qui a eu le Renaudot ...

            Je n’ai lu ni Nabe ni Despentes, mais j’ai lu le dernier Houellebecq.
            « La carte et le territoire » est un très bon livre, un très bon Houellebecq aussi. Je conseille sa lecture à tout le monde.


            • Jesse Darvas Jesse Darvas 13 novembre 2010 19:53

              Pour avoir lu, et de longue date, tant Nabe que Houellebecq, je trouve votre démonstration forcée et bien peu convaincante (je pourrais détricoter vos exemples un à un mais ce serait fastidieux). En somme typique d’un nabisme caricatural tel qu’il s’exhibe malheureusement trop souvent (allant piocher dans des détails insignifiants la preuve d’une prétendue obsession nabienne chez le moindre de ses contemporains), même si la fermeture récente du forum sur alainzannini.com est susceptible de mettre fin aux dérives les plus criantes.

              Le vrai point commun de Nabe et de Houellebecq, c’est qu’ils sont tous deux de vrais écrivains mais qu’aucun n’est un romancier : Nabe est d’abord un diariste, un critique et un pamphlétaire (son Journal est une mine d’or, un recueil de trésors enfouis - je lui serai toujours reconnaissant de m’avoir fait découvrir Powys par exemple), Houellebecq un poète. Leur incursion dans le roman est donc toujours insatisfaisante : pleine d’éclairs de lucidité, de passages hilarants ou (plus rarement) émouvants mais jamais à même de construire des personnages dotés de l’épaisseur attendue d’une créature romanesque, ou des intrigues susceptibles de toucher et d’emporter le lecteur (il suffit d’ailleurs de relire le Journal de Nabe pour y trouver les auto-analyses les plus percutantes sur ce point, avec son plan non abouti de retenir la leçon de Cervantès par exemple, dans Nabe’s Dream). J’ai dévoré en quelques jours L’Homme qui arrêta d’écrire et la Carte et le Territoire, parce qu’à chaque fois quelque chose me poussait à poursuivre : un univers, une vision du monde... mais dans les deux cas que de passages insatisfaisants, trop longs ou au contraire trop allusifs... c’est comme ça, et il n’y aurait aucun sens à leur en faire le reproche.

              La grande faiblesse du 27ème Livre, à la relecture, c’est que Nabe y projette sur Houellebecq sa vision d’une écriture stratégique, répondant à un plan mûrement construit (voir son récit de la composition du Bonheur dans Inch Allah). L’écriture de Houellebecq n’a rien de tel et lui-même dit très simplement que c’est un processus largement automatique : il ne « choisit » pas d’écrire comme ceci ou cela ou d’aborder tel sujet plutôt que tel autre. S’il a rencontré le succès, c’est que dès Extension du domaine de la lutte (qui reste son meilleur « roman ») il a su percevoir quelque chose de l’époque qui échappera forcément toujours à Nabe, qui n’a jamais connu le salariat.Quant à l’oeuvre finale de Jed Martin, que vous ne mentionnez pas dans votre article, elle recèle quelque chose de réellement tragique (notion qu’on ne trouve nulle part chez Nabe).

              Plutôt que de les opposer ou de les mettre en regard l’un de l’autre de manière un peu forcée, il me semble préférable de savoir puiser chez l’un comme chez l’autre la nourriture qu’il peut nous apporter. Je suis d’accord avec votre conclusion : Houellebecq n’écrira probablement plus de roman de valeur et devrait retourner à la poésie - ou à d’autres formes d’expression. Quant à Nabe il continuera à drainer un lectorat qui aime chez lui le refus de tout ce qui est médiocre. Mais ce n’est pas en cherchant de vaines traces de copie chez le premier que l’on apprécier mieux le second.


              • Petit Jean Petit Jean 13 novembre 2010 21:56

                Bonjour Jesse Darvas,

                Content de pouvoir discuter de Nabe avec vous en de meilleurs lieux que le lamentable forum (on est d’accord) d’alainzannini.com
                Je trouve pour ma part l’article convaincant. Les éléments sont trop nombreux pour ne pas être pris au sérieux.
                De plus je crois aussi que Nabe représente un vrai tabou pour Houellebecq. Nabe a écrit des tas de pages sur Houellebecq. Houellebecq a toujours évité d’y réagir.

                Mais surtout, j’ai avec vous une divergence de fond qui fait que nous n’appréhendons pas le débat soulevé par cet article de la même manière.
                Vous affirmez que ni l’un ni l’autre ne sont romanciers. Je pense au contraire que l’un et l’autre sont romanciers plus que tout, et que c’est précisément sur le terrain du roman qu’ils entrent en concurrence et même plus, comme semble l’indiquer l’auteur de cet article.
                Affirmer que Nabe est avant tout un pamphletaire et un diariste est un cliché, une erreur courante, qui a été installée notamment par ceux qui volontairement ou non sont toujours passés complètement à côté de ses romans.Parfois par ignorance mais le plus souvent de façon mal-intentionnée. Un moyen souvent utilisé pour minimiser son oeuvre. Combien de fois n’a-t-on pas entendu ces phrases du genre « ce sera un grand écrivain quand il saura écrire un roman » ... Misère  ! (Je sais bien que ce n’est pas du tout le sens de votre remarque)
                En quoi, Le Bonheur, il y a plus de 20 ans déjà, était-il moins une oeuvre majeure que le Journal Intime ? En quoi les personnages d’Andrea ou d’Athénée, les scènes familiales, les descriptions de Marseille, toute l’intrigue du livre n’est-elle pas l’oeuvre d’un romancier ? Le travail de recherche profondément littéraire de Nabe se trouve en fait davantage dans ses romans. Qu’il s’agisse du Bonheur ou d’Alain Zannini, plus que dans le Journal Intime au jour le jour. Mais également dans Lucette ou dans Je suis mort, qui est un chef d’oeuvre à la fois transparent et impénétrable. Sans même parler de L’Homme qui arrêta d’écrire, dont la structure et le pari romanesque donnent d’autant plus le vertige qu’ils échappent au premier coup d’oeil.
                C’est l’écueil où vous me semblez échouer, justement. Le talent de romancier de Nabe vous échappe, car il est moins tapageur que d’autres parties de son écriture et demande plus d’efforts.
                Il y a aussi le fait que Nabe, s’il est attaché au roman, l’est aussi pour en pousser les limites et en renouveler en permanence le genre. C’est peut-être le fait qu’il pousse le roman au delà de ce qui en a été déjà fait, qui vous fait dire qu’il n’est pas romancier.

                Et je pense qu’il en est de même pour Houellebecq. Je connais l’oeuvre de Houellebecq moins bien que celle de Nabe, mais il me semble que le roman est sa destination. S’il fait de la poésie, sa réflexion porte sur comment intégrer la poésie dans le roman, la « romanciser », pas le contraire. Il en est de même avec les articles Wikipedia d’ailleurs. Comment faire du roman avec de nouveaux matériaux...
                Ne vous faites pas avoir en prenant au pied de la lettre ce qu’il raconte dans ses interviews. Houellebecq n’écrit pas au fil de la plume, ou en « poète ». La structure et les personnages de ses romans sont très réfléchis et travaillés.

                Il semble cependant s’essouffler et littéralement manquer de forces sur ce dernier, alors que Nabe acquiert une assise de plus en plus solide. Houellebecq a manifestement lu L’Homme qui arrêta d’écrire. Il est le mieux placé pour savoir en quoi le roman de Nabe entre complètement en collision avec son propre travail de romancier.


              • Jesse Darvas Jesse Darvas 14 novembre 2010 10:35

                Bonjour Petit Jean

                lorsque je dis que Nabe et Houellebecq ne sont pas des romanciers, je mentionne précisément deux points qui pour moi sont constitutifs du roman : la création de personnages et d’intrigues. Quelques grands romanciers : Cervantès, Dostoievski, Balzac, Flaubert, Dickens, Céline, Musil, Proust, Thomas Mann, JC Powys...

                Les personnages peuvent être des « transpositions » de personnes réelles (une ou plusieurs) ou bien des inventions pures. Lorsqu’il n’y a pas transposition mais reprise directe de personnages existants dans des scènes réelles (comme dans Lucette par exemple - qui m’a beaucoup touché) on peut appeler l’ouvrage « roman » mais il s’agit de tout autre chose.

                Il y a un passage de Nabe’s Dream (je crois) où l’auteur se donne comme programme d’inventer des personnages et de développer des intrigues. Je ne pense pas que l’oeuvre qui suit réponde à ce programme, et il ne s’agit pas d’en faire le « reproche » à Nabe, juste de faire un constat. D’autant que l’art romanesque est aujourd’hui à bien des égards épuisé (du moins en France), et que les écrivains français contemporains les plus intéressants ne sont pas des romanciers au sens que je donne à ce terme (Pierre Michon, Antoine Volodine par exemple).

                En caricaturant un peu, on pourrait dire que presque tous les livres de Nabe sont des extensions ou variations autour du Journal, qu’il y ait absentement du narrateur (Lucette), figuration de celui-ci dans des scènes imaginaires qui pourraient être vraies (Je suis mort, Le Bonheur - dont la critique la plus sévère est celle de Nabe lui-même dans son Journal, Alain Zannini) ou disparition totale du récit pour ne laisser la place qu’au pamphlet...

                Pour en revenir au sujet de l’article : on pourrait aussi bien inverser la proposition et dire que L’Homme qui... est écrit dans un style houellebecquien... s’il est vrai que l’humour et l’ironie ont largement disparu dans La Carte..., on les trouve au contraire dans L’Homme qui..., livre qui recèle aussi une certaine dose d’énèrvement et d’indignation (par exemple à l’égard des fumistes de l’art contemporain) alors qu’il n’y a rien de tel chez Houellebecq (neutralité totale). Quant au fait que Houellebecq n’a pas réagi, sinon de manière très incidente, au 27ème livre, y voir la preuve d’une obsession nabienne chez Houellebecq c’est partir de la conclusion pour dérouler le raisonnement : car si Houellebecq avait réagi par une longue réponse, un nabien conséquent en aurait déduit de même une obsession nabienne chez Houellebecq. Damned if you do, damned if you don’t...

                Et puis, vu les délais , il me semble tout simplement matériellement impossible que Houellebecq ait lu l’ouvrage de Nabe (à supposer qu’il l’ait lu, ce qui n’a rien d’évident ! Topplers doit le savoir...) avant d’écrire le sien.


              • Petit Jean Petit Jean 14 novembre 2010 11:49

                @Jesse,

                Pas d’accord. C’est justement par la création de personnages et d’intrigues que Nabe et Houellebecq sont romanciers. Enfin surtout Nabe. Houellebecq est capable de créer d’excellents personnages, mais il est moins bon dans la construction de l’intrigue. Ce qui d’ailleurs me semble le principal point faible de La Carte et le Territoire.
                Vous êtes victime d’un trompe-l’oeil. Ce n’est pas parce que tout est vrai dans ses personnages que Nabe n’en fait pas de purs personnages de romans. C’est même précisément par là qu’il renouvelle et élargit les limites du genre.
                Nabe a créé des personnages extraordinaires. Peu importe que ces personnages soient réels. Quel personnage incroyable que le Linden du Bonheur ! Il suffit de comparer avec Lindenmeyer dans le Journal Intime, pour voir la différence entre le même personnage dans le Journal et sa version dans le roman. Celà tient justement à la structure. Le Linden du Bonheur n’est pas dilué par des apparitions espacées (conséquence de la chronologie du Journal Intime). Le personnage, le même, apparzait entièrement condensé, beaucoup plus travaillé, donc encore plus vrai, ramassé en un seul chapitre qui en fait l’un des personnages les plus inoubliables de Nabe. Voilà la différence entre roman et journal chez Nabe. Le roman dit encore plus la vérité.
                Choron est extraordinaire dans le journal. Qu’est-ce que ça aurait été si le personnage avait été développé dans un roman !
                Dans L’Homme qui arrêta d’écrire, Nabe crée même à mes yeux un nouveau type de personnage de roman, qui n’avait pas encore fait son entrée en littérature : Le Libre Penseur. La figure du complotiste obsessionnel algero-marseillais cinglé dans son inarrêtable flot de paroles. Si ça c’est pas un personnage !

                La transposition de la réalité n’est pas un obstacle à la richesse de la création. Au contraire.
                Le Michel Houellebecq de La carte et le Territoire est un des meilleurs personnages que Houellebecq ait jamais créé . Son Beigbeder est complètemnt raté par contre.

                Je ne crois pas que le roman soit figé (fini ?) aux grands noms que vous citez. On pourrait d’ailleurs en citer d’autres qui comme Nabe ont tenté, par les personnages, l’intrigue, la remise en question de la séparation entre réel et fiction, ou diverses torsions sur la forme romanesque, de faire autre chose du roman tout en lui donnant un nouvel accomplissement.
                Céline, bien sûr, que vous citez, mais qui pourrait justement constituer un contre-exemple. Le Céline de Nord ou de Féérie pour une autre fois est-il un romancier selon vos critères ? Mais également Joyce ou Gadda (la subversion du genre du roman policier), qui font de toute évidence partie des références de l’auteur d’Alain Zannini ...

                La question du roman est une des réflexions de Houellebecq. Il a essayé de son côté de faire de la science-fiction autre chose. Et le résultat n’est pas sans intérêt.
                Enfin pour répondre à votre dernière remarque. Non l’écriture de Nabe dans L’Homme n’est pas houellebecquienne. L’écriture « plate », « neutre » est différente du tempérament morne mais ironique et provocateur des Particules élémentaires, par exemple . Chez Nabe, l’écrivain s’efface volontairement, mais de la façon la plus neutre possible. Toutefois son flot de pensées continue à courir. Et ce flot n’a rien du tout de houellebecquien. Ce sont les personnages qui dans les dialogues prennent tout seuls le dessus par leur « voix » propre, et rendent ce livre paradoxalement très vivant.
                Je pense en outre que de janvier à Septembre date de parution de son roman, Houellebecq a tout à fait eu le temps de lire le livre. Je ne crois pas qu’il ait écrit la Carte à partir de ça, mais il me semble bien probable que l’Homme l’ait amené à en reconsidérer la finition.


                • Jesse Darvas Jesse Darvas 14 novembre 2010 14:17

                  @Petit Jean

                  Intéressante discussion ; il me semble que les meilleurs personnages de Nabe sont des personnages réels (à commencer par lui-même, Hélène, son père et sa mère, mais aussi Choron, Woodyard, Paudras... et bien sûr Lucette, mais aussi Hallier, Sollers...). Que Linden soit condensé dans le Bonheur alors qu’il est dispersé dans le Journal ne change rien au fait qu’il s’agit dans les deux cas du même personnage. Peut-être la richesse des personnes réelles qu’il a connues et son talent de portraitiste ont-ils dispensé Nabe d’en créer d’autres.

                  Céline dans Nord modifie assez considérablement les personnages dont il s’inspire, « transposez ou c’est la mort » disait-il d’ailleurs...

                  Ceci ne conduit d’ailleurs pas à mon sens à dévaloriser Nabe ; le Journal avec ses avatars et prolongements divers constitue une oeuvre réellement singulière ; ce serait moins le cas si Nabe avait fait oeuvre de « romancier » au sens classique.

                  Quant à l’écriture de L’Homme, je sais bien qu’elle n’est pas houellebecquienne ; pas plus que celle de La Carte n’est nabienne (même dans son incarnation la plus récente). C’était juste une manière de contester le raisonnement un peu rapide de l’article.

                  Je ne partage pas votre avis sur Le Libre Penseur, que je trouve franchement rasoir. Pour avoir passé quelque temps à écouter les délires des orateurs de Hyde Park Corner à Londres il y a plus de quinze ans, je ne vois rien de très original dans ce discours et pour le coup son rendu littéraire ne va pas assez loin dans l’exagération pour en faire quelqu’un de réellement intéressant. Mais c’est bien sûr un avis très personnel que personne n’est obligé de partager.

                  Pour finir, je pense qu’il est plus intéressant de mettre en avant l’originalité et l’intérêt propres de l’oeuvre de Nabe (comme vous l’avez fait d’ailleurs sur le site alainzannini) que de chercher à tout prix des traces et échos dans l’oeuvre de ses contemporains. 
                  Bien à vous
                  JD

                   
                   



                • Petit Jean Petit Jean 15 novembre 2010 14:45

                  Intéressante discussion, en effet. Continuons la, si vous le voulez bien . Et pourquoi pas en mettant en avant l’originalité et l’intérêt propres de Nabe ou Houellebecq

                  Le débat porte sur les spécificités d’un genre littéraire : le roman. Je voudrais revenir sur la notion d’intrigue, que vous mettez en avant comme critère distinctif du roman. Qu’est-ce au juste que l’intrigue d’un roman ? Il faut faire attention à ne pas confondre intrigue et structure.
                  On pourrait définir l’intrigue par le « pitch » du roman, le court descriptif de l’histoire et de son évolution que l’on pourrait faire à quelqu’un qui ne connait pas le livre.
                  Prenons alors deux prix littéraires célèbres, un Goncourt et un Renaudot : A l’ombre jeunes filles en fleurs (Goncourt 1919) et Voyage au bout de la nuit (Renaudot 1932).

                  Quelle est selon vous l’intrigue d’A l’ombre des jeunes filles en fleurs ? Comment la raconteriez vous ? Et j’ajouterais en fait y-at-il une intrigue dans ce roman ?
                  Essayez d’en faire le pitch. C’est intéressant.

                  Même exercice pour Voyage au bout de la nuit . Peut-on parler d’une intrigue au sujet du Voyage ?

                  En revanche, je peux assurément vous raconter l’intrigue (proprement policière) d’Alain Zannini, ou celle du Bonheur, ou celle de L’Homme qui arrêta d’écrire ...

                  En quoi vos critères sur la définition d’un roman s’appliquent-ils davantage à A l’ombre des Jeunes filles en fleurs qu’à Alain Zannini ?
                  A moins que vous ne considériez également Proust comme un non-romancier. La notion devient alors très restrictive.


                  • Sérénité océanique 15 novembre 2010 16:34

                    Je me permet d’ajouter mon grain de sel en disant que le journal intime est parfaitement pitchable. Pour preuve : sa bollywoodisasation dans L’Homme qui arrêta d’écrire.


                  • Jesse Darvas Jesse Darvas 17 novembre 2010 15:33

                    Petit Jean : Il faut faire attention à ne pas confondre intrigue et structure

                    C’est vrai ; votre exercice de « pitch » est convaincant - Proust ou Céline « pitchés » ne donnent rien de très intéressant. Il y a une interaction complexe entre le style, l’histoire qui est racontée, le détail de chaque scène, la complexité des personnages... Je dirais que l’histoire, ou l’intrigue, est un élément de structure essentiel pour donner à l’ensemble sa force mais que, seul, elle ne vaut souvent pas grand-chose (même chez des auteurs qui valent presque uniquement pour l’ingéniosité de leurs histoires - Philip K Dick par exemple - il faut le flux romanesque pour lui donner consistance et le défaut de style -c’est le cas de Dick - fait perdre de sa consistance à l’ensemble)

                    Pour revenir sur vos deux exemples, ils sont très différents : Proust éblouit par sa capacité à tisser le fil des jours et des souvenirs, les méandres de chaque sensation ou perception inscrits dans le cadre plus vaste d’une existence (ce en quoi il est d’ailleurs difficile d’apprécier à sa valeur chaque ouvrage isolément, indépendamment de l’ensemble de La Recherche) ; Céline dans le Voyage nous plonge tout de même une suite de péripéties avec des personnages hauts en couleur, dont certains peuvent être très émouvants.

                     S’agissant de Nabe : dans AZ, ce sont les scènes réelles (ou possiblement réelles) qui m’ont emporté, avec la même force que celle du Journal, tandis que les passages ouvertement imaginaires (le suicide collectif des chinois(es) par exemple) m’ont paru plus artificiels. J’ai l’intuition que derrière cet avis fort subjectif, des éléments plus objectifs peuvent être mis au jour mais cela demanderait un travail approfondi d’analyse littéraire que je n’ai pas l’intention de mener à ce jour.

                    Sur L’Homme, c’est un peu différent, la dissociation entre réel et imaginaire étant plus délicate... il faudrait peut-être que je le relise pour répondre plus complètement.


                    • canonhollyestrelladamm 24 novembre 2010 00:41

                      Version:1.0 StartHTML:0000000105 EndHTML:0000005922 StartFragment:0000002359 EndFragment:0000005886

                      Bonjour, je me permet de réagir à vos échanges qui me semblent passionnants…

                      Personnellement ce n’est pas Nabe et Houellebecq que je ne mettrais pas en opposition ! (Houellbecq ne me passionne pas. Dernièrement je me suis ré intéressé à lui et j’ai voulu enfin lire « extension.. » qui traînait depuis longtemps dans ma bibliothèque. J’ai réalisé en le lisant que je l’avais déjà lu ! C’est dire s’il m’avait marqué ! Même effet sur « la carte » aussitôt refermé aussitôt oublié… mais j’admet que ça n’est pas horrible a lire….)

                      C’est Nabe le diariste/pamphlétaire et Nabe le romancier que je n’opposerai pas !

                       

                      Je suis assez d’accord avec Jesse darvas, je trouve aussi que l’œuvre de Nabe est une variation autour des journaux, à la différence notable c’est que moi je qualifierais les journaux comme une sorte de révolution du roman. A mon sens les journaux de Nabe ont un rythme haletant et des effets de narration qui rappel  beaucoup plus les romans de Dostoievski que les journaux de Bloy ou de Kafka. (Toutes digressions comprise).

                      Pareil pour les pamphlets, « lueur d’espoir », « j’enfonce le clou » etc…sont le roman de l’actualité comme on dirait « le roman de renard » !

                      Il y a un coté feuilleton dans les écrits (tout confondu) de Nabe un peu à la manière de Don Quichotte, mais ou chaque épisode serait une expérimentation stylistique mêlant les genres.

                       

                      Alain Zannini par exemple me paraît (et c’est là l’impression de rupture ente le vrai et le faux !) un genre de collage avec des personnages sur différents plans, comme si certains étaient en film et d’autres en dessins animés un peu comme dans « Roger Rabbit ». On retrouve le même genre d’effets dans « l’homme » avec moins de contraste, en fondu enchainé…

                      Mais un personnage comme le policier Alain Zannini ou le pope n’est pas « moins réel », il répond a une autre réalité que le marc Edouard Nabe du même livre qui n’est pas « moins fictif » !

                      Les écrits « réels » comme les « fictifs »sont une transposition ! ( « transposez ou c’est faux !! » ) C’est une réorganisation de la réalité par le faux qui crée le vraie, c’est ça le roman (intrigue et personnages). Un trie par l’imaginaire visant a concentrer (a révéler !) la réalité.

                       

                      Je rejoins complètement petit jean, pour moi c’est la démarche révolutionnaire sur le genre romanesque qui empêche de qualifier Nabe de romancier, un peu comme il était difficile de qualifier Basquiat de peintre…


                      • rahsaan 24 novembre 2010 15:33


                        Une discussion très riche. C’est rare. 
                        Je rebondis sur plusieurs points abordés.

                        Pour lire Nabe, on peut partir de Rideau et tourner autour. Plus qu’un pamphlet, c’est tout un programme littéraire et vital qui s’y trouve construit. Passer par toutes les formes à la disposition pour faire passer ce qu’on a à dire : roman, pamphlet, nouvelle, poème, tout est bon... C’est ça qui est moderne. 
                        Et le livre, quel que soit son genre, n’est qu’une conséquence, pas un but en soi. Un livre pour Nabe est un acte, « et tant pis cet acte a encore l’air d’être un livre ». La Littérature, c’est de ne pas tomber dans les livres, de se complaire narcissiquement dans leur écriture. Pensée directe, qui a besoin de toutes les transpositions pour s’exprimer. 
                        Alors bien sûr, en ce sens, tout est Journal, oui. Mais Journal du passé lointain, Journal du présent le plus immédiat ou Journal de l’Eternité... Il faudrait préciser pour chaque oeuvre. Par exemple, de quoi Loin des Fleurs« est-il le Journal ?

                        Réciproquement, c’est le même effort que doit fournir le lecteur, pour arrêter de se prendre pour le lecteur. 
                        Chaque livre doit ainsi être la conséquence de ce processus de renouvellement de l’écrivain par son écriture. Ce n’est pas un hasard si Nabe aime Les métamorphoses d’Ovide : il en vit plusieurs à chaque nouveau livre. Et c’est au lecteur de se métamorphoser en conséquence, de ne pas se reposer sur son confort de lecture, parce que le livre n’est pas fait pour lui ! C’est au lecteur de se disposer à lire le livre, pas à l’auteur de lui servir sa ration annuelle de »culture« . 

                        A chaque livre, Nabe cherche à en finir avec quelque chose, à le »tuer" : Au régal des vermines, ce sont les années 80 ; le Bonheur, c’est la fin de Marseille ; Rideau, le Spectacle ; Je suis mort, c’est l’écrivain ; Alain Zannini, l’identité etc.
                        A chaque livre, il faut retrouver la victime. 
                        Et en même temps qu’il y a cette mort, il y a une naissance ou une résurrection. Le Régal, c’est l’écrivain qui pousse son premier cri ; Le Bonheur, c’est l’enfance retrouvée avec le soleil ; Alain Zannini, c’est la révélation de soi etc. 
                        Au lecteur de savoir pour chaque livre ce qui doit mourir et naître en lui, s’il veut comprendre quelque chose à ce qu’il lit. C’est là qu’est la littérature : personnages, intrigues et structure sont au service de ce dévouement à une beauté et une vérité dont l’écrivain veut accoucher.

                        Donc il faudrait appliquer le même traitement à L’Homme qui arrêta d’écrire. Nabe a tué les années 2000, mais qu’a-t-il fait naître ?... Voilà une bonne question.


                        Dans tous les cas, il y a une transposition à retrouver. C’est le maître mot. Chaque est écrit dans un genre et en transpose un autre : le Journal est écrit comme un roman, Alain Zannini comme deux journaux superposés, L’Homme qui arrêta d’écrire comme une nouvelle, Rideau est un pamphlet qui vire au traité poétique...
                        Personnage, structure romanesque, châtiments, références, métaphores, citations : tout est transposé ! La littérature, c’est ce qui transpose. 
                        Nabe est romancier pour autant qu’il fait autre chose en même temps. Le maître-mot, l’acte vraiment libre de l’écrivain, dans son expérimentation, c’est : transposer. 

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Pierre BERNARD


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