Pour avoir lu, et de longue date, tant Nabe que Houellebecq, je trouve votre démonstration forcée et bien peu convaincante (je pourrais détricoter vos exemples un à un mais ce serait fastidieux). En somme typique d’un nabisme caricatural tel qu’il s’exhibe malheureusement trop souvent (allant piocher dans des détails insignifiants la preuve d’une prétendue obsession nabienne chez le moindre de ses contemporains), même si la fermeture récente du forum sur alainzannini.com est susceptible de mettre fin aux dérives les plus criantes.
Le vrai point commun de Nabe et de Houellebecq, c’est qu’ils sont tous deux de vrais écrivains mais qu’aucun n’est un romancier : Nabe est d’abord un diariste, un critique et un pamphlétaire (son Journal est une mine d’or, un recueil de trésors enfouis - je lui serai toujours reconnaissant de m’avoir fait découvrir Powys par exemple), Houellebecq un poète. Leur incursion dans le roman est donc toujours insatisfaisante : pleine d’éclairs de lucidité, de passages hilarants ou (plus rarement) émouvants mais jamais à même de construire des personnages dotés de l’épaisseur attendue d’une créature romanesque, ou des intrigues susceptibles de toucher et d’emporter le lecteur (il suffit d’ailleurs de relire le Journal de Nabe pour y trouver les auto-analyses les plus percutantes sur ce point, avec son plan non abouti de retenir la leçon de Cervantès par exemple, dans Nabe’s Dream). J’ai dévoré en quelques jours L’Homme qui arrêta d’écrire et la Carte et le Territoire, parce qu’à chaque fois quelque chose me poussait à poursuivre : un univers, une vision du monde... mais dans les deux cas que de passages insatisfaisants, trop longs ou au contraire trop allusifs... c’est comme ça, et il n’y aurait aucun sens à leur en faire le reproche.
La grande faiblesse du 27ème Livre, à la relecture, c’est que Nabe y projette sur Houellebecq sa vision d’une écriture stratégique, répondant à un plan mûrement construit (voir son récit de la composition du Bonheur dans Inch Allah). L’écriture de Houellebecq n’a rien de tel et lui-même dit très simplement que c’est un processus largement automatique : il ne « choisit » pas d’écrire comme ceci ou cela ou d’aborder tel sujet plutôt que tel autre. S’il a rencontré le succès, c’est que dès Extension du domaine de la lutte (qui reste son meilleur « roman ») il a su percevoir quelque chose de l’époque qui échappera forcément toujours à Nabe, qui n’a jamais connu le salariat.Quant à l’oeuvre finale de Jed Martin, que vous ne mentionnez pas dans votre article, elle recèle quelque chose de réellement tragique (notion qu’on ne trouve nulle part chez Nabe).
Plutôt que de les opposer ou de les mettre en regard l’un de l’autre de manière un peu forcée, il me semble préférable de savoir puiser chez l’un comme chez l’autre la nourriture qu’il peut nous apporter. Je suis d’accord avec votre conclusion : Houellebecq n’écrira probablement plus de roman de valeur et devrait retourner à la poésie - ou à d’autres formes d’expression. Quant à Nabe il continuera à drainer un lectorat qui aime chez lui le refus de tout ce qui est médiocre. Mais ce n’est pas en cherchant de vaines traces de copie chez le premier que l’on apprécier mieux le second.