Bonjour à tous et merci de vos commentaires,
Tour d’abord toutes mes excuses car j’ai dû accélérer cet article pour ne pas manquer ce quarantième anniversaire - et le reprendre sans photos, car celles que je voulais placer en illustration auraient entraîné des problèmes de droits.
Mais vous pouvez aisément les rechercher sur le Web - portraits de Mishima en écrivain, simplement vêtu d’une chemisette, l’air décontracté ; on trouve aussi un interview en anglais, sur Youtube, où l’on remarque combien Mishima maîtrisait bien cette langue, avec rien qu’une trace d’accent. Il y a, bien sûr, la série de postures guerrières, figurant un Mishima vêtu a minima, huilé, bandant ses muscles et tenant son katana (tout pratiquant de kendo, de iaido ou de kenjutsu sait pourtant que plus on fait saillir les muscles, et plus on se raidit... Mishima avait d’ailleurs, à en croire des amis qui ont pratiqué avec lui, les poignets raides, lourd handicap en kendo... donc, il faut voir dans ces poses l’icône et non la manifestation de l’efficacité guerrière !)
Et il y a toute la série de Mishimas dénudés, en Saint Sébastien, ou en martyr de la rose, réalisée par le célèbre photographe Hosoe.
Pour finir, son court-métrage Patriotisme est disponible, désormais, en DVD.
Personnellement, ce sont les portraits les plus classiques, mettant en valeur l’intensité à la fois fragile et puissante de son visage, qui me semblent les plus émouvants.
Pour rebondir sur la discussion ci-dessus, la conception qu’avait Mishima de la nation et de l’empereur était toute personnelle. Il était indéniablement nationaliste - mais à la manière des conjurés de 1936, qui s’en prenaient aux oligarques et banquiers de l’époque (a-t-on jamais vu un fasciste estourbir un banquier ?) et souhaitaient sauver l’empereur malgré lui. S’il réclamait la réassertion de la divinité du Tenno, c’est aussi, surtout, parce qu’il trouvait intolérable que des centaines de milliers de jeunes gens se soient sacrifiés au nom d’un dieu - qui se débarrassait ensuite de sa divinité sans façons, comme d’un anachronisme honteux.
En tout cas, la politisation de Mishima est un phénomène relativement tardive dans sa vie.
Fallait-il prendre au sérieux son armée d’opérette d’une centaine de jeunes gens revêtus d’uniformes imaginés par le tailleur du général De Gaulle (hé oui !!!) ? Le but de la Société du Bouclier était de s’interposer entre l’empereur et les hordes d’étudiants gauchistes qu’on imaginait prêts à fondre sur le pauvre Hirohito. Or ces étudiants (avec lesquels Mishima engagea en public un débat passionnant et courtois de part et d’autre, au cours duquel il reconnaissait la justesse de nombre de leurs analyses) n’avaient aucune intention de perpétrer tel attentat.
Cependant, méfions nous, il s’est trouvé à l’époque des agitateurs bien plus réalistes que Mishima pour imaginer que des groupuscules ou des cellules rompus à la violence pouvaient un jour ou l’autre, à la faveur du désordre, prendre le pouvoir ou tout au moins l’influencer.
Reste la mort spectaculaire de l’écrivain - minutieusement préparé et accompli avec un courage ahurissant quand on sait que le premier coup de poignard que Mishima s’infligea au ventre était nettement plus profond que de coutume. Son assistant, Morita (paix à son âme) ne réussit qu’à se faire une égratignure avant que « Furu » Koga ne l’achevât.
Etait-ce la manifestation la plus éclatante de la subjectivité absolue (Mishima fait dire à son personnage, le vieux juge Honda, que s’il se suicidait, il effacerait de facto tous les immenses buildings de Tokyo, symboles de la puissance capitaliste) ? Ou faut-il chercher dans la tradition tristanienne et dualiste d’un monde mauvais qu’on quitte pour se fondre dans l’Un lumineux de l’indifférentiation ? C’est là une vision du mysticisme oriental qui s’est bien acclimaté aussi en Occident notamment avec les Cathares.
Ou bien était-ce le signe que Mishima l’écrivain avait dit tout ce qu’il voulait dire, et ne souhaitait pas que ses pouvoirs de création déclinassent en même temps que sa vigueur physique ?
La thématique de la Mer de la Fertilité semblerait le suggérer. Pour ceux qui n’ont pas lu les quatre volumes, le fil directeur est ce juge Honda, bien plus spectateur qu’acteur au cours des quatre-vingt années de sa vie. Durant soixante-dix ans, il cherche à reconnaître chez des personnes les plus inattendues la réincarnation de son ami d’enfance, Hiroyaki, dont l’amour-passion pour une jeune fille (la vieille abbesse des dernières pages de l’Ange en Décomposition) occupe le premier volume. Il y a des moments absolument bouleversants quand tel ou tel personnage, qui ne se souvient de rien, au contact d’un lieu chargé de souvenirs ou d’un objet, ressent une impression ou une émotion qui le relie à la première et tragique histoire d’amour.
Finalement, pour revenir sur l’« Incident Mishima » lui-même, rappelons que l’écrivain et ses quatre affiliés, à la différence de leurs prédécesseurs de 1936, se sont gardés de tuer et n’ont infligé que des blessures superficielles en résistant à l’assaut. Et que le général Mashita, au comportement d’une si grande noblesse, a connu une semi-disgrâce par la suite.
Peut-on dire que le dernier acte de Mishima, malgré le dérisoire et le gâchis de ces deux têtes coupées sur la moquette, a été en fait une parfaite réussite ?