Comment apporter aux petits paysans pauvres un revenu qui leur
permette de prendre en charge leurs besoins fondamentaux, de préserver
leur environnement et de fonder des relations humaines sur d’autres
valeurs que celles prônées par le « tout libéralisme » planétaire ?
C’est lors de la première Conférence des Nations unies sur le commerce
et le développement (Cnuced), en 1964, que l’idée « Trade not aid ! »
(« le commerce, pas l’aide ») donne naissance au commerce équitable.
Jusque-là réservée à une clientèle d’initiés, la vieille idée d’une
relation plus juste entre le Nord et le Sud se popularise alors auprès
d’un public que l’on qualifie volontiers d’« alterconsommateur ».
« Créé en tant que commerce solidaire, rappelle la sociologue Virginie Diaz Pedregal, le
commerce équitable a été fortement marqué à ses débuts par l’humanisme
des mouvements religieux chrétiens, ainsi que par une conception
protestante de l’éthique (1). »
D’essence caritative, mais influencé ultérieurement par une approche
politique plus tiers-mondiste, ce commerce solidaire se transforme en
acte d’opposition au système capitaliste. Il devient alors
« alternatif ». Jusqu’à ce que...
« Nous étions et sommes toujours anticapitalistes, opposés aux transnationales », rappelle le prêtre ouvrier Frans van der Hoff, cofondateur en 1988 de la marque Max Havelaar (2).
Pourtant, happé par la vague néolibérale, la démarche « solidaire »
puis « alternative » a muté, au tournant des années 2000, jusqu’à
devenir un « commerce équitable » largement dépolitisé. « L’heure n’est plus à la révolution mais à la réforme, souligne Diaz Pedregal. L’objectif du mouvement est de bonifier le système libéral en le modifiant de l’intérieur. »
Présent dans de nombreux pays du Nord et principal promoteur de cette mutation, Max Havelaar
se trouve au cœur d’un vaste débat renvoyant la démarche à ses
fondements, historiques et politiques. D’un côté, les tenants de la
marchandisation des produits équitables. De l’autre, les promoteurs d’un
modèle exigeant davantage de contenu social et environnemental tout au
long des filières, au Sud comme au Nord, avec en filigrane une
interpellation sur la question essentielle de la répartition des
richesses. En ce sens, l’affaire du coton africain estampillé Max Havelaar – au-delà des polémiques qu’elle suscite – est emblématique du trouble que traverse le monde de l’équitable.
Du retrait de la France coloniale – ayant permis la nationalisation
des filières cotonnières africaines au bénéfice des Etats émancipés –
aux privatisations imposées à ceux-ci par le Fonds monétaire
international (FMI) et la Banque mondiale, conduisant de fait à la
réappropriation de leurs richesses par de puissants oligopoles privés,
le coton est révélateur d’une certaine instrumentalisation du commerce
équitable.
La rémunération des petits paysans africains producteurs de coton est
désormais fixée par le marché, où opèrent de puissants groupes
financiers ou agroalimentaires, comme la société française Dagris
(Développement des agro-industries du sud), détentrice d’un
quasi-monopole sur le secteur cotonnier de l’Afrique de l’Ouest.
Entreprise jusque-là publique, Dagris est aujourd’hui en cours de
privatisation (lire « Paris brade le coton subsaharien »). « Le maintien de Dagris dans la sphère de l’Etat [risquait] de
l’exclure de certaines privatisations, les Etats africains s’opposant
fréquemment à ce que des organismes majoritairement publics contrôlent
les filières cotonnières privatisées », précise un rapport du Sénat français, très favorable à sa dénationalisation, en mars 2005 (3).
Désormais, la volonté du groupe de servir de confortables dividendes à
ses actionnaires s’opposera à l’espérance des paysans de recevoir une
équitable rémunération. Pour couper court à toute contestation, Dagris
s’est tourné vers le « commerce équitable » : sur les deux cent quarante
mille paysans producteurs de coton pour la société, trois mille deux
cent quatre-vingts ont été sélectionnés pour bénéficier du système Max Havelaar (4).
Elimination des petits paysans
Un tel compagnonnage est contesté par Mme Aminata Traoré, ex-ministre de la culture du Mali : « Le commerce équitable fait partie des solutions au drame africain, à la condition que Max Havelaar ne se mette pas avec Dagris. Dagris fait partie du problème. » Mais d’autres considérations emportent la décision de Max Havelaar. « En
2003, l’association affichait un déficit de 350 000 euros, plus 600 000
euros de dettes et un arriéré d’impôts dépassant 700 000 euros. Max Havelaar France se refait une santé financière avec la fibre textile », constate la presse française (5).
De fait, l’association est aussitôt récompensée : 610 000 euros lui
sont versés par le ministère des affaires étrangères français, 500 000
par le Centre pour le développement de l’entreprise (CDE). Au total,
plus de 1,7 million d’euros, toutes subventions comprises, pour la seule
année 2004 (6).
(...)
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