La société Testut radiée de la Bourse de Paris ; Bruno Flocco, son ancien PDG, mis sous les verrous pour abus de biens sociaux ; plusieurs commissions rogatoires en cours ; un avocat qui accuse Bernard Tapie en jurant que son client ne sera pas le seul à porter le cha-peau : tous ces ingrédients font du dossier Testut la grande affaire judiciaire de l’automne. Selon Me Jacques Lammens, le défenseur de Bruno Flocco, c’est elle et non l’OM qui fera tomber Tapie, entraînant dans la tourmente Elie Fellous, président et directeur financier de Bernard Tapie Finance (BTF), lui aussi mis en examen début août pour faux, usage de faux et abus de biens sociaux.
Egalement placés sous contrôle judiciaire, l’un des avocats de BTF et Alain Soury, administrateur du groupe de Bernard Tapie.
Au centre de l’affaire : les liens entretenus par Testut avec l’ensemble de la nébuleuse Tapie. Tout commence quand, incarcéré à la suite d’une plainte contre X à propos d’allers et retours anormaux entre Testut et la société Trayvou, autre filiale de BTF, Bruno Flocco lâche des indications sur les circuits financiers liant entre elles les affaires de Tapie. Dans un entretien accordé à Minute le 25 août, il accuse même Tapie d’avoir financé grâce à Testut la campagne d’Energie Sud, sa liste électorale, et transféré des fonds au profit de l’OM.
Aujourd’hui, la justice peut plonger directement dans les profondeurs d’un système qui a permis à Bernard Tapie d’aspirer la trésorerie des sociétés qu’il a rachetées. En se bornant à un seul exemple - Testut - et en détaillant les opérations comptables d’un exercice bien précis - 1985 -, on dispose désormais d’éléments suffisants pour démonter les rouages de la mécanique. Qu’on en juge.
Dès sa reprise par Tapie, Testut, petite entreprise de matériel de pesage, est vampirisée par le nouveau propriétaire. Mise en règlement judiciaire en 1983, elle fait l’objet d’un concordat qui lui permet d’étaler ses dettes. En 1985, année pourtant marquée par une perte de 18,8 millions de francs (pour un chiffre d’affaires de 227 millions), elle signe plusieurs contrats très généreux avec les sociétés en nom collectif de Bernard Tapie. Testut est ainsi invitée à verser 850 000 francs pour la prise en location-gérance de K|hn et Fléchel, dont Tapie est administrateur. Cette somme doit être revalorisée chaque année de 5 %. S’ajoutent 4,2 millions de francs correspondant à des rachats de stocks. Pour la location-gérance de la SIBPP, autre société du Groupe Tapie, Testut va payer une redevance mensuelle de 5 % du chiffre d’affaires, avec un seuil minimal de 60 000 francs, d’où - rien que pour 1985 - une facture de l’ordre de 1 million de francs, sans compter 160 640 francs d’intérêts sur soldes fournisseurs et 65 000 francs en règlement de la location d’une partie de ses locaux.
Terraillon aussi ferait bientôt l’objet d’une enquête Encore mieux : la SNC Tapie (contrôlée par Bernard Tapie et sa femme) refacture à Testut 1,29 million de francs de frais généraux et 738 225 francs d’intérêts sur soldes fournisseurs ; par ailleurs, elle se fait régler 75 000 francs par mois pour assistance dans le cadre du développement et de négociations diverses.
Ce n’est pas fini ! Toujours en 1985, les ponctions sur Testut continuent par l’intermédiaire d’un contrat en vue de la fourniture d’études et de la livraison d’un capteur. Montant : 18,2 millions de francs. Il faut encore mentionner des transferts de provisions de Trayvou vers Testut, des facturations de commissions sur des contrats avec l’Algérie, des perceptions d’intérêts sur des comptes clients, etc.
Reste à prouver si ce qui est vrai pour Testut en 1985 l’est aussi sur une longue période pour l’ensemble de la nébuleuse Tapie. C’est précisément l’objet des procédures actuelles. De son côté, la COB - qui s’est contentée jusqu’à présent de justifier la radiation de Testut de la cote par les conditions, inacceptables pour les petits actionnaires, dans lesquelles s’est faite la réduction du capital de cette société - ne cache pas qu’elle pourrait aller plus loin. La même démarche serait en cours concernant Terraillon, autre société du Groupe Tapie, mais, pour le moment, le gendarme de la Bourse se refuse à tout commentaire. Ce qui signifie qu’il ne dément pas.
Autant dire qu’un chapitre de l’histoire Tapie est sur le point de s’achever.