Cette résolution, en effet
,
présente un caractère aberrant et constitue un lourd précédent : d’une
part, elle transgresse les principes de non-ingérence et de
souveraineté des États et, d’autre part, elle normalise un peu plus
encore la politique des deux poids et deux mesures, qui caractérise de
plus en plus radicalement l’action onusienne.
Basée sur le postulat rhétorique que le gouvernement de Mouammar
Kadhafi exercerait une répression criminelle « contre le peuple
libyen et les populations civiles éprises de liberté » (dixit Alain
Juppé, ministre des Affaires étrangères français), la résolution
appelle la communauté internationale à interdire tout vol dans
l’espace aérien libyen et à tout mettre en œuvre pour « protéger la
population civile et faire cesser les hostilités »,
soit un texte
relativement vague qui occasionnera certainement bien des exactions de
la part des États intéressés...
Or, le postulat de base est biaisé : le gouvernement libyen, au
moyen de l’armée régulière, pour dictatorial qu’il soit (la légitimité
d’un gouvernement, selon le droit international, ne repose nullement
sur le critère démocratique), ne vise en aucun cas à massacrer des
civils, mais à réprimer une rébellion, armée, qui tente de renverser
par la force l’ordre établi, et ce, en outre, dans un contexte tribal
qui oppose le nord-est du pays (Benghazi et Tobrouk) aux tribus,
majoritaires, qui soutiennent le clan Kadhafi
. Il ne s’agit donc pas
d’un « dictateur massacrant son peuple désarmé » : le chef de l’État,
commandant des forces armées, combat des troupes rebelles, minoritaires,
qui sèment le trouble dans le pays, et ce en parfait accord avec le
droit international, qui fonde la légitimé de tout gouvernement à
exercer souverainement l’autorité sur son territoire, à l’intérieur de
ses frontières.
Une
intervention militaire à l’encontre de l’armée gouvernementale
libyenne reviendrait ainsi à soutenir une rébellion armée qui tente de
renverser un gouvernement légalement établi.
C’est pourquoi plusieurs membres du Conseil de Sécurité de l’ONU
- et non des moindres : la Chine, la Russie, le Brésil, l’Inde et
l’Allemagne, soutenus par la Turquie- ont refusé d’avaliser cette
résolution et se sont abstenus lors du vote.
En outre,
comment interpréter l’attitude des puissances
signataires et de la Ligue arabe (à commencer par l’Arabie saoudite),
qui s’indignent des événements qui se déroulent en Libye et proposent,
Qatar et Émirats arabes unis en tête, une intervention militaire, alors
que, dans le même temps, le roi du Bahreïn, voisin frontalier direct
du Qatar et des Émirats, massacre sans pitié son peuple, des
manifestants civils, non armés, eux, avec l’appui de l’armée
saoudienne envoyée à sa rescousse ? Revoilà donc les deux poids et
deux mesures... Cela étant,
le
gouvernement libyen, qui a déjà repris le contrôle de la majeure
partie du pays, a accepté l’injonction de l’ONU, a décrété
unilatéralement un cessez-le-feu pour éviter les frappes annoncées et a
appelé la Chine, la Turquie et Malte à dépêcher des observateurs.
Mouammar Kadhafi a ainsi désamorcé la crise et coupé l’herbe sous le
pied des Occidentaux désireux de soutenir la rébellion, à commencer par
la France qui avait parié un peu vite sur la chute du régime libyen et
s’est trouvée en mauvaise posture lorsque celui-ci s’est révélé plus
solide que prévu.
Mais la
France est passée outre, invoquant la supposée fallaciosité des
déclarations du gouvernement libyen, et est intervenue en frappant
plusieurs cibles au sol sous le prétexte de « protéger des civils »,
appuyant de la sorte la contre-attaque des rebelles.
En cela,
la question qui se pose est de déterminer les
motivations acharnées de la France à vouloir renverser Mouammar
Kadhafi. L’erreur stratégique
commise par l’Élysée, en reconnaissant les rebelles comme nouveau
gouvernement en Libye, peut expliquer que, dorénavant, la seule option
pour Paris, soucieuse de maintenir son influence sur les ressources
pétrolières libyennes
, est de remplacer le gouvernement Kadhafi par
les leaders de la rébellion qu’elle a soutenue. Et personne n’y
perdrait au change, dans la mesure où Kadhafi ne s’est pas toujours
montré aussi docile que l’Occident l’avait espéré. Aussi,
probablement, un nouveau gouvernement serait-il plus complaisant,
constitué des ministres et diplomates qui, croyant le moment venu, ont
retourné leur veste de ces derniers jours et appelé à la chute du «
dictateur » qu’ils avaient pourtant si bien servi jusqu’à présent.
Mais attention, la partie n’est pas
encore terminée : face à l’armée libyenne, puissamment équipée par
l’industrie d’armement française, dont elle a fait les choux gras des
années durant, les forces d’intervention étrangères pourraient bien y
laisser des vies..
. Et cette résolution fumeuse, à présent qu’elle est
suivie d’effets, risquerait d’entraîner la Libye dans le désordre
dévastateur d’une guerre civile inextricable. " Pierre PICCININ est professeur d’histoire et de sciences politiques
http://pierre.piccinin-publications.over-blog.com ; Texte de la résolution 1973 :
http://www.un.org/News/fr-press/docs//2011/CS10200.doc.htm