Ou alors j’ai p’tet escaladé la montagne par le versant le plus subjectif.
Et je ne me suis pas du tout ennuyé.
Jules Ferry l’avait compris, le meilleur moyen d’ancrer les esprits dans la république et d’en finir avec les incessants retours à la monarchie, consistait à éduquer les esprits dès l’enfance mais en lumière laïque pour faire au moins contrepoids au catéchisme.
Comme j’ai passé mon enfance dans un pays où grouillent les fantômes, j’ai été formé au surnaturel et au métaphysique. A la veillée, les gens racontaient toujours des choses étonnantes mais invérifiables, tu m’étonnes. J’y croyais.
La nuit je faisais des cauchemars et quand mon père arrivait, je lui disais avoir vu un fantôme (ce qu’il pouvait très bien répéter à des tiers, entretenant ainsi le mythe). Car je le sais très bien, je n’ai jamais vu de fantôme, j’ai cru en voir.
J’ai cependant été fantôme.
Ayant vu que Quick et Flupke effrayaient leur quartier en tirant des casseroles attachées à une ficelle, j’ai entrepris de toucher les esprits de deux superbes voisines que je n’osais pas aborder. Une nuit, j’ai enfilé mon kimono de karaté et j’ai démarré un sprint dans la rue en partant de notre maison et en tirant un tintinnabulant attelage de boîtes métalliques. Visant à bien jouer le fantôme, le regard face à la piste, ne regardant donc pas du tout vers les filles, j’ai couru, j’ai couru en me répétant « Je suis un fantôme, je suis un fantôme »
Parvenu devant chez elles, ivre de mon auto suggestion, j’ai soudain eu l’impression d’être devenu un fantôme et j’ai été saisi de panique. La peur de ma vie.
(Les filles m’avaient reconnu et avaient ri de ma bêtise)
Des histoires dans le genre j’en ai des centaines au compteur.
Comme tout ça s’est passé dans un pays très lointain et que je suis arrivé à 15 ans dans une France à Concorde, à centrales nucléaires et à « Pas de géant pour l’humanité ». Comme ici on ne parlait pas à tout bout de champ de fantômes et qu’on allait plus au soucoupisme, je suis vite devenu expert en soucoupes en tous genres. François de Closet qui, à l’époque, était un des princes du soucoupisme (il ne s’en vante pas aujourd’hui et tout le monde l’a oublié) et que je rencontrais dans ses conférences OVNIennes en savait moins que moi. Etant entendu, que je savais surtout et uniquement ce que je n’avais jamais vu par moi même de la chose mais que je répétais dans la plus grande ferveur.
Comme j’avais très facilement fait une première apostasie sur des croyances fantômistes pourtant solidement ancrées dans l’enfance, j’ai trahi sans trop de difficulté mon soucoupisme 1 an après en avoir été un docteur.
Gamin, j’avais à participer à des séances de « table qui tourne ». Dans une version un peu différente. On dessine les lettres de l’alphabet et les 10 chiffres sur la table ronde et chacun pose son index droit sur un bibule glissant (un couvercle de confiture ou plutôt un coeur taillé dans une planchette et doté de 3 punaises en guise de patin glisseur)
On baisse la lumière de la pièce et on appelle un mort. « Momo, si t’es là, fais OUI ». Immanquablement, le coeur se met à bouger, il se déplace sur la table et sa pointe va s’arrêter devant le O. La soirée se passe de lettre en lettre pour le plus grand ravissement des participants. (Qui n’y jouent cependant pas tous les soirs, curieusement)
En fait, ces séances de spiritisme servent à aborder des sujets tabous du genre « Tu crois que Martine est amoureuse de Jacques ? » « Tu crois qu’oncle Léon n’a pas été empoisonné ? »
La force nécessaire au déplacement d’un coeur de bois est de 4 grammes. Lorsque 4 doigts sont posé sur le coeur, en toute neutralité, il se produit fordément un moment où les 3 grammes que Paul exerce malencontreusement vers l’ouest, s’ajoute au gramme que Maryse exerce aussi malencontreusement vers l’Ouest et le coeur se déplace alors vers l’Ouest. Ca c’est en toute neutralité, par exemple entre gens qui ignoreraient que le coeur est appelé à se déplacer.
Dans le spiritisme, comme chacun souhaite que le coeur se déplace, chacun veille à accompagner le moindre premier mouvement (et s’il ne se produit vraiment rien au bout de 4 secondes, chacun va secrètement lui donner un ti coup de pouce très innocent et les autres suivront. Mais entre accompagner et aider le fantôme, il n’y a qu’un gramme de différence. Chacun cherchant à ne pas fatiguer le fantôme, chacun est diligent à l’aider et, dès la troisième minute de jeu, le coeur file à toute vitesse d’une lettre à l’autre pour indiquer que tonton Léon a été « ampoissoné » (car le fantôme fait beaucoup de fautes, sauf si les participants sont agrégés de lettres)
Milgram aurait dû étudier ce genre d’humanités.
Il y a 20 ans, alors que je ne jouais plus du tout avec les planches de fakirs ou les cuillères pliées, une amie a commencé à me faire part de curieux phénomènes qui se produisaient chez elle. Inutile que je vous les décrive, ouvrez n’importe quel bouquin à f comme fadaises et ce sera pareil. Or ces phénomènes se produisaient dans l’appartement de mon amie uniquement quand son nouveau et jeune ami était là. (Elle avait 65 ans et ce garçon 27). Comme mon amie parvenait à obtenir des messages de la part de ma mère défunte grâce à la présence de ce jeune compagnon, elle le qualifiait de médium.
A l’époque, je n’avais pas compris qu’elle cherchait ma caution afin de déculpabiliser de coucher avec ce garçon. J’avais bêtement entrepris de faire vivre à mon amie exactement les mêmes phénomènes étranges mais en ma présence, l’autre médium étant absent.
Une fois que je lui eus exécuté tous les numéros de son gigolo (lustre qui balance, boîte à musique qui démarre, porte qui se referme, messages qui apparaissent sur son ordinateur...) sauf le début d’incendie, je lui ai expliqué comment je m’y étais pris pour lui donner l’illusion de surnaturel.
C’est alors que la soirée a tourné au vinaigre. Elle a été très contrariée par mon entreprise de démystification. Et au bout de 15 minutes, face à ses résistances, j’ai soudain compris la vérité sur ces conneries. Il y a des gens qui ont besoin d’y croire et il ne faut surtout pas les déranger dans leur trip.
Hier, Sandrine Lagorce avait publié un papier sur le surnaturel. Je le suis abstenu de tout commentaire.
Et ici, je ne suis intervenu que pour papoter avec quelqu’un qui ne semble pas avoir besoin d’espaces libres.
Les espaces métaphysiques sont des espaces de liberté où il n’y a aucune règle ni standard alors que l’espace du lucide est limité par la perspective de notre mort.