La déclaration des droits de l’homme de 1789 met en évidence le conflit entre la position anthropologique et la position libérale . Je cite :
Article IV : La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société, la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi
Article V : La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.
Article VI : La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse.
Schématiquement, le point de vue libéral est contenu dans l’article IV : la seule limite à la liberté est celle qui est imposé par la liberté des autres individus alors que le principe anthropologique est contenu dans les articles V et VI : en effet, sont défendues les actions nuisibles, non seulement aux autres individus, mais à « la société », celle-ci étant assimilée à « la volonté générale » de l’article VI
Implicitement , la DDH reconnaît , en plus de l’existence des droits individuels, des normes sociales non écrites qui peuvent éventuellement dans certains cas faire l’objet de lois écrites si elles se mettent à être transgressées trop souvent au point d’entraîner une sensation de malaise collectif dans la société, ou un trouble à l’ordre public.
Ainsi, la loi interdsant la burqa et le niqab ne fait que traduire législativement le profond malaise généralisé provoqué par cette transgression d’une norme sociale française non écrite ( cette norme est d’avoir le visage découvert en public ), et paraît en apparence s’opposer à l’article IV de la DDH.
Ainsi, le fait de se promener nu dans la rue est également interdit alors que cela n’entraîne aucune nuisance objective à autrui.
Parfois, le législateur privilégie la liberté individuelle par rapport au normes sociales. C’est le cas des pays qui ont légalisé le « mariage » homosexuel. Le corollaire de ce type de législation, c’est qu’il devient dans ce cas nécessaire de faire des lois censurant l’ancienne norme sociale ( dans ce cas, des lois censurant l’homophobie ), car cette ancienne norme sociale ( rejet de l’homosexualité visible) n’est supplantée ( en France ) par la nouvelle norme sociale ( homosexualité considérée comme une variante de la norme ) que dans certains quartiers de Paris et des grandes agglomérations. Il suffit d’imaginer la réaction qui surviendrait si un couple d’homosexuel(le)s s’embrassait dans un bistrot de campagne ou de « zone urbaine sensible » pour comprendre que les lois non écrites des normes sociales peuvent être beaucoup plus puissantes que les lois écrites supprimant celles-ci !
L’application intégrale des principes libéraux aboutit à l’anomie ( disparition législative de toutes normes sociales, seuls restant prohibés les actes objectivement nuisibles à autrui ) mais ceci aboutit à un paradoxe : la nécessité de la création de nouvelles législations fort contraignantes pour assurer à chacun la possibilité de transgresser sans risque les normes sociales non écrites du passé censées avoir disparu, mais qui, dans le monde réel, existent toujours, et pour longtemps ! Une nouvelle norme sociale inflexible est donc édictée, qui interdit de garder ou de préconiser d’anciennes normes ( une sorte d’application du fameux slogan soixante-huitard « il est interdit d’interdire » )
D’un point de vue libéral, il n’y a évidemment aucune raison d’autoriser le mariage homosexuel et d’interdire simultanément les autres formes anomiques du mariage ( mariage incestueux, mariage à trois , à quatre, polygame, polyandre )
A noter que certaines de ces formes anomiques pour nous étaient « normales » dans certaines civilisations ( exemple , le mariage incestueux dans l’Egypte pharaonique et le mariage polygame dans le monde musulman et chez les mormons ).