Tiberius :
Donc je n’avais nul besoin de vous dire combien l’étude des travaux des néoconservateurs était essentielle pour comprendre les tenants et les aboutissants des guerres qui ont été livrées au nom de leurs idéologies...
Intéressante ? Certes. Essentielle ? Permettez-moi d’en douter. Comme vous le dites vous-même, cela ne reste qu’une idéologie. Pas plus que l’URSS post-stalinienne en son temps, les États-Unis ne se laissent guider par l’idéologie. L’idéologie sert à cautionner, justifier, tromper (les naïfs), rallier... mais ne constitue que rarement un facteur explicatif. Ça peut arriver (en RI, tout peut arriver...), mais ça reste en général exceptionnel. La prise de décision en politique internationale est tributaire, dans les États modernes, de différents groupes d’intérêts et de pouvoir, contraintes (essentiellement sécuritaires et économiques), gains et risques potentiels, des individus et des circonstances (l’opportunisme n’est pas à exclure). D’autre part, la politique étrangère d’États-nations historiques (Grande-Bretagne, Allemagne, Russie, France, Chine....) s’inscrit dans une perception et une lecture du monde fortement marquée par leur héritage culturel, ainsi que leur situation géographique et politique. C’est ce qui est particulièrement intéressant en géopolitique, par rapport à une lecture basée sur le droit international seul : la géographie, la réalité du terrain impriment une marque indélébile dans les nations, qui s’inscrit en filigrane de leur politique étrangère, sur des siècles, voire des millénaires pour certains (le meilleur exemple et sujet d’étude est sans doute la Chine). Cet héritage de l’histoire et du terrain est une donnée lourde, pas forcément facile à décrypter et à lire, mais il est toujours là.
Et je ferai par conséquent comme si je n’avais pas lu le paragraphe sur le pipeline en Afghanistan qui aurait motivé la guerre.
Je développe rapidement. Celui qui contrôle l’Afghanistan contrôle la route entre l’Orient et l’Occident. Et contrôle par là-même toute l’Asie, l’Asie Centrale, l’Eurasie (c’est à dire, la Russie) et même la Perse (soit : l’Iran). Imaginez une base américaine sécurisée plantée là-dedans : elle menacerait à la fois la Russie, la Chine et l’Iran. Imaginez un réseau de gazoducs et d’oléoducs afghan - il rapprocherait soudainement l’Iran et la Chine (et permettrait à la fois de prélever une rente, et de faire pression), mais permettrait aussi de court-circuiter tout le réseau de distribution centre-asiatique russe, longuement et patiemment négocié, construit, renforcé, sécurisé sur des décennies (ce qui serait une catastrophe pour les avatars russes Gazprom et Rosneft, constituant l’outil stratégique majeur de Poutine). Sans compter par ailleurs que l’Afghanistan abrite des gisements de minerais colossaux (fer, cuivre, cobalt, or et même lithium). Il est, accessoirement le premier producteur mondial d’opium. L’intérêt de l’Afghanistan, pour toute puissance mondiale ou régionale est tellement évident que je m’étonne que cela vous échappe. Le pipeline Unocal n’est qu’un amuse-gueule à côté de tout ce que représente ce pays.
Il y a juste un problème : il est incontrôlable. C’est un non-État et une zone tribale de non-droit, du moins, d’après les critères politiques actuels. Il n’y a quasiment pas d’infrastructures, aucun contrôle bureaucratique, le moindre village fait sa propre loi, et les frontières sont largement poreuses. Pour bien comprendre de quoi il s’agit, le mieux est que vous lisiez Olivier Roy, spécialiste éminent et unique en France de ce pays. Pour employer un aphorisme éloquent, l’Afghanistan est le dernier pays fondamentalement libre du monde... et bien déterminé à le rester.
Enfin, il est non moins évident que sur un plan purement stratégique, c’est une pièce majeure du dispositif de containment mis en place par les États-Unis à partir de 2001 à l’encontre de l’Iran. Regardez bien la carte de cette zone. L’Iran est entouré par la Turquie, l’Ouzbékistan, l’Arménie (et au-dessus, la Géorgie), le Turkménistan, le Pakistan et enfin l’Afghanistan. L’encerclement semblait achevé, avec l’invasion de l’Irak, de l’Afghanistan, et les bases arrières au Pakistan, en Ouzbékistan et enfin au Turkménistan, le tout couronné par les candidature ukrainienne et géorgienne à l’OTAN. Cependant, les pièces du dispositif américain s’effondrèrent une à une à partir de 2005 environ (année du retournement pro-russe ouzbek). Aujourd’hui, il n’est plus question d’OTAN pour l’Urkaine et la Géorgie (écrasée en 2 jours par l’Armée Rouge en 2008). Le projet Nabucco est mort et enterré, au profit de South Stream. Bref, il est plus que temps pour l’Oncle Sam de faire ses valises. Avec l’alliance Pakistan-Chine qui vient d’être conclue, c’est encore une position de perdue pour Washington. Le Yémen et et le Bahreïn sont en pleine guerre civile, et il devient de plus en plus délicat de maintenir l’approvisionnement du corps expéditionnaire occidental en Afghanistan (dépendant en partie, au moins pour ce qui passe par la Russie, du bon vouloir de... Poutine).
Vous qui semblez adepte des plans sur la comète des néo-cons, avez certainement lu « Le Grand Jeu » de Brzezinski. Ce qui se trame là, c’est en effet la continuation du Grand Jeu entre l’empire Russe et la Grande-Bretagne au XIXe siècle, mais avec les États-Unis en successeurs des Anglais. Et, au lieu d’une partie d’échecs, ça ressemble plutôt à une partie de go... Vous trouverez là un excellent article de A. Chauprade résumant les enjeux et les stratégies des protagonistes : http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=15249 . Bien que très synthétique, c’est autre chose que la propagande délirante dont on est abreuvé continuellement sur ces sujets depuis 10 ans.
Juste une dernière précision : Je n’ai pas dit et je ne crois pas que la
tragique farce de l’invasion irakienne soit la cause des printemps
arabes ! Je dis juste que pour le meilleur ou pour le pire, ces révoltes
populaires ont remis de façon inattendue les théories des
néoconservateurs au goût du jour.
D’accord, j’avais mal compris. Pour les théories des néo-cons, je pense que c’est pour le pire. Bien au contraire, Obama devrait s’en méfier comme de la peste et adopter une politique plus... réaliste.
29/05 10:29 - Tiberius
29/05 10:26 - Tiberius
Alors quoi c’est tout, vous ne vous demandez même pas pourquoi je ne cherche pas à (...)
29/05 02:01 - Bovinus
29/05 01:09 - Tiberius
Vous ne cherchez même plus à cacher votre désir de me nuire et vous espérez que je vais vous (...)
28/05 20:55 - Bovinus
Ah, voilà qui est amusant. En revanche, j’imagine aisément la somme d’ennuis (...)
28/05 20:29 - Tiberius
Plaisantin ! :-)) Vous ne pensiez pas sérieusement qu’en me traitant de bonimenteur et (...)
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