Merci tikhomir de porter la discussion sur ce point sensible.
Il est clair que les amants sont généralement portés par cet idéal qui consiste en un aban-don de soi total et irréversible.
C’est presque la loi du genre : les amants, comme les mariés, se promettent l’éternité, l’infini ou plus prosaïquement l’indéfini (jusqu’à ce que la mort nous sépare…).
C’est là le point qui rapproche le plus l’amour courtois du mariage et qui a permis la récupération de celui-ci par celui-là. Il a suffi de passer de la promesse orale à l’engagement écrit, le contrat, signé au bas du parchemin.
La perspective que vous présentez sur la mariage m’interpelle fortement, elle me questionne, car je suis moi aussi catholique, par éducation et, à présent, par conviction.
Seulement je le suis de manière très personnelle, un peu révolutionnaire car inspirée, à tort ou à raison, par certaines pensées du Christ qui m’ont toujours accompagné même durant ces années où la religion avait complètement disparue de ma vie quotienne. J’étais alors un ardent darwinien prompt à critiquer les tentatives des croyants pour régenter la connaissance, notamment sous le rapport de l’évolution.
J’ai ainsi conservé au fond de moi certaines paroles fortes comme, par exemple, cette idée que « Que celui qui veut me suivre quitte son père, sa mère, sa femme, ses enfants. » Je l’ai intériorisée comme le fait que tout ce qui est de l’ordre l’attachement risque de faire obstacle à la quête de vérité.
Ou, pour le dire autrement, la quête de vérité passe par la liberté.
Bien sûr, j’ai aussi l’intime conviction et je vis au jour le jour le fait que tous nos affects sont, bien sûr, les bienvenus, ils sont la vie même, sans eux elle serait vidée de sa substance. Mais il importe néanmoins de travailler à conserver sa liberté et de ne pas se laisser asservir par des automatismes mentaux et sociaux.
Pour en revenir au mariage, cela m’amène à poser la question suivante : « pourquoi se promettre l’éternité ou l’infini ? » Pour quelle raison deux êtres s’engageraient réciproquement de la sorte quand il est tellement évident que dans une proportion phénoménale, ils vont avoir mille occasions de regretter un tel engagement et qu’une proportion grandissante d’entre eux en viendra même à dénoncer le contrat consenti ?
Qu’apporte le fait de dire à l’autre je me donne à toi pour la vie ? Il me semble que c’est avant tout le moyen de dire à l’autre qu’on lui accorde la plus grande valeur possible. Le problème c’est que, ainsi que Sartre le disait (cf. la citation de Marcuz dans l’article précédent), cela n’a aucun sens de rester avec une personne simplement parce qu’on a pris un engagement à son égard et que l’on entend rester fidèle à sa parole.
Choisir la fidélité à sa parole c’est décider de rester avec une personne alors que l’on a plus d’attirance pour elle. Cela me semble assez infernal non seulement pour celui ou celle dont le désir a faibli mais pour les deux amants car, quel intérêt d’avoir un conjoint attaché simplement par la parole donnée ? Que vaudront alors les moments partagés, la vie vécue à ses côtés ? Que partagent alors les pseudo-amants après cette drastique dévaluation du vécu ? Une co-présence sous contrainte due à un ordre moral qu’elles s’imposent !
Qui ne voit ici que la logique du « pour toujours » sert avant-tout des fins sociétales ? Celle de la pérennité et donc de la stabilité de la cellule familiale et de toutes ses « propriétés » ?
Même si les contingences anciennes continuent de valoir à notre époque, il n’est pas assuré qu’elles prévalent. Il n’est pas assuré qu’elles doivent prévaloir.
C’est pourquoi, précisément, j’ai tenté de pointer la nécessaire renaissance de l’amour courtois, qui, il faut y insister décidément, est, en son essence, antinomique du mariage. De Rougement l’a très bien exprimé.
L’amour courtois est une ascèse pour le désir qui, tout naturellement, tout logiquement, se nourrit de l’obstacle. Car la satisfaction tarit le désir. L’obstacle le provoque, le suscite, l’entretient, le décuple.
Et dès que l’on accède au stade où, tel les chevaliers dévoués à la dame inacessible, on peut sincèrement renoncer à la possession de l’objet du désir pour se satisfaire seulement de l’incandescance de son désir, on est propremenet projetté dans le nirvana étant donné que, « par construction », cette incandescence ne fera jamais défaut, ce désir ne s’éteindra pas.
Pas tant que nous aurons décidé de rester dédié corps et âme à cette passion, c’est-à-dire, car il faut le dire, cette souffrance.
Dans cette perspective, le ressourcement ou l’accomplissement de l’amour courtois passe à mon sens par la volonté délibérée des deux amants de ne pas offrir de prise aux besoins sécuritaires dont ils sont l’un et l’autre nécessairement porteurs, la nature de l’humain étant ce qu’elle est.
D’où cette idée de vouloir l’autre absolument libre. Donc libre de partir à tout moment pour, peut-être, ne jamais revenir.
Certes, c’est renoncer à la sécurité et opter pour l’insécurité, l’intranquilité, l’incertitude. Mais c’est elle qui tient la conscience en alerte, qui pique le désir au vif et fait le désir intarissable de la présence auprès de soi d’un être qu’on sait libre et qui nous choisit librement.
Il me semble que la véritable rencontre est à ce prix.
Et rien n’empêche ceux qui vivent le miracle d’une telle rencontre de la faire durer autant que souhaité, pour autant que ce soit au travers d’un constant renouvellement de leurs vœux de présence l’un à l’autre, par constant accordage.
C’est cela que je proposais au travers de l’idée d’une « marche » dont les amants conviendraient du début et de la fin et qui pourrait être renouvellée ad libitum constituant à chaque fois l’occasion pour l’un et l’autre de se dire leur respect mutuel, leur respect pour la liberté de l’autre en même temps que l’actualité de leur désir l’un pour l’autre.
Je ne connais rien de plus désirable que cela. Si je ne craignais de verser dans l’hérésie, je chercherais volontiers à développer un conception du mariage à partir de là. Mais bon, ce n’est pas nécessaire, en tout cas, pas pour le moment.
30/08 21:32 - Gaelletv
Bonsoir Eleostearique, Ma page ne s’était ouverte qu’à un de vos posts, à présent (...)
30/08 21:13 - Gaelletv
Bonjour Eleostearique, Je ne comprends pas bien si vous êtes polyamoureuse. Je suis (...)
12/06 15:59 - Eleostearique
Oui, vous avez bien compris. Je parlais du mariage religieux en général. Je suppose que vous (...)
11/06 22:30 - tikhomir
11/06 21:46 - Luc-Laurent Salvador
" il ne s’agit pas de faire la morale, d’imposer un point de vue, etc.. (...)
11/06 21:40 - Luc-Laurent Salvador
Tout à fait d’accord avec votre remarque sur l’éternité. J’ai utilisé ad (...)
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