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Commentaire de docdory

sur De quel territoire dévasté le Goncourt 2010 est-il la carte ?


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docdory docdory 16 juin 2011 23:36

Cher Paul Villach

Je vais donc semble t-il être le seul défenseur de Houellebecq ici !
Je suis évidemment assez mal placé pour faire une critique littéraire, dans la mesure où je n’ai aucune connaissance en littérature, que mon inculture dans ce domaine est aussi profonde que la fosse des Mariannes, et que je fus pendant toute ma scolarité la bête noire de mes profs de français !
Malgré mon incompétence, je vais essayer d’expliquer pourquoi j’ai profondément aimé ce livre.
Tout d’abord, j’ai du mal à comprendre que l’on puisse s’ennuyer en le lisant. En effet, la première partie comporte des passages satiriques d’un comique irrésistible.
Ne trouvez-vous pas hilarantes les démêlées de Jed Martin avec les sociétés de plomberie faisant de la réclame sur internet ? On dirait du Jérome K Jerome ... 
Houellebecq a l’art de faire des portraits au vitriol de personnages secondaires, ainsi celui de Patrick Forrestier, le cadre de Michelin, du couple de restaurateurs homosexuels, dans une autre scène est décrite (page 27 ) sa voisine habillée de patchwork cheveux teintés de henné, probablement une psychanalyste en retraite, qui se charge de faire virer les clochards par la police. N’est elle pas, décrite en quelques mots la caricature de la femme de gauche bobo post soixante-huitarde, du genre à militer pour les droits des sans-papiers et qui, d’un autre côté, va faire expulser les clochards qui squattent les alentours de son immeuble ? 
Dans les analyses qu’il fait des modes d’emploi ( tel que celui du nouvel appareil photo que s’est acheté Jed Martin ), Houellebecq rend à merveille le sentiment d’égarement ébahi que l’utilisateur d’un de ces appareils éprouve en en lisant le mode d’emploi ( J’ai du laisser tomber il y a un mois mon vieil appareil photo argentique pour un appareil numérique. Après quinze jours de lecture du mode d’emploi de celui-ci, je ne sais toujours pas prendre une photo ! )
La scène la plus hallucinante du livre , quasiment fellinienne, est celle de la grotesque et kitschissime réception à thème chez Jean Pierre Pernaut, dans laquelle tous ces riches et célèbres convives se bourrent la gueule sans retenue et se conduisent comme des adolescent à leur première surprise-party.
Ce que j’aime dans ce livre, c’est le contraste entre cette satire sociale réjouissante et l’extrême profondeur et la gravité des nombreux autres sujets qui sont abordés.
L’évocation de la relation complexe entre Jed Martin et son père est tout simplement bouleversante, l’histoire d’amour ratée entre Jed Martin et Olga est également magistralement décrite.
Très intéressante aussi l’enfance et l’adolescence de Jed Martin. En réalité, même si il est rentré un peu par effraction dans le milieu des artistes contemporains cotés, il s’agit en réalité d’un très grand artiste, virtuose de la peinture figurative dans la deuxième partie de son oeuvre. Dans la troisième partie de son oeuvre ( qui est racontée dans l’épilogue ) , Houellebecq le décrit en tant qu’inventeur d’une technique étrange et révolutionnaire. D’une certaine façon, Houellebecq se met réellement dans la peau du personnage de Jed Martin, et les détails techniques qu’il fournit parviennent à faire que le lecteur s’imagine en train de contempler ces nouveaux concepts artistiques . ( NB : Si beaucoup d’artistes contemporains m’ennuient, certains ont malgré tout du génie, il ne faut pas mettre tous les artistes contemporains dans le même panier ) .
La description de l’amitié naissante entre Jed Martin et Houellebecq , ainsi que les conversations qu’ils ont ensemble sont également captivantes.

Mais là où Houellebecq décoche ses flèches les plus empoisonnées , c’est dans la critique de ce que l’on pourrait appeler l’idéologie bobo de gauche politiquement correcte . 
- Le dogme du « métissage » comme évolution culturelle positive est ridiculisé dans la scène de la soirée chez JP Pernaut : on assiste à une cacophonie commençant par un groupe de binious stridents, suivie par un groupe polyphonique corse, d’un concours de chansons paillardes et , cerise sur le gâteau, d’un groupe de « groove savoyard » . En tant que musicien amateur, rien qu’à essayer de me représenter ce que pourrait être la monstruosité musicale hybride émanant d’un groupe de groove savoyard, je suis pris d’une crise de fou rire !
- L’admiration béate devant « les minorités » est brocardée page 86 : les restaurateurs homosexuels s’extasient parce que pour la première fois, un trois étoiles au guide Michelin a été attribué à un chef transsexuel !
- Enfin, l’idéologie des paris « verts » est disséquée au scalpel : les établissements d’euthanasie suisses « dignitas » de Zurich ( qui ont fait passer de vie à trépas le père de Jed Martin ) font l’objet d’une plainte des écologistes locaux, car le rejet des cendres d’euthanasiés dans le lac favorise la pullulation d’une carpe brésilienne au dépens de l’omble chevalier et autres poissons locaux ( page 368 ) Néanmoins, les écologistes locaux soutiennent les établissements « dignitas » dans leur action. 
Là, Houellebecq frappe un grand coup. Dans l’idéologie politiquement correcte qu’affectionnent en général les partis « verts », l’euthanasie est immanquablement présentée comme un progrès. Houellebecq décortique la face sombre de cette pratique criminelle et met les écologistes en face de leur déliquescence morale complète : la seule objection qu’ils formulent à cette lucrative et inhumaine usine à mourir n’est pas le recul absolu de la civilisation qu’elle représente, mais le déséquilibre écologique qu’elle occasionne chez les poissons de lac !
Je dois dire que la scène dans laquelle Jed Martin file une raclée à la responsable de cette usine à mourir m’a plongé dans une sombre délectation.

Quant à l’intrigue policière qui fait l’essentiel de la troisième partie du roman, c’est justement la description fouillée des personnages des flics, et en particulier de Jasselin qui en font tout l’intérêt. Les digresions sur les mouches ( et autres digressions qui émaillent ce roman ) font une grande partie du charme de ce roman.
Un des points cruciaux du roman est la conversation entre Jasselin et Jed Martin dans la gargote autoroutière .
On découvre en réalité que Jed Martin est à l’opposé de l’idéologie de l’excuse qui caractérise les bobos de gauche,si fréquents dans le milieu de l’art contemporain. Il soutient la police, croit à la culpabilité et au châtiment.
D’une certaine façon on comprend pourquoi son responsable de galerie, son attachée de presse lui conseillent de garder autant que possible le silence pour mieux vendre : Jed Martin est une sorte d’érudit imprégné de tradition religieuse, regardant des émissions « de beaufs » à la télévision, ne s’intéressant pas aux journaux, et ayant des conceptions existentielles qui seraient unanimement considérées comme « réacs » , qui suffiraient à rendre ses tableaux invendables si elles étaient découvertes !
Je m’aperçois que, pour vous répondre , j’ai passer une bonne partie de l’après midi à relire passionnément « la carte et le territoire, » et à y découvrir des choses qui m’avaient échappées en première lecture !
Bon, il y a une dernière raison à mon admiration devant ce roman, c’est que je me sent en général très proche des personnages Houellebecquiens , avec lesquels je n’ai aucun mal à m’identifier. 


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