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Commentaire de Bovinus

sur Il faut renforcer l'Euro et non le supprimer


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Bovinus Bovinus 9 août 2011 02:14

@ REMY Ronald

Votre réponse a au moins le mérite de la sincérité, et d’une certaine cohérence, et par ailleurs, il est appréciable que vous preniez la peine d’en faire une, ce qui est rare de la part de vos collègues.

Il me semble néanmoins, en tant que citoyen lambda ayant un peu étudié et beaucoup observé, que vos propositions sont vouées à l’échec. L’euro a au moins une chose en commun avec le dollar : le fait que cette monnaie est émise par des intérêts privés (semi-privés dans le cas des États-Unis), c’est à dire, d’établissements financiers qui n’ont rien à voir avec l’État, mais qui prêtent à celui-ci de l’argent contre rémunération. N’est-il pas étrange tout de même de constater que le déficit américain n’apparaît qu’à partir de 1913, c’est à dire, l’année de la création de la FED ? N’est-il pas tout aussi étrange de constater que le déficit français n’apparaît qu’à partir de 1973, année de l’entrée en vigueur de la loi Giscard-Pompidou ? Le fait est qu’à partir du moment où on emprunte à un usurier (et les banques ne sont finalement que cela), il y a peu de chances d’en sortir indemne. Le fait est, quel que soit le mécanisme, la loi, l’institution qui organise ce pillage, que de nos jours, les États occidentaux (j’insiste sur ce critère géographique, car beaucoup d’autres États ne sont pas occidentaux et s’en tirent très bien avec le bon vieux système de la création monétaire par l’État lui-même) sont obligés de recourir à des prêteurs privés pour obtenir de l’argent, qui est un bien national, public. Il y a là un paradoxe difficilement justifiable. L’argument invoqué habituellement est celui de l’inflation : laissez l’État émettre sa propre monnaie, et c’est l’hyperinflation façon République de Weimar. C’est totalement ridicule. Premièrement, ce qui a ruiné la République de Weimar, ce n’est pas l’hyperinflation, mais la crise de 1929. Deuxièmement, le système de l’État qui emprunte au banquier est une chose finalement très nouvelle. On faisait comment, avant ? Troisièmement, quand un pays crée de la richesse (pas de la monnaie de singe, de la véritable richesse : infrastructures, capital industriel, produits manufacturés, outils, machines de toute sorte, denrées alimentaires, brevets...), il y a forcément de l’inflation, c’est logique : la monnaie n’est qu’un symbole censé représenter sa contrepartie en richesse réelle. L’inflation est le phénomène résultant de l’ajustement des deux plateaux de la balance : si le plateau richesse s’alourdit, il faut bien alourdir le plateau monnaie pour rétablir l’équilibre, non ? Là où ça devient préoccupant, c’est quand on ne produit que dalle, mais que l’on constate tout de même une inflation, aussi faible soit-elle par ailleurs. C’est la situation où se trouvent TOUTES les économies occidentales aujourd’hui : croissance anémique (et encore, je me demande sérieusement si en réalité, les chiffres dont on dispose ne seraient pas trafiqués), mais inflation tout de même (faible, j’en conviens, mais après tout, avec tout ce qu’on s’évertue à faire pour la limiter, quitte à traîner 20% de chômeurs et de précaires, il aurait été très malheureux qu’elle soit flagrante). Il y a un nom pour cela également : stagflation. Tous les économistes, qui ne sont pourtant guère d’accord sur la plupart des sujets, sont d’accord sur le fait que c’est un symptôme inquiétant.

Par ailleurs, il n’est pas très logique d’imposer la même monnaie aux Irlandais, aux Italiens, aux Maltais et aux Allemands. Il est logique et normal que les seuls à en tirer un quelconque profit seront les Allemands, du fait de leur supériorité industrielle et de leur excellence à l’exportation. Les autres, TOUS les autres, ne pourront qu’en être pénalisés, du fait de la cherté de cette devise. Vous nous dites que l’euro nous protège des attaques spéculatives... Foutaises ! Veuillez m’excuser pour l’expression mais je n’en vois pas d’autre. Il ne serait guère difficile à n’importe quel État maître de sa monnaie et un tant soi peu protégé au niveau de l’entrée et de la sortie des capitaux de stopper toute manœuvre de masse à la baisse ou à la hausse sur sa devise nationale. Ce genre d’attaques n’est possible QUE parce que les marchés des capitaux financiers sont totalement ouverts et que les États ne sont guère en mesure de contrôler quoi que ce soit. Pensez-vous qu’une « attaque spéculative » sur le yuan serait envisageable ?

À la rigueur, l’euro serait concevable comme deuxième devise, à côté des devises nationales. On pourrait imaginer un système où le commerce intra-européen, ou un part de celui-ci, se ferait en euros, mais où le commerce national se ferait en monnaie nationale. L’euro aurait alors le même rôle que l’or. Dans ce cas, autant restaurer l’étalon-or au niveau européen, et international. Je pense que le monde entier ne s’en porterait que mieux. On ne peut manipuler du physique sur un écran d’ordinateur comme on manipule du virtuel.

Enfin, votre raisonnement repose sur un paradigme économique - celui de l’économie de l’offre (qu’on appelle souvent économie de marché, ou consumérisme) qui est en train de changer. Non pas que les décideurs le veuillent, bien au contraire, mais simplement par la force des réalités. Il est clair que nous ne sommes pas capables de tenir la concurrence face à des pays comme la Chine (bientôt l’Inde et le Brésil) dont les coûts de fabrication sont ridicules par rapport aux nôtres. Je ne parle pas seulement des salaires, il faut également prendre en compte tout ce qui va avec : systèmes de protection sociale, infrastructures, services publics, etc. En fait, actuellement, on met en concurrence quasi-totalement dérégulée des continents entiers, en disant que cela profitera à tout le monde et qu’il va se produire en nivellement par le haut. Foutaises, encore une fois. Ce qu’il se produit, c’est en effet un nivellement, mais surtout par le bas. Encore quelques années, et on sera tous devenus des Chinois. On va travailler 15h par jour minimum, on va dormir et manger dans les ateliers, et on aura droit à 3 jours de congé par an pour aller voir la famille au moment du Nouvel-An... chinois. L’argument systématique qu’on nous sort quand on invoque cette évidence est que notre atout est celui de l’innovation, qui permettrait de produire à plus haute valeur ajoutée, et de préserver ainsi notre niveau de vie. À l’évidence, cela ne tient pas non plus. Il s’avère finalement que les Chinois ne sont pas plus stupides que nous, copient très bien, et n’hésitent pas à recourir à l’espionnage industriel. En réalité, ils nous rattrapent à vitesse grand V. Ils viennent même d’effectuer très récemment leur premier vol spatial habité, chose que nous, Européens arrogants ne sommes pas foutus de faire (à moins qu’on ne déclare très opportunément que les Russes sont également des Européens arrogants, auquel cas notre honneur serait sauf pour encore quelques décennies). Signe des temps sans doute, sur ce point particulier, je ne peux m’empêcher de rappeler que les Américains super-arrogants, bien qu’ils en soient capables, ne sont plus en état d’effectuer des vols habités. Ce sont en effet les bonnes vieilles fusées Soyouz soviétiques qui transportent les cosmonautes américains vers l’ISS...

Il y a un autre facteur, cependant, qui limite la casse : le fait que les ressources et l’énergie sont en quantité limitées, et qu’elles commencent à s’épuiser. Partant de là, prétendre que le niveau de vie des pays dits émergents, en développement, du Tiers-Monde, peu importe, va rejoindre celui des pays occidentaux, est d’une mauvaise foi à peine concevable. Vous imaginez ce que ça donnerait en termes de pollution et de gaspillage de ressources, un milliard de types ayant des véhicules individuels, des modes de vie semblables au nôtre, les mêmes habitudes alimentaires (combien de milliards de bœufs faudrait-il élever et abattre par an pour que chaque Chinois ait son hamburger deux fois par jour ?). Bref, l’économie de l’offre, la production / consommation à outrance de choses inutiles, appelez cela comme vous voulez, c’est TERMINÉ. Basta, over, fini. Les conséquences, financières pour le moment, mais très bientôt sociales et concrètes, que nous subissons actuellement ne sont que le reflet de cette réalité. Un nouveau paradigme est en train de s’imposer, et il vaut mieux l’accepter au plus vite, afin de s’y adapter au plus vite, plutôt que de chercher à s’accrocher à tout prix à des concepts et des catégories dépassées (comme l’est le concept de l’euro ou du dollar).

Ce paradigme n’est pas encore tout à fait clair à l’heure actuelle, mais certains postulats sont néanmoins déjà discernables.

1. Les puissances eurasiennes (Chine, Russie, Inde) vont bientôt devenir le nouveau centre de gravité du monde. Il se trouve que justement, sur la question de la prochaine devise (ou monnaie) internationale, en ce moment ont lieu d’actives tractations au sein du groupe BRICS et au sein de l’OCS. Il est symptomatique qu’aucune puissance occidentale n’y ait été conviée jusque-là. La question de savoir si il faut oui ou non préserver l’euro est du coup triviale. On peut garder l’euro, ou même créer l’eurodollar, on sera de toute façon bien obligé d’utiliser le rouble ou le yuan eurasien au final. A moins que ce ne soit l’or - il semble que les futurs maîtres du monde soient finalement des gens très raisonnables et par ailleurs, tiennent ce vecteur d’échange en haute estime, à en juger par les quantités d’or qu’ils achètent.

2. Un type d’économie beaucoup plus économe en ressources va se mettre en place, qu’on le veuille ou non. Cela devrait vous réjouir, vu votre bord politique. L’une des conséquences directes est que nous allons devoir réviser radicalement notre mode de vie (se laver à l’eau froide, se déplacer à vélo, recycler pour de vrai - fini l’obsolescence programmée - et arrêter de consommer tout et n’importe quoi... peut-être même qu’on sera obligé de faire pousser des tomates sur nos balcons pour bouffer, vous vous rendez compte ?).

3. La spéculation, l’économie-casino, les rentes, etc., fini aussi. Comme je le disais plus haut, on ne peut spéculer sur du physique : une once d’or ne se transforme pas miraculeusement en une once et demi, même après des milliers d’années, ni ne peut être multipliée à l’infini par la magie de Wall Street et de JP Morgan Chase.

4. Une décroissance économique au niveau mondial va se mettre en place (et tant pis si vous la rejetez... on ne peut rejeter un fait). Le mieux à faire est de s’organiser le plus tôt possible pour la gérer au mieux, au lieu de raconter des salades comme celle-ci (je vous cite) : Mais la Banque Centrale Européenne ne doit pas uniquement contrer l’inflation (certes indispensable) mais muter institutionnellement pour permettre AUSSI l’avènement d’une « monnaie de production », en vue de dynamiser l’éducation nationale (largement incomplète), la recherche, la création d’entreprise et d’emplois.

La création d’entreprises et d’emplois, ce ne sera bientôt plus d’actualité. Nous allons être confrontés à une situation où la priorité sera à la survie pure et simple du fait de l’épuisement des énergies fossiles (et notamment du pétrole), ce qui entraîne un impératif de solidarité. Nous n’aurons plus besoin de 20 paires de chaussures, mais d’une seule, et de bonne qualité. Les emplois ne seront plus créés, mais divisés, afin d’allouer les compétences de la manière la plus efficace possible. Le plein emploi ne sera plus souhaitable, mais impératif. Un mécanisme de concentration et de nationalisation du capital industriel va probablement se mettre en place (par souci d’efficience et de contrôle) ; pour les petites entreprises, ce sera un mécanisme de localisation. Enfin, l’obligation de repasser à une agriculture de type traditionnel (c’est à dire, respectueuse de l’environnement et des cycles naturels, notamment de la contrainte du renouvellement des sols) relativise la dynamisation de l’éducation nationale dont vous parlez. Celle-ci va naturellement redevenir élitiste (et non plus de masse, comme c’est le cas actuellement), ce qui devrait diminuer énormément les coûts et en même temps augmenter son efficience. D’autre part, les compétences techniques vont prendre le pas sur toutes les autres (ce qui est déjà plus ou moins le cas, mais résultant actuellement de la saturation du marché de l’emploi dans le secteur des services, qui se contractera fortement à l’avenir).

Finalement, il se pourrait bien que l’Euro soit d’ici une décennie le dernier de nos soucis... si il existe encore à ce moment-là. Il est clair que l’évolution que je décris schématiquement va être assez longue (entre 50 et 100 ans, je dirais), mais finalement peut-être pas si longue que ça. Au fond, 50 ans, c’est tout juste deux fois la durée d’un prêt immobilier classique.

Bien cordialement.


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