Je suis, comme vous, sans cesse agressé par le pitoyable langage de nos contemporains, qui n’est plus du français mais une sorte pidgin de franço-globich (1). Ayant reçu l’instruction qui était dispensée dans les lycées de l’ancien temps, je maîtrise correctement ma langue, comme la plupart des personnes de ma génération. Ce n’est pas une question de classe sociale, les gens les plus simples mettaient un point d’honneur à ce qu’eux-mêmes et leurs enfants fussent raisonnablement maîtres de leur orthographe et de leur grammaire et l’on jugeait quelqu’un, dans tous les milieux, d’abord à la façon dont il s’exprimait. L’école et le lycée développés par la Troisième République n’étaient que la continuation du lycée napoléonien — une caserne, il faut l’avouer— mais qui justement formait des “soldats” quant à la langue (et au reste). Je suis frappé par le fait que le rapport au langage établi par l’enseignement était un rapport conscient construit sur la connaissance et l’assimilation des règles comme sur la fréquentation des auteurs classiques.
Ce n’est plus du tout le cas depuis deux ou trois générations, le rapport est totalement inconscient, on est passé d’un usage civilisé à un usage primitif de la langue. Mais le plus grave n’est pas dans la dégradation esthétique, (il n’y a pas que la syntaxe et le lexique qui soient atteints, il faudrait évoquer aussi l’altération de la prononciation et de l’intonation justes) mais dans le fait que la langue étant le support de la pensée, l’être social est dépossédé de la pensé dés lors qu’il est dépossédé de sa langue : le soldat dont je parlais n’a plus d’arme pour se défendre. Comme il est aisé alors de façonner, au moyen de la langue, la pensée des masses en voie d’analphabétisme !
(1) Un pidgin est une langue extrêmement simple, au vocabulaire assez restreint et à la grammaire rudimentaire, qui se crée spontanément pour faciliter la communication entre individus ou peuples ayant des langues différentes.
Le “globish” (mot-valise combinant global et English) est une version simplifiée de l’anglais n’utilisant que les mots et les expressions les plus communs de cette langue. C’est le jargon utilisé par des locuteurs de diverses autres langues quand ils veulent communiquer en anglais.