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Dites « Papa, Maman » ou Adam et Ève chassés du meilleur des mondes

Les vocables père et mère ont été chassés du langage courant par les vocatifs papa et maman. Ce phénomène est le signe de l'infantilisation de la société et annonce l'apparition d'un homme nouveau, au sens générique, que prépare l'évacuation des fonctions symboliques que ces vocables signifiaient dans la langue.

 L’avez vous remarqué ? Comme certaines poupées l’ânonnaient autrefois, grâce à quelques prouesses technologiques (un jeu d’enfant de nos jours !), nos contemporains disent « papa, maman ». Ces vocables que les personnes ayant encore des humanités qualifient de vocatif [1] étaient, jusqu’à il y a peu, exclusivement utilisés par les enfants pour interpeller leurs géniteurs. Dans le souci d’être compris par ceux n’ayant pas encore atteint l’âge de raison, on se permettait cependant une licence : leur dire « ton papa » et «  ta maman » . Pour les autres on ne qualifiait plus les dits géniteurs que de père et mère et quiconque aurait osé parler de son papa et de sa maman serait passé pour un débile mental. Faut-il voir dans ce phénomène un signe de la néoténie [2] avancée propre à notre société, ou pour parler plus simplement, de son infantilisme galopant ? Probablement puisque ces vocatifs sont associés à un âge où les enfants jouent encore volontiers au papa et à la maman en toute innocence, ces termes n’ayant qu’un référent affectif et étant à ce titre presque interchangeables— ce ne sont pas les tenants de la Gender Theory qui me contrediront—

Dans le temps, pour ne citer que quelques archaïsmes, on avait l’habitude de dire, le Père la victoire au sujet de Clémenceau, le Père de la patrie pour K. Ataturk, le Père éternel (pour les croyants) en parlant du Créateur (pater noster qui est in celis...), la Bonne Mère à propos de la Sainte Vierge, Mère courage chez B. Brecht, tu honoreras tes père et mère dans les dix commandements. La linguistique nous enseigne que la substitution d’un terme par un autre, dans une phrase, met au jour sa spécificité sémantique. Ainsi amusez-vous à remplacer père et mère par papa et maman dans toutes ces expressions et dans quelques autres familières, elle deviendront ridicules : le sens disparaît. Ce sens évidemment leur est donné par la fonction symbolique des substantifs père et mère. "Gut Nacht mein Vater und Mutter [3], Adieu mon père et ma mère, adieu. Pourquoi vous a -t-on congédiés ? C’est que l’on raconte maintenant aux enfants des écoles des histoires de petits poissons rouges, afin de faire entrer dans leur petite cervelle que certains enfants ont, eux, deux papas ou deux mamans. La fonction affective interchangeable de ces deux vocables autorise ce jeu de bonneteau linguistique. Mais on aurait plus de mal à leur expliquer qu’ils ont deux pères ou deux mères. Cela impliquerait, comme nous le propose Mme Aubry, un changement de civilisation assez radical, bref un homme [4] nouveau. Sans s’appesantir en outre, dans cet éveil pédagogique, sur l’usage métaphorique possible d’animaux plus proches de l’homme [4] .

L’usage, le tyrannique usage, a donc déboulonné les pères et mères, évacuant dans la foulée leurs fonctions symboliques et révélant ainsi un changement d’habitus. Il est parait-il approuvé par la majorité de nos concitoyens. Il sera, n’en doutons pas, bientôt entériné par la Loi. Vous l’avez compris la vocation nouvelle des vocatifs et le renversement qu’elle signifie accompagnent naturellement la revendication du droit au mariage de deux personnes de même sexe. Renversement est à entendre au sens propre : l’ordre naturel des choses, qui a conduit l’évolution des espèces à la reproduction sexuée des mammifères que nous sommes, était redoublé, depuis que nous sommes descendus des arbres, par un ordre symbolique fait de mythes et de croyances diverses (« La grande œuvre est achevée » [5]). Ce dernier trouvant son socle — sa preuve si l’on veut — dans le premier. Cependant la volonté de puissance de notre époque prométhéenne ne saurait s’accommoder d’un ordre naturel et encore moins d’un ordre symbolique. Celui-ci, curieusement, fait obstacle au renversement de celui-là, car il le protège en quelque sorte par son immanence — que le ciel nous protège— (que l’on songe par exemple à ce qui fonde les restrictions légales au sujet des expériences sur l’embryon humain). Les apprentis sorciers doivent donc d’abord abattre l’un pour pouvoir atteindre l’autre.

C’est presque fait, la novlangue le prouve. Quelle est la suite de l’histoire ? L’adoption n’est pas un véritable droit à l’enfant, ce n’en est qu’un ersatz provisoire. L’égalité absolue des droits c’est le bébé éprouvette, la fabrication in vitro par l’ingénierie génétique d’un embryon porteur des gènes de deux personnes du même sexe. Brave, brave new world : après avoir été chassés du paradis, voila le vieux père Adam et la vielle mère Eve chassés maintenant du meilleur des mondes [6] ! L’ère du cyborg hermaphrodite approche, nous en reparlerons.

NonPossumus

[1] En linguistique, on appelle vocatif le cas grammatical exprimant l'interpellation directe d'une personne : il a survécu en français sous la forme « ô mon père » par exemple.

[2] La néoténie décrit, en biologie du développement, la conservation de caractéristiques juvéniles chez les adultes d'une espèce.

[3] Johannes Brahms, volkslieder.

[4] Par homme j’entends homo sapiens, puisque dans les langues latines le masculin, outre son propre genre, sert à définir aussi le genre humain.

[5] Choeur"Vollendet ist d'as große Werk" J Haydn , la Création.

[6] Adam "Tendre épouse, près de toi les heures coulent douces. Chaque instant est un enchantement. Aucun souci ne vient nous troubler" ; Eve "Cher époux, près de toi mon cœur nage dans la joie. Ma vie t'est consacrée. Ton amour est mon partage". J Haydn , la Création, récitatif d’Adam et Eve.


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8 réactions à cet article    


  • cathy30 cathy30 20 août 2011 17:06

    bonjour
    oui très interessant, j’attends la suite.


    • Blé 20 août 2011 17:42

      Cet article me fait penser à une anecdote qui date du début d’août :

      « - C’est quoi le nom de famille ? »

      Question d’un enfant de 7 ans entrant en CE1 à la rentrée prochaine à qui je demandais la première lettre de son nom de famille. Surprise qu’un enfant de 7 ans ne sache pas ce qu’est le nom de famille, j’ai demandé aux autres enfants présents qui ne savaient pas. Plusieurs ont levés la main. Sur les 12 enfants 5 de 7 à 9 ans ne savaient pas ce qu’ est un nom de famille.


      • NonPossumus NonPossumus 20 août 2011 18:44

        Dans notre civilisation, le nom de famille était, jusqu’à il y a peu, essentiellement le nom du père.
        La perte de cette marque symbolique a des conséquences dramatiques dans l’ordre des sociétés occidentales. « Anthony Wilden[1], […] rappelle que le Nom du Père est aussi, et en même temps, le Non du Père , soit, ce qui ordonne et interdit, simultanément. Il est bien démontré que, dans les sociétés patriarcales et patrilinéaires, le père est chargé de la détention et transmission du pouvoir, du savoir ainsi que du statut du sujet. Par contre, dans les sociétés matriarcales dites primitives, cette fonction paternelle sera assurée par le frère de la mère de l’enfant. A la suite de S. Freud, l’école lacanienne de psychanalyse, mais aussi l’anthropologie (C. Levy Strauss), ont étudié cette question
        On mesure les bouleversement de société que révèle de simple faits de langage comme celui que vous relevez. Il n’y a pas qu’en matière d’art que le primitivisme (1) envahit l’espace social.
        (1) Colin Rhodes : Le primitivisme et l’art moderne.


      • Kookaburra Kookaburra 20 août 2011 18:11

         

        Excellent article. Bien que c’est pour moi une langue étrangère, j’ai toujours trouvé ridicule cet utilisation de papa et maman. Ces expressions sont censées être attendrissantes, mais, curieusement, l’autre expression « c’est un truc à papa » est péjorative (et un peu désobligeante pour les personnes âgées.)


        • NonPossumus NonPossumus 20 août 2011 18:51

          Justement, peut être que lorsqu’on est un « papa » ( dans un truc à papa) c’est qu’on a cessé d’être un « père » ! Au moment de l’indépendance de l’Algérie on parlait de l’Algérie de papa, pour signifier la fin du paternalisme colonial.


        • NonPossumus NonPossumus 22 août 2011 00:05

          Je suis, comme vous, sans cesse agressé par le pitoyable langage de nos contemporains, qui n’est plus du français mais une sorte pidgin de franço-globich (1). Ayant reçu l’instruction qui était dispensée dans les lycées de l’ancien temps, je maîtrise correctement ma langue, comme la plupart des personnes de ma génération. Ce n’est pas une question de classe sociale, les gens les plus simples mettaient un point d’honneur à ce qu’eux-mêmes et leurs enfants fussent raisonnablement maîtres de leur orthographe et de leur grammaire et l’on jugeait quelqu’un, dans tous les milieux, d’abord à la façon dont il s’exprimait. L’école et le lycée développés par la Troisième République n’étaient que la continuation du lycée napoléonien — une caserne, il faut l’avouer— mais qui justement formait des “soldats” quant à la langue (et au reste). Je suis frappé par le fait que le rapport au langage établi par l’enseignement était un rapport conscient construit sur la connaissance et l’assimilation des règles comme sur la fréquentation des auteurs classiques.
          Ce n’est plus du tout le cas depuis deux ou trois générations, le rapport est totalement inconscient, on est passé d’un usage civilisé à un usage primitif de la langue. Mais le plus grave n’est pas dans la dégradation esthétique, (il n’y a pas que la syntaxe et le lexique qui soient atteints, il faudrait évoquer aussi l’altération de la prononciation et de l’intonation justes) mais dans le fait que la langue étant le support de la pensée, l’être social est dépossédé de la pensé dés lors qu’il est dépossédé de sa langue : le soldat dont je parlais n’a plus d’arme pour se défendre. Comme il est aisé alors de façonner, au moyen de la langue, la pensée des masses en voie d’analphabétisme !

          (1) Un pidgin est une langue extrêmement simple, au vocabulaire assez restreint et à la grammaire rudimentaire, qui se crée spontanément pour faciliter la communication entre individus ou peuples ayant des langues différentes.
          Le “globish” (mot-valise combinant global et English) est une version simplifiée de l’anglais n’utilisant que les mots et les expressions les plus communs de cette langue. C’est le jargon utilisé par des locuteurs de diverses autres langues quand ils veulent communiquer en anglais.


        • Peretz Peretz 22 août 2011 15:56

          Savez-vous qu’on a été trompés ? Adam et Eve ont été chassés du paradis, je le sais, j’y étais, Parce que ils ont vu qu’ils étaient nus en se regardant dans un miroir et non en croquant une pomme qui n’avait rien à dire. C’est l’image qui est en cause. Car la « reflexion » a deux sens, physique et symbolique. On voit bien les désastres qu’elle promet depuis quelque temps. P.S. Curieux que ce soit l’homme qui est nu et qu’Eve cache son sexe !


        • Hieronymus Hieronymus 22 août 2011 00:41

          je decouvre votre article apres coup mais suis entierement d’accord
          cette infantilisation du langage typique a notre epoque
          (on entend meme les politiques ds leur discours parler de papa et de maman)
          revele une vague d’un cretinisme profond qui vise a s’imposer a tous les niveaux

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