L’Humanité, 14 décembre 2001
PALESTINE Hamas, le produit du Mossad
Pour de nombreux Palestiniens, peuple sans territoire, soumis à la
répression, aux humiliations et aux bouclages à répétition, le
radicalisme des intégristes du Hamas incarne l’ultime recours face à
l’occupation. Comment s’est créée et développée cette organisation qui a
pris en retard le train de la « résistance » à Israël ? On ne le dit
pas assez, c’est bien Israël qui a, au fond, créé le Hamas, " en
pensant, assure Zeev Sternell, historien, professeur à l’université
hébraïque de Jérusalem, que c’était intelligent de jouer les islamistes
contre l’OLP ".
Quand au début des années soixante-dix, Ahmed
Yassine, de retour du Caire, fonde une association islamique de
bienfaisance, Golda Meir, alors premier ministre d’Israël, escompte
ainsi dresser un contrepoids au Fatah d’Arafat. " Les associations
islamiques et l’université recevaient tous les encouragements du
gouvernement militaire " en charge de l’administration de la Cisjordanie
et de Gaza, écrivait en octobre 1987, l’hebdomadaire israélien, Koteret
Rashit, cité par le Monde du 18 novembre 1987, ajoutant qu’elles "
étaient autorisées à faire venir de l’argent de l’étranger ". Les
islamistes créent des orphelinats et des dispensaires, mettent en place
un réseau scolaire, des ateliers de confections pour l’emploi des
femmes, et dispensent une aide financière aux plus démunis. Et en 1978,
ils créent une « université islamique » à Gaza. Koteret Rashit
ajoutait : " Le gouvernement militaire était convaincu que ces activités
affaibliraient l’OLP et les organisations de gauche à Gaza. " Fin 1992,
on comptait six cents mosquées dans Gaza. Et c’est ainsi, grâce au
Mossad, que les islamistes ont tissé leur toile, à l’ombre d’une
répression impitoyable frappant les militants du Fatah et de la gauche
palestinienne.
En 1984, Ahmed Yassine est arrêté et condamné à douze
ans de prison, après la découverte d’une cache d’armes. Mais une année
plus tard, il est libéré et reprend ses activités. Et quand débute
l’Intifada, en octobre 1987, laquelle a pris au dépourvu les islamistes,
ceux-ci décident de prendre le train en marche, créant le 14 décembre
1987, sans être inquiété, le Hamas (Mouvement de la résistance
islamique). " Dieu est notre but, le prophète notre modèle, le Coran
notre constitution ", proclame l’article 7 de la charte de
l’organisation. À vrai dire, Ahmed Yassine n’y était pas favorable,
craignant que la répression ne mette fin à l’activité des « frères ».
Deux ans plus tard, il est arrêté et condamné à la prison à vie.
Il
est en détention quand, en septembre 1993, sont signés les accords
d’Oslo. Le Hamas les rejette. Mais à cette époque, 70 % des Palestiniens
condamnent les attentats contre les civils israéliens. Il va tout faire
pour torpiller les accords. Il sera aidé par Israël qui applique avec
beaucoup de réticence les accords de paix, et ce, du vivant même de
Rabin. Le Hamas se lance alors dans une campagne d’attentats obéissant à
un calendrier politique précis - veille de rencontre entre négociateurs
palestiniens et israéliens ou de réunion du Conseil national
palestinien qui allait décider de la reconnaissance d’Israël… -
permettant ainsi à la droite israélienne de revenir au pouvoir en mai
1996.
En 1997, contre toute attente, Netanyahu libère Cheikh Ahmed
Yassine pour « raison humanitaire », au moment même où de concert avec
Bill Clinton, ils exigent tous deux d’Arafat de mettre au pas le Hamas.
Une libération qualifiée par Yossi Sarid, député de gauche, de "
machiavélisme à la petite semaine ". En fait, Netanyahu savait qu’il
pouvait compter, encore une fois, sur les islamistes pour torpiller les
accords d’Oslo. Pis, après avoir expulsé Yassine vers la Jordanie, il
l’autorise à retourner à Gaza où il est accueilli en héros en octobre
1997.
Arafat est désemparé. De plus, pour avoir soutenu Saddam
Hussein lors de la guerre du Golfe, alors que le Hamas s’est prudemment
abstenu de prendre parti, les pays du Golfe lui coupent les fonds,
privant ainsi l’Autorité palestinienne de financement pour sa politique
d’aide sociale aux démunis. En revanche, à l’issue de sa tournée dans
ces mêmes pays et en Iran, entre février et avril 1998, Cheikh Yassine
récolte plusieurs centaines de millions de dollars, au point que,
dit-on, le budget du Hamas est supérieur à celui de l’Autorité
palestinienne. Un budget qui va permettre aux islamistes de poursuivre
le financement des activités de bienfaisance. On estime qu’un
Palestinien sur trois perçoit une aide financière du Hamas. Et là,
également, Israël n’a rien fait pour interdire l’entrée de cette manne
financière dans les territoires occupés.
Le Hamas a bâti sa force en
se nourrissant des échecs successifs du processus de paix, échecs
auxquels il a contribué de concert avec Israël qui a multiplié les
entraves à l’application des accords d’Oslo. En poursuivant sa politique
du pire, le Hamas remplit ainsi la fonction pour laquelle il a été
créé : empêcher l’avènement d’un État palestinien. En cela, il est sur
la même longueur d’onde qu’Ariel Sharon.
Hassane Zerrouky
L’Humanité, 14 décembre 2001