Lorsque
la Suède est entrée dans l’Union européenne en 1995, le traité de
Maastricht était déjà entré en vigueur depuis plus d’un an (le 1er
novembre 1993). Dans ces conditions, elle n’était pas en position
d’exiger une clause d’exemption de la monnaie unique à son profit, comme
l‘avaient obtenue le Royaume-Uni et le Danemark, l’un et l’autre avant
l’entrée en vigueur du traité de Maastricht. Du reste, la « Déclaration
d’Édimbourg » du 12 décembre 1992 avait bien précisé que « les
dispositions adoptées pour répondre aux préoccupations danoises
s’appliqueront uniquement au Danemark et à aucun autre État membre, ni
présent, ni futur ».
La Suède a donc ratifié le traité de Maastricht sans réserve. D’un
point de vue strictement juridique, et à la différence du Royaume-Uni et
du Danemark, la Suède s’est donc « définitivement » engagée, en 1995, à
adopter la monnaie unique, tôt ou tard et quoi qu’il arrive.
Cependant, sachant pertinemment que de très nombreux Suédois,
probablement majoritaires, étaient viscéralement hostiles à l’abandon de
leur monnaie nationale, la couronne suédoise, le gouvernement de
Stockholm fut contraint de faire un geste envers son opinion publique.
Afin de calmer les tensions, il décida de ne pas faire partie des
premiers États à adopter l’euro en 1999. Après avoir obtenu l’accord des
autres États membres de l’Union européenne sur ce qu’il leur présenta
seulement comme une astuce de procédure, le gouvernement suédois annonça
qu’il consulterait les électeurs pour cela par référendum plus tard,
lorsque la monnaie unique européenne circulerait concrètement sous forme
fiduciaire dans les pays l’ayant adoptée.
La formule bancale ainsi retenue était porteuse en germe d’un
redoutable problème institutionnel : qu’arriverait-il si les Suédois
refusaient ensuite par référendum cet euro que les élites du pays
s’étaient imprudemment engagées à adopter, quoi qu’il arrive, au moment
de la ratification du traité de Maastricht ?
La classe politique suédoise pro-européenne préféra ne pas regarder
ce problème en face. Sous l’effet de la méthode Coué, elle s’était en
effet persuadée que l’arrivée de pièces et de billets en euros chez les
principaux partenaires de la Suède susciterait un enthousiasme tel dans
toute l’Europe que les Suédois souhaiteraient rejoindre sans tarder «
l’aventure » de la monnaie unique. Et que cet enthousiasme permettrait
alors de remporter le référendum haut la main.
Or ce plan fut déjoué par les électeurs. En dépit d’une campagne
d’intimidation psychologique intense que François Asselineau rappelle
dans sa conférence « Faut-il avoir peur de sortir de l’euro ? », les
Suédois refusèrent d’adopter la monnaie unique européenne lors du
référendum du 14 septembre 2003 (par 55,9 % de Non et 81,2 % de
participation).
Depuis lors, la Suède se trouve dans une situation contradictoire :
d’une part elle est juridiquement tenue d’adopter la monnaie unique du
fait de sa ratification du traité de Maastricht sans réserve ; mais
d’autre part, le peuple souverain s’est exprimé et a rejeté cette
adoption avec un score ne prêtant pas à discussion.
L’idée des responsables européistes, d’ailleurs explicitement
annoncée en Suède et ailleurs, est de faire revoter les Suédois
ultérieurement. Cependant, les résultats catastrophiques de la zone euro
et l’amoncellement des problèmes posés par l’euro à partir de la crise
grecque du printemps 2010 ont repoussé pour l’instant sine die une
seconde consultation référendaire des Suédois. Dans les circonstances
actuelles, le rejet de la monnaie unique serait plus cinglant encore
qu’en 2003.