Il n’a pas fallu grand temps pour évaluer les
dégâts de l’accord PS-Verts sur le nucléaire : les deux protagonistes politiques
ont perdu en crédibilité. Plus grave, le débat public sur les enjeux de fond
pour le pays, lui, est ramené à la dimension du puceron.
Le PS et les Verts
et au premier chef leurs candidats François Hollande et Eva Joly se sont
décrédibilisés aux yeux d’une partie de l’opinion. Pour la simple raison que les
deux partis ont osé mélanger un accord de partage de la carte électorale, dont
le parachutage de la cheftaine Cécile Duflot, et l’avenir industriel du pays.
Pour les « gens d’en bas », ce mélange des genres, ce « gouvernement des
partis » est insupportable. Il n’est que de voir le tract distribué par la CFDT,
syndicat ouvert aux énergies renouvelables et majoritaire chez Areva, diffusé au
lendemain de l’accord PS Vert, prévoyant le reclassement des salariés
travaillant sur le MOX :« La façon dont sont traités Areva et l’ensemble de ses
salariés par des politiques qui prônent le dialogue (…) Les salariés que
certains appellent des « emplois »et d’autres « des charges »ne veulent pas être
traités comme des pions. Ils veulent de la considération et refusent que les
hommes et les femmes politiques décident de ce qui est le mieux pour eux
professionnellement ».
Puis plus loin, on trouve des phrases fortes qui
traduisent le sentiment profond des ouvriers, techniciens et ingénieurs : « nous
assumons de travailler dans le nucléaire. Nous en sommes fiers. Nous souhaitons
être traités avec respect » « Nous ne sommes pas des criminels ».
On
mesure à lire cette prose légitimement indignées ce que la gauche, socialiste et
écologique, ce que François Hollande et Eva Joly viennent de perdre : la
considération du cœur de la France industrielle. Et malgré leurs dénégations,
ils auront du mal à se défaire de l’étiquette de Bobo citadins, fonctionnaires…
Dommage, la gauche vaut mieux que cela. D’autant qu’elle a été avertie
par Jean-Luc Mélanchon : dans son interview choc au Journal du Dimanche, on a
retenu l’expression désobligeante : « capitaine de pédalo » à l’égard de
Hollande. On aurait dû davantage prêter attention au passage où il prévenait
avec clarté qu’il fallait éviter un accord mélangeant les appétits électoraux et
les problèmes de restructuration de l’industrie française. Mais la tentation
politicienne était trop forte.
Dans cet accord, les écolos ont gagné
l’assurance d’un groupe parlementaire, et de revenus confortables (lire
l’article de Jean-Claude Jaillette dans Marianne de demain). Hollande, lui,
obtient une assurance anti-Joly. Une fois l’accord de majorité ratifié, il peut
être certain que la candidate aux lunettes rouges n’aura plus aucune marge de
manœuvre pour se démarquer des socialistes dans les quatre mois qui viennent.
Dans ces conditions, si elle dépasse les 4%, ce sera un exploit. Si toutefois
elle va au bout !
On aura rarement vu un débat de stratégie industrielle
à la fois aussi fondamental et aussi mal traité. Un exemple : on discute de
l’arrêt du Mox (mélange de plutonium et d’uranium, permettant de réultiser les
combustibles, travaillés à La Hague et à Marcoule) de façon totalement
abstraite. Pour le négociateur socialiste Michel Sapin,« il n’est pas question
dans l’accord de l’arrêter, mais de prévoir la baisse de la demande de
combustible consécutive à l’arrêt progressif de 24 réacteurs nucléaires ». Mais
dans l’industrie, on ne réduit pas la production de façon homothétique, car il
arrive un moment où la perte de production implique une chute de la rentabilité
de l’activité, vu qu’on réduit les économies d’échelles !
Concrètement,
sur les 24 réacteurs dont il est prévu l’arrêt, les plus anciens, dit « 900 MW
», 23 sont alimentés en Mox. Donc Areva va perdre l’approvisionnement de 2
réacteurs par an, soit 10% la première année, 20% la seconde, 30 % la troisième,
etc… Gageons qu’au bout de 5 ans, la direction d’Areva constatera qu’avec des
installations travaillant à moitié de leur capacité, elle prévoira de tout
fermer et de commander du MOX aux Etats-Unis, où le groupe construit une usine
dans le Tennessee.
En ce sens, les écolos ont probablement bien eu la
peau du Mox en France, qui est un de leurs combats fondateurs, bien avant la
lutte contre l’EPR. On fait peut-être semblant d’ignorer ce genre de contraintes
économiques au PS, pas dans les usines, où tous les travailleurs, de l’OS à
l’ingénieur, sont rompus à ce genre de réflexion…
A l’inverse la naïveté
de Hollande laisse quelquefois pantois, quand il refuse au fond de se pencher
sur le MOX, qui est une des activités les plus contestables du secteur
nucléaire, très onéreux et pas forcément indispensable. Surtout quand il refuse
de parler de « lobby nucléaire ». Ce serait des « entreprises comme les autres,
nationalisées de surcroit ». Justement, non ! Car le problème posé par
l’industrie nucléaire est qu’elle est totalement intégrée et représente un Etat
dans l’Etat.
Sait-il, notre candidat que le Mox, c’est Areva, mais que
le principal actionnaire d’Areva, ce n’est pas l’Etat, mais le Commissariat à
l’énergie atomique qui a besoin des actions Areva (et donc qu’elle restent à un
bon prix)... pour payer le démantèlement de ses propres installations nucléaires
?
Que, de plus, le CEA travaille à l’horizon 2040 sur une nouvelle
génération de réacteurs, dite à neutrons rapides (mais mieux connus en France
sous le nom de surgénérateurs), filières pour laquelle le retraitement des
déchets est indispensable. Que la « G IV », pour EDF, c’est l’assurance de
conserver le monopole l’énergie électrique, au-delà de l’etc.
On le
voit, l’enjeu du Mox est vital pour toute la chaine nucléaire. Oui, il y a bien
des intérêts puissants, contractuels, capitalistiques, corporatistes (les Mines)
qui unissent le CEA, Areva, et EDF, et même les militaires puisque le nucléaire
est à l’évidence une technologie « duale ». Ce complexe nucléaire a une
influence considérable en France. Il lutte en général pour conserver son
monopole, et ne se laissera pas défaire facilement.
Mais de tout ceci,
on ne parlera pas dans la campagne, puisque François Hollande et Cécile Duflot
ont préféré faire entre eux « leur petite popote dans leurs petites gamelles ».
Cela risque de leur coûter cher, à tous les deux.