@ jaja
pour répondre à ta légitime interrogation, cet extrait de l’édito de Serge Halimi :
Toutefois, tant que les partis de gauche modérés continueront de représenter la majorité de l’électorat progressiste — que ce soit par adhésion à leur projet ou par sentiment que celui-ci constitue la seule perspective pour une alternance rapprochée —, les formations politiques plus radicales (ou les écologistes) se retrouveront condamnées au rôle de figurants, de force d’appoint, de mouches du coche. Même avec 15 % des suffrages, quarante-quatre députés, quatre ministres et une organisation rassemblant des centaines de milliers d’adhérents, le Parti communiste français (PCF) n’a jamais pesé entre 1981 et 1984 dans la définition des politiques économiques et financières de François Mitterrand. Le naufrage de Refondation communiste en Italie, prisonnier de son alliance avec des partis de centre gauche, ne constitue pas un précédent plus exaltant. Il s’agissait alors, on s’en souvient, de prévenir à tout prix le retour au pouvoir de M. Silvio Berlusconi. Lequel est intervenu quand même, mais plus tard.
Le Front de gauche (auquel appartient le PCF) veut contredire de tels augures. En faisant pression sur le PS, il espère le voir échapper à « ses atavismes ». A priori, le pari paraît illusoire, voire désespéré. Toutefois, s’il intègre d’autres données que le rapport de forces électoral et les contraintes institutionnelles, il peut se prévaloir de précédents historiques. Ainsi, aucune des grandes conquêtes sociales du Front populaire (congés payés, semaine de quarante heures, etc.) n’était inscrite dans le programme (très modéré) de la coalition victorieuse en avril-mai 1936 ; le mouvement de grèves de juin les a imposées au patronat français.
L’histoire de cette période ne se résume pas pour autant à la pression irrésistible d’un mouvement social sur des partis de gauche timides ou effarouchés. C’est bien la victoire électorale du Front populaire qui a libéré un mouvement de révolte sociale en donnant aux ouvriers le sentiment qu’ils ne se heurteraient plus au mur de la répression policière et patronale. Enhardis, ils savaient aussi que rien ne leur serait donné par les partis pour lesquels ils venaient de voter sans qu’ils leur tordent la main. D’où cette dialectique victorieuse — mais tellement rare — entre élection et mobilisation, urnes et usines. Un gouvernement de gauche qui n’affronterait pas une pression équivalente s’enfermerait aussitôt dans un huis clos avec une technocratie qui depuis longtemps a perdu l’habitude de faire autre chose que du libéralisme. Il n’aurait pour seule hantise que de séduire des agences de notation dont nul n’ignore cependant qu’elles « dégraderont » sur-le-champ tout pays engageant une véritable politique de gauche.