"L’Univers m’embarrasse, et je ne puis songer
Que cette horloge existe, et n’ait point d’horloger.
[...]
Je crois pourtant un Dieu, puisqu’il faut vous le dire.
- Ah, traître ! ah, malheureux ! je m’en étais douté.
Va, j’avais bien prévu ce trait de lâcheté,
Alors que de Maillet insultant la mémoire,
Du monde qu’il forma tu combattis l’histoire...
Ignorant, vois l’effet de mes combinaisons :
Les hommes autrefois ont été des poissons ;
La mer de l’Amérique a marché vers le Phase ;
Les huîtres d’Angleterre ont formé le Caucase :
Nous te l’avions appris, mais tu t’es éloigné
Du vrai sens de Platon, par nous seuls enseigné.
Lâche ! oses-tu bien croire une essence suprême ?
- Mais, oui. - De la nature as-tu lu le Système ?
Par ses propos diffus n’es-tu pas foudroyé ?
[...]
Va, sot adorateur d’un fantôme impuissant,
Nous t’avions jusqu’ici préservé du néant,
Nous t’y ferons rentrer, ainsi que ce grand Être
Que tu prends bassement pour ton unique maître.
De mes amis, de moi, tu seras méprisé.
- Soit. - Nous insulterons à ton génie usé.
- J’y consens. - Des fatras de brochures sans nombre
Dans ta bière à grands flots vont tomber sur ton ombre.
- Je n’en sentirai rien. - Nous t’abandonnerons
Aux puissants Langlevieux, aux immortels Frérons.
- Ah ! bachelier du diable, un peu plus d’indulgence :
Nous avons, vous et moi, besoin de tolérance.
Que deviendrait le monde et la société,
Si tout, jusqu’à l’athée, était sans charité ?
Permettez qu’ici-bas chacun fasse à sa tête.
[...]
Je crois qu’il est un Dieu ; vous osez le nier
Examinons le fait sans nous injurier."
Satires, « Les Cabales », 1772.
Sur le déisme de Voltaire, voir « Traité de métaphysique », 1734, chapitre II.