« On s’est tous dit qu’il se fichait de nous. »
Professeur de droit et président honoraire de l’université Panthéon-Assas, Jacques Robert, 83 ans, a été membre du Conseil constitutionnel de 1989 à 1998. A ce titre, il a examiné, en octobre 1995, dans la foulée de l’élection de Jacques Chirac à l’Elysée, les comptes de campagne des candidats, notamment ceux d’Edouard Balladur.
Pour « le Parisien » - « Aujourd’hui
en France
», il détaille les manœuvres qui ont conduit les Sages à «
blanchir » 10 millions de francs (1,5 M €) à l’origine
douteuse.
« Le Parisien » : Vous souvenez-vous
du délibéré portant sur les comptes de campagne d’Edouard
Balladur ?
JACQUES ROBERT :
Parfaitement. Et ce n’est pas un bon souvenir. Je vis très
mal la façon dont le droit, à cette occasion, a été
tordu.
C’est-à-dire ?
Comme tous les dossiers électoraux,
celui d’Edouard Balladur a été examiné par trois conseillers
rapporteurs détachés auprès de nous par la Cour des comptes et le
Conseil d’Etat. Leur rapport, présenté en séance pleinière,
était sans équivoque : les comptes du candidat Balladur accusaient
10 millions de francs de recettes d’origine inconnue. Ils étaient
donc irréguliers.
Ont-ils tenté d’obtenir une explication de l’ex-candidat ?
Oui. Ils lui ont écrit à trois
reprises, par lettre recommandée, mais Edouard Balladur ne leur a
jamais répondu. L’explication selon laquelle ces 10 millions
provenaient de la vente de tee-shirts, esquissée par son trésorier,
ne tenait pas la route. C’était une somme énorme. On s’est tous
dit que Balladur se fichait de nous.
Les comptes de Jacques Chirac, eux, étaient corrects ?
Non. Mais les irrégularités
n’avaient pas une telle ampleur.
Comment les Sages du Conseil constitutionnel ont-ils réagi ?
Nous étions tous très ennuyés.
Roland Dumas, président du Conseil, a alors pris la parole. « Nous
ne sommes pas là pour flanquer la pagaille, a-t-il dit. Les Français
ne comprendraient pas qu’on annule l’élection pour une affaire
de dépassement de crédits. Il faut trouver une solution. » Il
s’est tourné vers les rapporteurs. « Des postes ont peut-être
été majorés ? Si vous baissiez cette somme, ce serait pas mal… »
La séance a été suspendue. Les trois rapporteurs se sont retirés
pour travailler. Au bout de cinq ou six heures, quand ils sont
revenus, le montant avait été réduit, mais les comptes étaient
encore largement dépassés. Roland Dumas leur a demandé de faire un
effort supplémentaire. Les rapporteurs se sont retirés à nouveau.
Ils ont fini par présenter des comptes exacts… à 1 franc près.
Sans doute pour montrer qu’ils n’appréciaient pas d’être pris
pour des imbéciles.
En ce qui concerne Chirac ?
Cela s’est passé quasiment de la
même manière.
Avez-vous accepté de valider ces comptes ?
Je sais que je ne voulais pas le
faire, mais, après toutes ces années, je ne me souviens pas de mon
vote. Peut-être ai-je, finalement, rallié les arguments de Roland
Dumas… Vous savez, le Conseil constitutionnel, c’est un peu un
club. On est entre gens de bonne compagnie, on se tutoie. Claquer la
porte, donner des leçons aux collègues, ça ne se fait pas. Une
chose est sûre : nous n’étions pas très fiers. Nous venions de
passer trois jours à huis clos. Nous étions épuisés, mal à
l’aise. Nous nous sommes dispersés sans un mot, avec le sentiment
que la raison d’Etat l’avait emporté sur le droit.
Vous êtes-vous demandé
d’où pouvaient provenir les fonds de Balladur ?
Nous avions la certitude que leur
origine était douteuse, mais nous penchions plutôt pour un potentat
africain, une grosse fortune française ou les fonds secrets de
Matignon. A l’époque, personne ne parlait de Karachi, du Pakistan
ou de l’Arabie saoudite. Je ne me souviens pas que l’hypothèse
de rétrocommissions liées à des contrats d’armement ait été
évoquée.
Aujourd’hui, qu’en pensez-vous ?
Juste avant notre vote, Roland
Dumas a passé une heure à l’Elysée avec Jacques Chirac. Sans
doute lui a-t-il dit que la situation était délicate et qu’il
avait dû manœuvrer pour faire régulariser les comptes. Mon
impression, c’est que Roland Dumas, Jacques Chirac et Edouard
Balladur se tenaient à l’époque par la barbichette. Et que nous
avons servi de caution à une belle entourloupe.
09/12 14:42 - cubidrinker
En quoi est-il dangereux ? Vous pouvez faire une réponse objective et ne parler que de (...)
09/12 14:36 - cubidrinker
Je sens que plus le temps passe, plus on va se marrer dans cette affaire.
09/12 14:35 - cubidrinker
Alors l’ami Imhotep, c’est quand que tu reviens à l charge avec un article sur la (...)
07/12 16:20 - Vista
Vous savez, les Chtrauss-Kahn, Epstein, Taubman, Badinter, Lang, Lévy, Kahn, Sabban, Mosco, (...)
07/12 16:16 - Vista
05/12 08:53 - LeManu
Imothep, pls, retourne à des sujets qui t’honorent, à force de jouer les Guéant tu me (...)
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