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Commentaire de easy

sur Costa Concordia. la croisière ne s'amuse plus


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easy easy 16 janvier 2012 15:20


Il circule une vidéo qui montre la carte de contrôle vue du ciel des déplacements des navires (partout dans le monde, comme pour les avions) et qui prouve que si le Concordia avait longtemps tracé une trajectoire logique (équidistante des côtes entre îles) il avait soudain dévié de sa trajectoire pour tengenter l’île sur son bâbord.

Et l’on voit (c’est une vue « satellite » qui ne détaille pas à 10m près) que le navire aurait effectué (après le choc donc) un petit déplacement en arrière vers le plus près de l’île où il a fini. Cet ultime déplacement était-il une dérive ou était-ce une manoeuvre volontaire pour échouer plus près du sec ?

Toujours est-il que toutes les considérations d’un capitaine tiennent automatiquement compte de mille paramètres dont celui de la distance ./. aux côtes lorsque le drame démarre. Il ne choisira pas la même stratégie s’il est en milieu d’océan que s’il est proche des côtes.

En l’occurrence, si ici le capitaine avait fait exprès de se rapprocher du sec après la déchirure, c’est sinon la meilleure solution absolue, en tous cas une des meilleures solutions que chacun peut et doit envisager quand on prend l’eau près des côtes

Mais du coup, constatant qu’il avait touché le fond, surtout qu’en tant que capitaine on a toujours la vision de son volume immergé, il aurait très bien pu considérer que le bateau ne s’enfoncerait guère et que les 5000 occupants seraient bien plus en sécurité en grimpant sur les parties du navire semblant rester émergées qu’en quittant le navire dans des conditions difficiles liées à l’inclinaison qui commençait et qui rendait inutilisables tout un bord de canots.

Là arrive le paramètre l’inclinaison qui, assez bêtement, donne une allure insécurisante à un navire alors qu’au fond on est très à l’abri, même sur un bateau complètement retourné.
(Cette inclinaison peut provenir soit essentiellement d’un déplacement de la masse humaine vers le tribord induisant un passage des eaux vers ce même tribord, soit essentiellement à la forme du fond marin qui serait bosselé et non plat. Le fond du navire étant lui-même probablement plat).

J’ai fait de la plongée alors j’ai peut-être une vision trop directement technique de la chose mais à condition d’y avoir été présent en tant que passager solitaire, sans famille, ma plus grosse inquiétude, si près de la côte, aura été à me prendre un lampadaire sur la tête ou le talon chargé d’une dame dans un de mes yeux.

Les conditions du Titanic m’auraient fait mille fois plus peur. En plein océan, loin de tout secours, sur un bateau qui ne peut que sombrer totalement quand la mer est glaciale, ouille.
Mais là, près des côtes, à la vue de mille terriens, je n’aurais vu de danger que dans la seule problématique de l’inclinaison rendant tous les déplacements périlleux. Il est incroyablement difficile de marcher dans un couloir incliné de plus de 20 °.

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Même si je m’étais dit que la mer était trop profonde pour que subsiste une partie émergée, je me serais dit qu’il est nettement plus intéressant de rester dessus car ça laisse tout le temps aux secours terrestres de démarrer. Il est plus intéressant de se retrouver éventuellement à l’eau deux heures après le début d’un naufrage que tout de suite

Même équipé en homme grenouille, je ne me serais mis à l’eau que pour en sortir ceux qui s’y seraient jetés ou qui seraient restés coincés dedans. Mon objectif perso aurait été de rester sur la haute ferraille, non de regagner le rivage car sans grand intérêt immédiat.
Et équipé seulement d’un gilet ? Pareil. 
Et sans gilet ? Pareil.
Et sans savoir nager ? Oh la la, plus que jamais !

Cela pour dire que la réaction des passagers influe sur le résultat. Même si un commandant donne des ordres parfaits, le volume de la cité flottante est tel que chaque passager fait ce qu’il veut. La réaction de chacun joue donc beaucoup.


Dans quelques jours, des cadavres commenceront à gonfler et il en apparaîtra peut-être dans les environs. On verra alors que des gens se seront noyés hors du navire (c’est déjà le cas d’un mari français qui avait donné son gilet à son épouse qui ne savait pas nager)
Au bilan il y aura probablement des gens noyés car bloqués dans quelque cloison interne immergée, mais il y en aura probablement qui auront été noyés d’avoir quitté le navire alors qu’ils auraient pu se tenir au sec sur quelque hauteur.

Sur le Titanic, les canots étant tous partis, je pense que j’aurais choisi de rester sur la dernière partie émergée en récupérant tout ce qui m’aura semblé flottable, des bouteilles, des casseroles, (Il n’y en avait pas à l’époque mais un sac poubelle fait une bonne bouée).



D’une façon générale, depuis que je connais des histoires de naufrages, j’estime qu’il est à la limite du raisonnable de placer mille marins entraînés sur un navire et qu’il est folie d’embarquer une masse de touristes qui ont des dispositions à tout sauf à bien faire en cas de naufrage.

Dans un avion, quand il y a un problème, au moins avons-nous tous les passagers sous les yeux, dans un même volume, non isolés de cloisons. De plus, il n’y a souvent rien à faire tant que l’avion n’a pas rejoint le sol ou la flotte. Du coup, bien que ça puisse sembler plus dangereux, le principe de placer une masse de touristes dans un avion, tous bloqués sur leur siège, me semble acceptable.

Alors qu’embarquer 4000 fêtards libres de se promener dans une cité flottante en étant séparés de milliers de cloisons et en n’étant encadrés que d’un chiffre inférieur de professionnels (même pas vraiment formés au naufrage, quoi qu’on en dise) c’est de l’inconscience. Surtout qu’il n’est même pas question de vértiable voyage au sens de déplacement utile mais de simples ronds dans l’eau en manière de s’isoler des turpitudes terrestres.

4000 personnes dans une Galerie Lafayette tout à fait terrestre, toutes n’ayant à l’esprit que babioles et légèretés, encadrées par seulement 1000 vendeuses de parfums et de chaussures, me semble déjà fou. Idem pour un concert en plein air ou pour un match de foot en stade.
Ca fait de trop grosses masses de gens qui ont toutes les dispositions sauf celles à réagir proprement face à un drame massif.


En 1896, à Khodynka, fut organisée une fête populaire pour célébrer, comme de coutume, le couronnement de l’empereur Nicolas II. Ca se passait sur un très grand terrain vague où, à un endroit, existait un profond ravin creusé à force d’y avoir extrait du sable de construction. Il y avait aussi de profonds puits abandonnés. Or d’une part le public qui s’y rassemblait ignorait le configuration du terrain et d’autre part, à peine vous avez cinq personnes devant vous que vous ne voyez déjà plus l’horizon. Le résultat c’est qu’au fur et à mesure que des gens étaient poussés dans ces trous, les gens de second rang continuaient de pousser pour se trouver, un mètre plus loin, à leur tour précipités dans le vide puis écrasés des suivants.

Des heures après, les secours ressortaient les cadavres par centaines alors qu’à l’autre bout du terrain des fêtards poursuivaient encore leurs légèretés sans savoir de ce qui s’était produit.



Il y a un problème général que produisent les masses invitées à la fête et ce problème est bien entendu particulièrement aigu sur les navires de croisière où pas une seconde n’est laissée à autre chose qu’à la détente, à la légèreté et où toute vigilance est abolie sur invitation à ce qu’elle le soit. Dans les casinos -et il y en a sur ces navires- on va même à supprimer toute vue sur l’extérieur pour que les joueurs soient coupés de la réalité du temps qu’ils y passent. A la séance de simulation de sauvetage près, le reste du temps, le maximum est entrepris pour dénier le danger ou la folie de la situation. 



Concernant ce commandant, ce qui le tue, c’est qu’il n’a pas été trempé dans la marmite fondamentale de la marine où l’alfa liturgique consiste à ne quitter son navire en difficulté qu’en dernier. Laissons-le avec ce problème auquel il devra désormais réfléchir constamment.


Mais arrive la question du pourquoi de son détournement de route. Et là, on voit apparaître qu’il avait accompli ce frôlement de l’île pour consoler ou remercier un chef de service qui avait consenti à sacrifier un congé pour servir à bord.

Le commandant avait eu l’idée d’offrir ce cadeau au chef de service méritant. On se retrouve alors avec un cas d’hétérotélie où voulant faire du bien à quelqu’un, le plus de bien possible en frôlant le plus possible sa demeure, le commandant a finalement fait du mal à tout le monde, lui compris.

Dans le cas du Titanic, il paraît que la survitesse qu’il affichait et qui l’a empêché de virer à temps, était dû à une manifestation d’orgueil du commandant ou de sa compagnie (Ruban bleu inside)

Mais dans le cas du Concordia, ni la compagnie ni le commandant n’avaient à gagner à ce frôlement.
Ici, s’il y a de l’orgueil en cause, c’est au plus par procuration. Le commandant se sentant fier que son chef de service se sente fier.
Et là je parle de fierté alors qu’on pourrait plus simplement parler de bonheur ou de joie. Le commandant se sentant heureux de voir son chef de service heureux.


Dans toutes les retrouvailles conjugales ou familiales, il y a une certaine dimension de parade à la joie. Parader fait partie des choses que nous pratiquons tous et je doute qu’il faille nous reprocher cette tendance.
Je verrais bien que le procès public qui démarre aille sur le terrain de la parade car ça nous obligera à admettre que nous avons tous ce sens. Il contient évidemment une grande part d’artifices mais nous disputer de sens reviendrait à dénoncer nos mariages en grands falbalas et nos défilés militaires autant que nos dispendieux feux d’artifice et nos festivals de Bayreuth.


Homis le fait déplorable que ce commandant ait quitté son navire, tout ce qui s’était produit avant relève des risques qu’incluent les fêtes et parades où la vigilance est priée de la mettre en veilleuse.
Reste alors à discuter de ceci  : est-ce que lors d’une fête ou parade, certains d’entre nous doivent rester à la vigie et parfaitement sur le qui-vive. On répondra naturellement que oui mais lesquels d’entre nous auront déjà accompli ce sacrifice du renoncement à la joie pour rester à la vigilance extrême ?

N’est-il pas humain de céder, au moins en partie, à la tentation de la joie ?

Au bilan, à mes yeux, ce commandant est un être humain.


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