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Commentaire de easy

sur Art contemporain - une escroquerie ?


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easy easy 20 janvier 2012 20:54

Malgré mes explications, vous ne comprenez toujours pas.

Concernant les grandes ferrailles de Bernard Vernet, je propose de parler de Richard Serra, plus connu et plus précurseur du genre après Calder.

Serra avait donc ressenti, en frôlant des navires en cale sèche, une émotion forte et inédite comme nous la ressentirions tous. La muraille de la coque nous apparaît immense, gauche, indéfinissable, très lourde, instable et susceptible de nous écraser au moindre caprice. On se sent très humble et on se demande quels géants ont ainsi plié ces immenses tôles de 5 cm d’épaisseur

Alors il a travaillé le sujet et n’a fabriqué rien d’autre que des ambiances de ce genre. Des ambiances où le mur de tôle oblique nous impressionne jusqu’à nous fait peur et cauchemarder.

Mais où les exposer ?
Dans un chantier naval où il est si facile de les manipuler et les stocker ?
Bin non, elles seraient vite confondues avec les morceaux de navire et surtout, ces oeuvres ne toucheraient pas les chaudronniers qui vivent cette émotion en permanence depuis des années.
 
(Tous les ateliers, chantiers et labos -interdits au public- induisent des ambiances extraordinaires, provoquent des émotions extraordinaires, tant dans le domaine de la biologie hyper dangereuse que dans les aciéries et il est bien dommage que seuls les ouvriers les connaissent. Il nous serait très enrichissant d’émotions et de regards de visiter plein de vrais chantiers)

Et de toutes manière ce n’est pas Bidochon qui peut acheter à Serra ces décors de chantier navals. Il voit donc tout de suite qu’au-delà de son feu plasticien, il lui faut forcément convaincre des gestionnaires d’espaces publics vastes. Et plus il y réfléchit, plus il voit qu’il serait plus choquant, étonnant, renversant, pour le visiteur peu habitué aux chantiers navals que sa rencontre avec les immenses tôles se produise de manière inattendue, absurde, incongrue.

Du genre en plein milieu du Sahara, mais hélas, il n’y passe pas grand monde.

Résultat, il convainc assez facilement des gestionnaires ou décideurs d’espaces publics qui sont tout de suite épatés par l’émotion qu’ils ressentent au passage dans ces décors de tôles penchées et menaçantes, traitées de manière brute donnant l’impression que personne n’entretient la chose et que personne ne viendra les sauver en cas d’écrasement. (Idéalement il vaut mieux les visiter seul)

Alors il obtient des commandes et ses oeuvres fleurissent dans des endroits où l’on ne serait pas attendu à voir de tels monuments de ferraille brute. 

(A souligner que ces plasticiens de l’extrême poussent des industriels et artisans à des performances qu’ils ignoraient et font alors avancer les techniques. Exactement comme quand il avait fallu fondre d’énormes statues de bronze autrefois)

Les gens s’y confrontent, trouvent ça fort de café, trouvent que ça vaut le coup mais ceux là qui ont trouvé l’oeuvre utile, n’en n’ont déjà plus besoin (ils ne vont pas passer dedans mille fois) Même les plus conquis estiment, une semaine après, que la place doit être libérée. Ils zappent alors sur le fait que plein d’autres personnes ont encore à découvrir cette émotion. 
Après quelques semaines, on se retrouve donc avec des gens qui ont été charmés mais qui ont déjà envie d’autre chose et des gens qui n’ont même pas envie d’essayer s’étant contentés d’hystériser au loin. 

Ce n’est donc pas simple car déménager ces installations, c’est un peu injuste pour ceux qui n’y ont pas goûté et c’est fort coûteux
C’est tout aussi problématique que bien des oeuvres dites classiques qui ont été très encombrantes tel Le Christ quittant le prétoire ou les Nymphéas

Finalement, les grands bazars finissent souvent par rester sur place ou s’ils sont déplacés une fois ou deux, finissent dans quelque casse

Et il serait bien réducteur de ne voir dans ces installations en plein milieu d’une place de promenade qu’une provocation méchante ou arrogante. Non, c’est une provocation mais généreuse.

Il est très fréquent que des milliardaires installent des oeuvres pareilles dans leur parc, sur leur plage, pour le plaisir de leurs visiteurs privilégiés. Ils gâchent l’horizontalité de leur magnifique plage de sable blanc, en bordure d’une belle eau turquoise, par un très vilain tas de ferraille qui produit ainsi un plus grand choc émotionnel, une contrariété, un choc, un étonnement, une surprise, bref mille sentiments intéressants. Pour ces milliardaires joueurs, cela revient à se promener en public avec un carré Hermès tailladé aux ciseaux. Il ne faut pas tomber dans la réduction jalouse et primaire consistant à crier à l’arrogance méchante ou humiliante pour nous. Non, c’est la manière des millionnaires de dire qu’ils ont leur part de non alignement et d’excentricité ou de loufoquerie. Non les milliardaires ne font pas qu’aligner en bon ordre des chaises longues sur une piscine bien droite et symétrique.
Et autant préciser que ces grands bazars, une fois installés chez des milliardaires, ne sont quasiment jamais revendus. Ce ne sont pas du tout des placements financiers.
A leur mort, leur villa devient le plus souvent un musée et le public peut alors pour le prix d’une place de cinéma profiter de ces folles dépenses.


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