J’apprécie de genre de papier factuel. Il précise quelque chose d’important non pas d’un point de vue absolu mais parce que depuis quelques mois, exhibée au bout d’une pique par on ne sait qui, cette loi de 1973 cristallise bien des rancoeurs
Lorsque deux spécialistes parlent leur jargon, même très bien, le néophyte voit la discussion fermée et n’intervient pas ou à côté du sujet. Ce qui s’est déjà produit dans le fil des commentaires.
Demander un crédit à sa banque, accorder un prêt, chacun sait ce que c’est.
Mais une traite ou un effet, 90% des gens n’y ont jamais eu recours et 50% seulement savent ce que c’est. Or il en est question ici.
Je vais raconter le contexte de cette loi de manière très triviale et en faisant plein d’erreurs. Comme cette histoire sera parlante à tous, chacun pourra en saisir un bout, tirer dessus et entrer ainsi dans la discussion sans complexes.
Visite guidée par la petite porte donc.
Principe de base du commerce.
Quand un client doit payer un fournisseur, il lui demande souvent s’il consent à être payé en plusieurs fois, étalées dans le temps. Une partie tout de suite, une partie dans un mois, une autre le mois d’après etc.
Si le fournisseur y consent et seulement s’il y consent (c’est généralement discuté avant de passer la commande et c’est donc mentionné dans les termes du contrat) le client va donc lui donner, contre sa marchandise, un chèque qu’il pourra déposer tout de suite et des sortes de chèques à échéance différée que sont les traites ou effets. Sur ces traites ou effets (un bout de papier blanc peut suffire pour les rédiger), le client inscrit le montant et la date d’effet (disons la date d’échéance ou de maturité) et il signe ou tamponne du cachet de son entreprise.
Le fournisseur rentre donc chez lui avec un chèque ordinaire plus quelques traites à maturités étalées dans le temps.
Soit il conserve ces traites par devers lui et ne les présente à sa banque qu’au jour de leur maturité, soit il pleurniche sa banque pour qu’elle consente à les prendre toutes tout de suite et à lui donner tout le montant tout de suite mais contre une commission qui rétribue la banque pour ce décaissement anticipé et un peu risqué. Ce pourcentage que la banque demande ou prélève du montant escompté est le taux d’escompte. Disons que ce taux était de 2%.
Un fournisseur rend service à son client en consentant un règlement échelonné mais in fine, il transfère cet inconvénient et le risque à une banque contre une petite perte de 2%.
Il y a risque car si une banque peut contrôler la crédibilité d’une entreprise qui émet un chèque en vérifiant ce qu’elle a en banque ce jour-là, elle ne peut pas savoir d’avance si dans 6 mois, lorsqu’elle pourra présenter ces traites à la banque de l’entreprise débitrice, cette dernière aura encore des sous dans sa caisse.
Pour tous ceux qui acceptent un chèque il existe un risque qu’il ne soit pas couvert par un compte suffisamment approvisionné mais ce risque est à apprécier disons dans l’intervalle d’une semaine. Alors que les traites étant à échéances parfois de 6 mois, le risque d’impayé est beaucoup plus élevé.
Que ce soit le fournisseur s’il conserve les traites jusqu’à leur maturité ou que ce soit sa banque qui consent à les lui escompter avant la date de maturité (le compte du client n’étant alors pas débité tout de suite), ils prennent tous deux un risque d’impayé plus important qu’avec un chèque.
Contrairement aux chèques, les traites ou effets peuvent se refourguer d’un détenteur à un autre. Une banque qui en détient, que ce soit d’un particulier, d’une entreprise ou d’une collectivité, peut très bien les revendre à qui elle veut, et même en fractions. Contrairement à un chèque qui lie exclusivement celui qui l’émet et celui qui le reçoit, une traite lie celui qui l’émet à n’importe quel porteur. On peut donc avoir au départ un fournisseur unique devant soi, à qui on a remis un effet et se retrouver lié trois mois plus tard à mille porteurs de millièmes de cette traite.
Etait-il possible de se passer de ces manières de « payer plus tard » ? Il se trouve que pour ma part j’ai toujours payé mes fournisseurs au comptant donc par chèque qu’ils pouvaient déposer tout de suite. Mais la très grande majorité des entreprises, surtout les grandes, mes clientes, ne paient pas au comptant et préfèrent payer par traites. (De tous mes clients du genre EDF, Alstom, Ariane Espace, Crédit Agricole, Société générale etc, seul La chemise Lacoste me payait au comptant)
Cette manière de payer à échéance différée est bien entendu une manière de s’offrir un crédit consommation sur le dos du fournisseur. Au lieu de demander un crédit à sa banque pour acheter un bidule, le client parvient à l’acheter à crédit en payant son fournisseur par traites.
Les fournisseurs deviennent alors de plus en plus des banquiers ou plutôt des agents de banque puisqu’ils se débarrassent tout de suite des traites qu’ils détiennent en les faisant escompter par leur banque.
Dans la pratique, le fournisseur n’a guère la possibilité de refuser d’être payé par traites. L’habitude de payer par traites est si ordinaire en France que le refuser serait passer pour un fournisseur mauvais joueur. Et le coût de l’escompte (pour disposer de cash auprès d’une banque en échange des traites détenues) est donc intégré dans les prix de vente, dans le calcul de la marge.
Dans la pratique les fournisseurs proposent d’emblée eux-mêmes un paiement par traite à leur client ou prospect. Et la mécanique a fini par aboutir jusque dans le circuit grand public « Emportez maintenant, payez dans trois mois ou sur 6 mois »
Mes fournisseurs me proposaient toujours de les payer par traites mais je refusais et je les payais cash. Je trouvais que ce procédé de paiement différé, de crédit masqué conduisait à un cercle vicieux d’endettement inconscient.
Et il va de soi que cette pratique fortement française a indigné bien des fournisseurs étrangers mais ils ont fini par s’y faire.
En réalité, les banques ont très vite joué ce jeu du fournisseur-payé-plus-tard en invitant toutes les entreprises et même les particuliers à jouer ce jeu du paiement différé en assumant les risques à 3 mois, à 6 mois, à un an, mais contre rémunération évidemment.
Ca fait que toute notre économie n’a plus tenue en l’air que grâce à ce jeu d’escompte dont le crédit consommation n’est qu’un des avatars plus explicites.
Les banquiers, au lieu d’être essentiellement des poseurs de gros paquet pour investissements, sont devenus l’huile même du commerce. Pas d’escompte, pas de crédit = zéro commerce. Et même le boulanger de votre rue, qui encaisse pourtant le jour même de sa production, ne paye ses fournisseurs qu’à 30 ou 60 jours fin de mois.
Et ce qui vaut pour les consommateurs, pour les entreprises, vaut absolument autant pour les collectivités, pour l’Etat.
N’importe quel fournisseur de chaise ou de moquette à l’Etat lui propose évidemment un règlement étalé.
Et c’est au bout de cette mécanique du « Rien à débourser tout de suite » qu’on en arrive à ce que les entreprises ne vendent plus des immeubles à l’Etat mais les lui louent.
On a toujours pratiqué le paiement différé et Colbert le pratiquait ainsi que le drugstore de Cow-Boy city, mais il est devenu institutionnel, incontournable tant les comptes de tout le monde sont organisés sur cette pratique. Il n’est plus possible à quiconque de payer cash et chacun ne vit plus que sur espérance de bénéfices à venir.
C’est dans ce cadre + celui de la stabilisation des monnaies (de moins en moins assurées par un fonds métallique acquis, de plus en plus fondées sur une espérance de gains ou de rentrées fiscales futures) que la loi de 1973 a été pondue.
Elle n’innovait pas par rapport à l’existant. Elle a modernisé les lois précédentes en les adaptant plus finement au contexte qui s’emballait et en prévoyant des dispositifs démocratiques.
C’est pour éviter les dérives de plus en plus futuristiques de chaque Etat qu’il a été proposé de calmer un peu le jeu en limitant d’une manière ou d’une autre la production de monnaie sans valeur arrière, sans valeur passéiste. Si tout devait se passer entre l’Etat et une Banque Centrale toute à ses genoux, alors le papier (obligations d’Etat dans un sens, monnaie dans l’autre) seraient produits à très grande vitesse et ne vaudraient plus rien aux yeux des tiers, des étrangers en particulier.
Si un Etat (ou une mairie ou une région) émet des traites pour payer ses chaises, ses voitures et ses fonctionnaires et qu’elle oblige la banque de France à accepter ces traites pour les convertir en cash, il joue la planche à billets et provoque de l’inflation (de plus de 10% à cette époque là). Il fallait donc au minimum accorder à la Banque de France la possibilité de refuser cet escompte ou de refuser trop de volume. D’où cette loi de 1973.
Or, malgré cette loi, tous les acteurs économiques ayant trouvé des banques annexes pour escompter leurs traites, le jeu de la consommation à crédit s’est poursuivi.
Ce qui aura alors limité l’inflation c’est deux choses essentielles : Le refus des banques annexes d’escompter tout et n’importe quoi en n’étant jamais obligées d’escompter et aussi la concurrence de l’usine asiatique.
Sans ces deux effets conjugués, notre inflation serait restée à deux chiffres.
Comme ce sont les banques annexes qui ont assumé les risques d’impayés, elles ont augmenté le coût du crédit de manière libérale, dans un jeu concurrentiel (probablement en partie lobbyé) et les consommateurs se retrouvant endettés tant pour leur maison que pour leur voiture et pour leur planche à voile, ils ont été un peu raisonnables.
Par contre, les collectivités surfant facilement sur ce principe d’endettement, n’ont pas craint d’emprunter à la pelle. Une collectivité vit éternellement, elle peut augmenter les impôts et la problématique de l’impayé est donc regardée autrement par les banques.
Si les banques ont consenti un paiement différé ou crédit consommation aux particuliers, d’abord sur un mois, puis sur deux puis sur trois, si les crédit immobiliers sont passés de 10 ans à 30 ans, aux collectivités, elles pouvaient prêter sur 100 ans (Il était plus risqué de prêter à un roi qu’à la République)
Les taux pratiqués par les banques annexes ne sont pas forcément beaucoup plus élevés que celui qu’aurait autrefois accordé la Banque de France et ce n’est donc pas tellement le taux pratiqué par les banques annexes qui ont fait la hauteur de l’endettement, c’est essentiellement le principe du « De toutes manières quelqu’un paiera et ce ne sera pas moi » que se disaient les élus de toutes les sortes de collectivités. Au-delà ou nonobstant les taux, donc les intérêts, c’est d’abord et principalement le volume du capital emprunté qui nous a endettés.
Hurler que ce sont les intérêts qui nous pèsent c’est enfumer pour indexer les banques et se dédouaner d’avoir dépensé alors que c’est le capital emprunté qui a été trop important.
J’ai été conseiller municipal et j’ai parfaitement la manière de raisonner des élus. Il est très difficile pour un conseiller municipal (non rémunéré, archi bénévole) de s’opposer au maire et maires-adjoints (tous payés) qui se lancent dans des constructions d’école de musique, de stades, par millions « Tu nous emmerdes. Tu ne vois pas que nous investissons pour le futur ? » Le débat est clos d’office.
D’autant que les communes sont voisines et jalouses « Oh dis donc, t’as vu, nos voisins ils ont un beau stade et nous, même pas un terrain vague ! Notre maire est un minable »
Sous prétexte d’investissement futuristique (vous en avez vu des affiches 3x4 un peu partout de la part des Régions) on pouvait se payer n’importe quoi et si on se retrouve coincé par des échéances, il suffit de demander à la banque de réétaler la dette.
On avait déjà étalé au départ en empruntant sur du long terme et au fur et à mesure que ça coinçe dans les échéances à rembourser, on réétale encore.
Comment les banques auraient-elles pu refuser ces réétalements sans fin ? Quand l’allure générale des collectivités semble dynamique, quand on voit surgir des stades et des piscines, quand la population vote en grand nombre, ça inspire confiance non ? (Les votes sont examinés et analysés par les banques)
La singularité dans les crédits que les banques accordent aux collectivités c’est qu’elles ne peuvent pas prendre d’hypothèque sur des tables, sur des chaises, sur des gymnases appartenant à une collectivité. Alors elles se couvrent en refourgant leurs traites à des organismes mutualisant les risques genre assureur ou Coface.
L’habitude se prend donc de plus en plus d’accorder des prêts sans disposer de la moindre assurance de trésor constitué. A la limite, même une hypothèque sur la maison d’un particulier, ça n’intéresse plus la banque qui prête. Elle s’assure autrement et revend ses créances en rondelles mixés canigou, les CDS.
Et à la fin, tout le monde est lié.
Ces temps-ci, on a d’abord beaucoup maudit les banques.
Plus récemment on commence à maudire l’Etat parce qu’il a trop emprunté.
Mais je me demande si on en viendra à pester contre les collectivités locales parce qu’elles ont elles-aussi bien trop emprunté.
C’est que si concernant l’Etat, aucun de nous n’a demandé un Airbus Sarko One, si aucun de nous n’a exigé la construction d’un Pentagone français, ce n’est pas du tout la même histoire concernant les collectivités locales. Qui n’a pas réclamé une aire de jeu, un parc, un éclairage public, une piste cyclable, une piscine, une salle des fêtes, des fleurs partout, des guirlandes à Noël, des ralentisseurs, un tramway ?
15/07 16:21 - André-Jacques Holbecq
Loin de moi l’idée de vouloir poursuivre ce débat sans fin ici sur Agoravox mais je (...)
08/07 17:39 - mano
C’est beau tous ces commentaires.....quand est ce qu’on commence à agir (...)
02/06 13:14 - tleilaxu
J’apporte ma pierre à l’édifice : http://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/ban
25/04 15:35 - Liior
Oui, ça correspond bien en effet avec le premier choc pétrolier. Cordialement,
18/04 03:53 - Nethan
Je répond sur le tard mais je le fais malgré tout. Justement vous le rapellez, il y eut le (...)
13/04 10:04 - Yoann
Votre thèse n’est pas fausse, vous n’abordez simplement pas les vrais problèmes ... (...)
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