La vérité n’est pas plus l’apanage du christianisme que de toute autre religion, doctrine ou philosophie. Cependant à la lumière des travaux de René Girard, anthropologue philosophe exégète, il est permis de penser que le christianisme a révélé une vérité, celle de l’innocence de la victime émissaire face à la culpabilité de la collectivité. Il s’agit d’un renversement des valeurs qui prévalent dans le monde antique païen, fondé sur la culpabilité d’une victime émissaire, sacralisée dans les rites sacrificiels. Selon le Christ le mensonge est là, dans cette faculté spécifiquement humaine de rejeter sur le faible, l’exclu, le marginal ou le différent, tous les malheurs qui accablent les hommes. La communauté, dans ce processus de cristalisation des ressentiments autour d’une personne ou d’un groupe donné, maintient une cohésion vitale en rejetant à l’extérieur, dans la sphère du sacré, tout danger de violence auto-destructrice. La mythologie grecque n’est que meurtres, paricides, incestes et lynchages, monstruosités qui ne sont pas que des effets littéraires mais la traduction d’une violence potentielle dont l’humanité doit se préserver pour survivre.
En acceptant sa condition de victime émissaire, le Christ dévoile, ou tente de dévoiler, ce mensonge. Dans la Passion, la foule en délire réclame la condamnation de Jésus, pour des raisons qui paraissent injustifiées à Pilate. Il le fera néanmoins condamner face à la montée de l’hostilité. Il s’agit là du même processus sacrificiel qui caractérise le paganisme, la différence résidant ici dans la volonté de la victime de faire prendre conscience à la collectivité du mensonge qui rend possible le lynchage. Dans la phrase « que celui qui n’a jamais pêché lui jette la première pierre », il faut comprendre littéralement que le Christ accepte la Loi, mais en mettant l’accent sur l’acte qui va déclencher la lapidation il responsabilise celui qui en prendra l’initiative. Et qui peut prendre une telle initiative, en connaissance de cause ? A moins de se voiler la face et de sombrer dans l’ivresse du défoulement (dont Dyonisos est le dieu tutélaire) cela est impossible. La vérité est là.