Aristote ; Politique ; Livre VI / 4-15
Les différentes formes de démocratie.
« Quant à la dernière espèce de démocratie, à cause de la
participation de tous en pouvoir, ni toute cité n’est à même de la
subir, ni elle-même ne peut se maintenir facilement sans avoir de bonnes
assisses grâces à ses lois et à ses moeurs. Pour édifier cette
démocratie, les dirigeants donnent d’ordinaire de la force au peuple en
lui adjoignant le plus de gens possible et en donnant le droit de cité
non seulement aux fils légitimes, mais encore aux bâtards et aux enfants
dont un seul des parents est citoyen : je veux dire le père ou la
mère ; tout le monde, en effet, convient à une démocratie de ce genre.
Voilà comment d’ordinaire les chefs du peuple (dem-agogues) établissent
leur régime ; toutefois cette adjonction de citoyens ne doit se faire
que jusqu’au point où la masse l’emporte en nombre sur les notables et
la classe moyenne, et ne pas dépasser cette limite. En effet, en allant
au-delà, on accroît le désordre dans l’Etat et l’on incite les notables à
tolérer encore moins facilement la démocratie ; ce fut précisément la
cause de la révolte à Cyrène. Un mal, inaperçu lorsqu’il est léger,
saute davantage aux yeux quand il a grandit.
De plus, sont utiles aussi pour une démocratie de cet sorte
des mesures semblables à celles qu’utilisèrent, à Athènes, Clisthène,
lorsqu’il voulut renforcer la démocratie et, à Cyrène, les fondateurs du
régime populaire ; Il faut créer d’autres tribus et phratries plus
nombreuses, regrouper les cultes privée en un petit nombre de cultes
publics et user de tous artifices pour que les citoyens se mêlent le
plus possible les uns aux autres et que leurs relations anciennes sont
rompues.
De plus, les dispositions propres à la tyrannies, de l’avis
général, conviennent toutes à cette démocratie ; je veux dire, par
exemple, l’insubordination des esclaves (qui pourrait être utile jusqu’à
un certain point) , des femmes et des enfants, et l’indifférence au
genre de vie que chacun veut mener ; on aura de fait, grand intérêt à
venir en aide à un régime de ce genre, car la multitude trouve plus
d’agrément à vivre dans le désordre que dans une sage discipline. »