Cher Demian, et aussi Chère Auteur,
Avec beaucoup de bon sens et probablement d’observation, vous mettez le doigt sur un phénomène extrêmement important en matière de délinquance, de ghettoisation et de comportement en général dans votre post. En fait, et dites-moi si je me trompe, vous parlez de communautés, de groupes et des règles d’appartenance à ce groupe qui pour une bonne part sont des règles d’identification.
C’est vrai aussi sur le terrain... on constate par exemple, que dans « les cités » - ce qui ne veut pas dire grand chose, mais bon, c’est une façon de délimiter une catégorie sociologique - les jeunes sont soumis à des règles tacites qui sont incroyablement plus complexes et contraignantes que les règles de la société dans laquelle ce ghetto est inclus. Dans la société en général, il suffit de se dire bonjour pour respecter une étiquette de politesse - dans ces cités, il faut se dire bonjour d’une certaine façon, taper dans la main d’une certaine façon, avoir un angle dans le regard d’une certaine façon, approcher un territoire d’une certaine façon, être habillé d’une certaine façon, et je passe les longues descriptions des codes vestimentaires, etc...
Autrement dit, ce n’est pas que ces jeunes n’ont pas de valeurs ou de repères - c’est plus simplement que ces valeurs ne sont pas les mêmes. Dans les ghettos américains que je connais bien pour avoir travaillé sur le terrain là bas pendant un temps, il existe même des codes d’appartenance dans certaines bandes consistant à tuer quelqu’un. Au final, c’est encore plus contraignant que « d’avoir un job » dans d’autres milieux - car refuser, peut parfois signifier « devenir la cible ». Avoir fait de la prison peut être aussi un « droit d’entrer ». Certains sont même morts pour avoir oublié de mettre leur « bandana rouge », signe d’appartenance au quartier ou au gang.
Il semble que la notion de bandes, de groupes, d’appartenance à une communauté quelles que soient ses règles est un facteur inhérent à l’individu. On vit mieux dans une bande d’amis que seul et isolé. On s’y amuse plus aussi. On peut aussi réaliser de plus grandes choses à plusieurs. Et aussi, tout simplement, ne pas crever.
Cela nous ramène inévitablement au problème de l’exclusion. Si la société a pour toute réponse d’exclure - et la prison est un bel exemple d’exclusion sinon le plus symbolique d’entre tous - des groupes avec des règles différentes et souvent opposées à celle définies par « l’exclueur » se forment.
J’irais même plus loin - est-ce que certaines de nos valeurs chrétiennes pour beaucoup d’entre elles, ne sont pas basées sur des réactions aux valeurs des anciens persécuteurs - romains en l’occurrence - pour qui le sexe était une chose naturelle, qui pratiquaient le bain chaud quotidien, qui aimaient manger avec volupté au cours de banquets interminables, etc. Les chrétiens y ont répondu par un rejet du sexe, les bains étaient considérés comme beaucoup trop voluptueux, le jeûne, le carême comme une preuve d’abnégation.
Pour revenir au sujet, l’expérience de Benevole avec son groupe de jeunes est très significative et j’ai constaté moi-même ce type de comportement. Si tous les éducateurs ou même les gardiens de prison avaient la même attitude, on constaterait un net recul de la délinquance.
Quant aux autres critères - société, politique, richesse, pauvreté, éducation parentale - malgré une influence indéniable, il me semble secondaires parce que j’ai pu observer dans ma vie tout et son contraire dans ce domaine : un jeune devenu délinquant alors que ses parents architectes possédaient un 200 m2 place du Troca, un autre devenu délinquant dans une famille immigrée mono parentale dont la mère était analphabète et dont le premier appartement était situé dans la goûte d’or - mais dont un frère est aujourd’hui médecin et la soeur prof de maths à la fac d’Orsay. Par contre effectivement, il suffit de voir ses fréquentations pour un peu mieux comprendre son parcours.
J’en viens à penser que toute idée visant au perfectionnement de la société afin de résoudre un problème - en d’autres termes - d’apporter une solution macro politique à une situation individuelle - est bien jolie sur le papier mais ne fonctionne pas. Si l’on attend une évolution non consumériste de la société avant d’agir ou que le problème de l’emploi soit entièrement résolu avant de faire quelque chose, on pourra probablement attendre longtemps. Ce qui ne veut pas dire non plus qu’il ne faut rien faire pour résoudre ces problèmes car encore une fois, ce sont des facteurs secondaires, mais néanmoins des facteurs.
Mais, c’est là que je rejoins la plupart des propos de l’auteur. Au final reste l’individu et sa RESPONSABILITE individuelle. La solution est souvent dans le détail - échec scolaire, drogue, fréquentation, parcours personnel et problèmes individuels, etc. Et je parle de responsabilité, pas de culpabilité.
Ou sont les leviers sur lesquels l’éducateur peut agir ? Ils sont là finalement (éducation, drogue, faire de la prison une chance de s’en sortir au lieu d’un facteur supplémentaire d’exclusion, revivifier les buts et les aspirations individuels de l’individu que l’on souhaite aider, etc.) Dans tous les cas, ils font appel à la responsabilité individuelle. Ce sont des leviers sur lesquels l’individu lui-même peut agir si on lui en laisse la possibilité.
De plus, comment aider quelqu’un à s’en sortir si on lui refuse cette notion de responsabilité. Si l’on serine à longueur de discours à un jeune qu’il est en rien responsable de sa propre condition mais que tout vient du grand méchant Sarkozy (oh le monstre - juste d’écrire son nom me file la chair de poule) et d’un concept aussi nébuleux que « la société », ça consiste à lui expliquer qu’il n’a aucune chance de s’en sortir car les leviers de commande lui sont inaccessibles. Et que la seule solution est de brûler des voitures. De plus, c’est aussi lui signifier qu’il n’est rien, qu’un vague concept sociologique inutile et incapable. Et en brûlant quelques véhicules, il va clairement essayer de vous prouver le contraire. Si on lui parle de sa responsabilité individuelle, à l’inverse, ça lui prouve qu’il a été au moins assez « intelligent » et causatif pour s’être foutu dans la merde à ce point et que SES choix face aux problèmes rencontrés (les facteurs secondaires évoqués par beaucoup et dont je parle plus haut) n’étaient pas les bons.
J’ai aidé un SDF une fois qui s’en est réellement sorti, non pas en lui filant de l’argent, mais en refaisant son parcours avec lui et en lui faisant prendre conscience de chaque tournant dans sa vie qui l’avait amené là où il en était - certes, il s’est effondré en larmes en constatant que c’était lui qui avait déterminé sa condition (je n’ai jamais vu un adulte pleurer autant je crois) - mais au final, il s’en est sorti en se disant que finalement, il n’était pas un SDF « congénital », il n’était pas une nullité sans valeur, mais qu’il aurait tout simplement pu faire d’autres choix. Et c’est seulement à partir de là, qu’il a pu être aidé, entre autre, financièrement. Cette expérience nous renseigne d’ailleurs aussi sur les effets pervers de l’assistanat. Il serait barbare de ne pas aider quelqu’un qui a échoué quel que soit sa responsabilité, mais il ne faut pas le faire n’importe comment.
Perso, j’ai un grand respect pour les éducateurs - pour ceux qui réussissent comme pour ceux qui se plantent. J’ai tâté un peu du terrain, je n’aurais jamais pu faire ça toute ma vie. C’est dur et ingrat comme job. Sauf que certains devraient arrêter de lire trop de bouquins de psycho-sociologie-politique et utiliser simplement leur bon sens.
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