Bonjour Esteban,
merci pour votre article sur un sujet fondamental et très
rarement abordé en occident.
Mais vous ne pourrez pas poursuivre sur ce sujet sans
remettre en question ce que l’on appelle ici (en occident)les valeurs « des lumières ».
Vous vous attaquez là à des superstitions, des tabous fondamentaux de l’occident, et il est désespérant de
constater que, quand on le fait, on a l’impression de
parler à des sourds... Je vous souhaite bonne chance !
Il me parait intéressant d’éclairer aussi ce sujet par
un regard sur l’identité humaine comme elle est vécue ici.
Un des archétypes de la société humaine en général est le théatre ; on peut remarquer d’ailleurs que le théatre d’antan était une chose sacrée, un enseignement, et non pas un simple divertissement.
Au théatre, ce sont le scénario et les personnages qui sont les éléments fondamentaux de la pièce, et chargés
de sens ; les acteurs, comme le décors, sont bien sûr indispensables à l’existence de la chose, mais ils font partie du support physique et sont interchangeables.Les
meilleurs acteurs sont ceux qui réussisent à être les
plus « transparents », en quelque sorte, à s’effacer devant
la vérité de leur personnage.
Or nous sommes tous un peu un théatre : la vérité profonde de chacun, sa « nature personnelle », comme ses
dons, est le « rôle » chargé de sens que nous nous efforçons
d’incarner ; c’est en nous « jouant », en quelque sorte, que nous nous rapprochons de nous-même.
C’était des choses que les anciens de toutes époques, partout dans le monde, connaissaient, et mettaient en oeuvre dans les enseignements ; et la vie d’une communauté
ne se concevait pas sans des modèles et des personnages exemplaires, profondéments humains, présents ou racontés.
Or, aujourd’hui, ce sont des choses ignorées et confondues chez les modernes.
Par exemple un des vices fondamentaux du principe de démocratie, c’est de croire qu’en changeant les acteurs
(les élus), on changerait le scénario ; et c’est comme çà
que les gens se désolent de voir que plus ils changent
leurs gouvernants, plus les gouvernements et les réformes se ressemblent !
Et non seulement ces choses sont ignorées et non enseignées, mais on a vu progressivement apparaître des personnages et des modèle faux, cad contraires à la nature humaine.
Au delà des innombrables caricatures véhiculées par les films de toutes sortes, je pense à un exemple particulier,
à un personnage qui devient de plus en plus envahissant,
le modèle des faux amis : le « citoyen », support même du concept individuel de l’être.
Car l’individualisme, ce n’est pas qu’un système, c’est
aussi une identité.
Aujourd’hui, dans les discours politiques de ce pays, on ne parle plus de gens, d’êtres humains, de moins en moins
de « Français », et de plus en plus de « citoyens ».
Le « citoyen », ce n’est pas un être, ce n’est pas une
définition d’espèce, mais une simple fonction, et aussi
un statut ; les romains le savaient bien, qui mettaient
la toge pour aller au forum, mais qui l’enlevaient ensuite,
de retour chez eux, et ne confondaient pas la fonction
citoyenne avec le sens de leur vie.
Tandis que les gens, ici, au bout de quelques siècles, finissent insensiblement par se prendre pour des citoyens ;
or, si on le considère de près, le citoyen n’est pas un personnage humain (ni même vivant peut-être):il n’en a pas les mêmes attributs :
Un être humain est jeune ou vieux, comme vous le disiez,
intelligent ou bête, il est toujours sexué, et jamais
anonyme ; le citoyen n’est rien de tout celà : que vous
soyez le plus intelligent ou le plus bête de ce pays,
votre vote sera équivalent !
Stupide, me direz-vous, les citoyens français sont évidemment humains ! Oui, parce que vous confondez les
acteurs et les personnages... Les acteurs le sont,
bien sûr, mais peut-être pas le rôle qu’on leur fait
jouer.
Et ces personnages qui nous entourent,« citoyens »,
« travailleurs », « salariés », etc, qui nous définissent par des fonctions, et qui nous rattachent à un système technique, finissent avec le temps par devenir des modèles identitaires, psychologiques, qui déteignent sur les gens, complètent l’uniformisation culturelle amorcée par les
médias, et finissent par provoquer chez beaucoup une véritable mutilation de la personnalité et une aliénation générale.
Mais c’est une condition indispensable à l’établissement
d’un système technique et industriel avancé, car aucun
peuple par le passé n’aurait jamais accepté de payer un
tribut aussi lourd pour simplement « gagner sa vie ».
Cordialement Thierry