Bonjour Igor,
Puisque nous parlons de réputation, permettez moi de situer la manière dont je vois le duo que vous formez avec votre frère. Je ne connais pas Mr Riazuelo même si je l’ai déjà croisé, et je ne pense pas pouvoir juger effectivement de la validité de vos thèses, en tout cas pas d’une manière que je considèrerais comme scientifique.
Vous m’avez effectivement fait rêver étant enfant, par vos émissions et vos bouquins.
Maintenant que je suis un grand, que j’ai passé les études, la thèse, les concours, je me retrouve officiellement intégré au monde de la recherche depuis quelques années (en physique).
Je reviens régulièrement sur votre travail, j’en tire souvent une profonde, et pas toujours désagréable, perplexité :
- Vos livres de vulgarisation (je n’ai pas lu le visage de dieu) touchent parfois à « mes domaines de compétences ». J’y trouve des pages entières comme des mille-feuilles : des feuilles de choses intéressantes, de points de vue pertinents, puis quelques feuilles de contre-sens ou d’approximation. On peut toujours mettre ça sur le compte d’une nécessaire mise en forme dramatique, ce que vous faites très bien. Mais je ne saurais dire si mon respect pour votre art de la vulgarisation ou ma foi dans la rigueur scientifique l’emporte dans l’histoire.
Je dois vous dire que personellement, mon coeur balance... Entre la liberté infinie de la création et de la représentation, et la rigueur extrême que requiert la science, je ne saurais pas encore choisir quelles proportions sont préférables.
- Vous vous présentez en quelque sorte comme des analogues du « poète maudit » dans le domaine scientifique. Je ne doute pas qu’il en existe : talentueux, courageux, innovants, et pas reconnus. Je me bats moi même avec les dénominations : le monde de la recherche est très codifié malgré la décontraction apparente, un ’technicien’, un ’ingénieur’, un ’amateur’ ou un ’chercheur’ sont considérés de manière très différentes, malgré la perméabilité entre ces catégories (et en même temps, il faut bien classifier).
Mais c’est là que le premier point que j’évoquais, bénin si vous vous présentez comme des ’vulgarisateurs’, des ’journalistes’, des ’performers’ etc..., devient gênant pour moi. Car au fil du temps, votre ton dans les livres est passé de ’vulgarisateur’ à ’acteur de la science’.
Vous écrivez des livres, et vous bénéficiez de votre célébrité pour présenter vos théories : je ne vous en blâme pas du tout. Mais vous avez alors une responsabilité accrue à mes yeux, car 1) vous touchez beaucoup de gens et 2) vous dites représenter ce que personellement je vénère i.e. ’la science’.
Perplexité donc à nouveau, entre le talent des showmen, la vénération monastique que je voue à la rigueur scientifique, mes souvenirs de Temps X, et notre époque terrain de jeux des mythomanes un tant soit peu habile et léger sur l’éthique.
Pour finir, je n’ai jamais vérifier ça formellement, mais on m’a toujours dit que depuis quelques décennies, les thèses en sciences dures (ou cela ne concernerait que la physique et pas les maths ?) doivent obligatoirement être effectuées dans le cadre d’un financement associé. Il existe pour cela plusieurs possibilités de bourses, et c’est à ma connaissance un régime très différent de celui des sciences humaines.