Rosemar, ces questions d’industrialisation (ou ré-industrialisation) sont étonamment problématiques dans notre pays colbertiste qui porte cette vieille tradition manufacturière et industrielle.
 
En tout premier lieu, comme vous l’évoquez si justement, jusqu’où considérer un produit estampillé Made in France ? Les sacs en crocodile ou en galuchat « Vuitton » sont-ils français si la peau de crocodile ou le galuchat utilisés pour leur fabrication viennent d’Afrique ou d’Australie ? Un bijou conçu par un grand joailler peut-t-il être qualifié de français si son or a été extrait en Afrique du Sud et ses pierres précieuses proviennent du Mexique ?
 
Les tablettes numériques « Archos », marque française, conçues en France sont sans doute fabriquées en Chine. Sont-elles Made in France ? Le Conçu en France vaut-il le Made in France ? Comment apprécier ce critère ? Où positionner le curseur ? Que vaut alors la matière grise française ? Vaut-il mieux des tablettes conçues en France et fabriquées en Chine que pas du tout ?
 
Mais, ce qui me pose le plus de soucis dans tout ce débat autour de la ré-industrialisation est que l’on aborde le problème au regard des seules notions de coût du travail et de rentabilité.
 
Or, l’un des motifs sans doute essentiels de cette désindustrilisation n’ a -t-il pas également pour origine l’absence d’acceptation sociale de cette industrie ? Cela on ne l’évoque pas, et pourtant c’est un point crucial.
 
Absence d’acceptation au regard du travail en premier lieu : Acceptation d’un travail répétitif, parfois à la chaine, dans le bruit ? Un travail aliénant. Un travail dévalorisé. L’ouvrier n’avait il pas fini par devenir un paria avant de recevoir les palmes du martyre en devenant chomeur ?
 
Sommes-nous prêts à revaloriser le travail manuel ? Le travail répétitif ? Le travail dans ce qu’il a d’ingrat ? de physique ? d’usant, dans la civilisation du beau et de l’éternellement jeune ? On présente avec nostalgie les hauts fourneaux de la sidérurgie d’Arcelor-Mittal à Florange. Je ne suis pas certain que les conditions de travail y soient très enviables ! J’ajoute que ce point est vieux comme le monde : Héphaïstos (Ἥφαιστος / Vulcain), dieu des forgerons n’avait-il été jeté du haut de l’Olympe par sa mère Héra parce qu’elle le trouvait laid ? Acceptons nous vraiment l’industrie ?
 
Et surtout, qu’en est-il au regard de l’environnement  ? Cet autre critère que l’on élude, c’est celui de l’environnement. Qui accepte désormais d’avoir à proximité de chez soi une usine polluante et/ou dangereuse ? Les centrales nucléaires sont décriées, les éoliennes aussi, le pétrole est en voie de disparition. Vous citiez l’industrie de la savonnerie : elle utilise des produits chimiques simples mais nocifs : des acides gras (huiles), de la soude. Savon de Marseille ou d’ailleurs, cette industrie pour autant qu’elle soit à visée cosmétique, n’en est pas moins un important pollueur.
Saurions-nous accepter la prise en compte de cette nécessité économique de réindustrialiser la France en acceptant son corollaire, à savoir les incidences sur l’environnement ? Sommes nous prêts à dé-règlementer le droit de l’environnement, à être plus souple sur sa mise en oeuvre, au détriment des nappes phréatiques, des sols, de la qualité de l’air que nous respirons, de notre environnement visuel, du confort de vie ?