Ulysse à raison, les déséquilibres commerciaux ne « tombent pas du ciel » et sont la résultante directe de l’ouverture économique du début des années 80, accentuée au cours des années 90, et dont l’Europe institutionnelle, fortement teintée de néolibéralisme, en a été l’un des principaux fer de lance.
Cette ouverture non plus ne tombe pas du ciel évidemment, puisqu’elle est elle-même la conséquence de décision politique délibérée et concertée au plus haut niveau (préalablement théorisée idéologiquement par d’éminents auteurs), entrainant entre autre phénomènes de déréglementation, désétatisation et de défiscalisation, notamment des agents économiques les plus puissants (ménages et entreprises) et donc politiquement influents.
Suffisamment en tout cas pour insuffler, orienter, et forcer le cas échéant des décisions qui ne manquaient pas de servir leurs intérêts mercantiles et purement court-termistes, sans vision et projet civilisationnels aucuns, dans le cadre (pour paraphraser Michéa) de leur « métaphysique de la rapacité ». Nous en voyons (et subissons) les conséquences désormais, dans le contexte peut être sans précédent d’un tel creusement des inégalités et qui frappe l’entièreté de la sphère occidentale, en particulier au sein des pays qui avaient poussé le plus dans la voie du libéralisme le plus dogmatique, et donc le plus délétère (USA, UK, Irlande, Espagne).
Creusement des inégalités caractérisé par des tendances objectives emblématiques, à travers notamment les découplages de la productivité/salaires et salaires moyens/médians au sein de ladite sphère, et qui sont incontestables. Comme est incontestable que le curseur de la répartition de la plus-value s’est déplacé de près de 10 points de PIB dans tous ces pays (précisément au cours des années 80) en faveur du rendement du capital et ce au préjudice de la masse salariale, donc au soutien de la croissance.
Ce qui conforte totalement le raisonnement selon lequel la rationalité interne au libre-échange mondial, à travers son triptyque de liberté d’établissement des marchandises, des individus et des capitaux, a non pas seulement favorisé mais clairement suscité, provoqué, des réactions non-moins rationnelles visant à optimiser, différemment qu’ils ne l’étaient par le passé (mondialisation et abattements des frontières obligent), les investissement productifs et placements financiers (étatiques ou non).
Entrainant processus concomitant de dépression salariale et donc, à terme, d’insuffisance structurelle de la demande. Cela étant compensé, dans un premier temps (jusqu’à l’explosion inéluctable de la bulle), par le recours au substitut palliatif du crédit afin de sauver la consommation, et donc in fine la croissance. Ceci étant bien évidemment un cercle parfaitement pervers auquel il sera être long, difficile - sinon très douloureux - de sortir, bien qu’il soit indéniablement nécessaire.
Pour compléter mon propos, Jacques Sapir démontre ici remarquablement bien que la crise financière n’est en effet pas la cause immédiate et sous-jacente à la crise de système qui frappe notamment le monde occidental (mais en réalité le modèle de développement mondial dans son ensemble), mais plus surement une conséquence de cette crise qui est assimilable à une crise structurelle mondiale, voire une crise quasi-anthropologique.