Conseil de Guerre de l’OTAN contre la Syrie
Rick Rozoff
29 juin 2012
Mardi 26 juin, à Bruxelles, le Conseil de
l’Atlantique Nord – la plus haute instance de commandement du bloc
militaire de l’OTAN (Organisation du traité de l’Atlantique Nord),
dominé par les États-Unis – doit aborder la question de la Syrie sous
l’angle des clauses de son texte fondateur qui, tout au long de la
dernière décennie, a été à l’origine de déploiements préliminaires de
forces armées conduisant au déclenchement de guerres totales
Ce conseil est constitué des ambassadeurs des 28 États membres,
représentant une population totale de 900 millions d’habitants. Ses
membres fondateurs comptent trois puissances nucléaires – les USA, la
France et l’Angleterre – dont la première s’est autoproclamée unique
puissance militaire mondiale.
Jusqu’à la veille de cette réunion, l’OTAN devait examiner une requête
de l’un de ses membres, la Turquie, de tenir des consultations
conformément aux dispositions de l’Article 4 du Traité de l’Atlantique
Nord, qui autorise tout État membre à appeler l’intégralité des membres
de l’Alliance à répondre à ce qu’il considère comme une attaque contre
sa sécurité et son intégrité territoriale.
Le 25 juin, trois jours après que le chasseur bombardier supersonique
F14 eut été abattu au-dessus des eaux territoriales syriennes, la
Turquie annonça qu’elle demanderait que l’alliance militaire en réfère à
l’Article 5, lequel stipule que « toute attaque armée contre un ou
plusieurs États membres en Europe ou en Amérique du Nord doit être
considérée comme une attaque contre tous », les alliés de l’OTAN étant
alors tenus de « porter assistance à la, ou aux parties ainsi attaquées,
en engageant sur le champ, individuellement et en concertation avec les
autres parties, toute action jugée nécessaire, y compris le recours à
la force armée... »
L’Article 5 avait été invoqué en octobre 2001, pour la première et
unique fois en date, et fonde toujours, depuis une dizaine d’années, le
déploiement en Afghanistan de troupes des 28 États membres et de leurs
22 partenaires.
L’Article 4 fut invoqué pour la première fois le 16 février 2003, à
nouveau par le Conseil de l’Atlantique Nord et à nouveau au sujet de la
Turquie, à la veille de l’invasion anglo-américaine de l’Irak. Cela
entraîna le déclenchement de l’Opération « Display Deterrence »
[déploiement d’une force de dissuasion], et le déploiement en Turquie de
cinq batteries de missiles d’interception ’Patriots’ – trois allemandes
et deux américaines – ainsi que de quatre appareils de surveillance
aérienne AWACS [Airborne Warning and Control Systems : Systèmes aéroportés de Contrôle et d’Alerte], en conjonction avec le Système de Défense Aérienne Élargi Intégré de l’OTAN.
L’OTAN déploya, selon ses propres termes, « 1 000 techniciens
spécialisés et extrêmement compétents » pour conduire l’Opération.
Les premiers avions AWACS arrivèrent le 26 février, et trois semaines
plus tard l’invasion et le bombardement de l’Irak étaient lancés. Bien
qu’il n’y ait eu à l’époque en Irak que 25 millions d’habitants, contre
70 en Turquie, et bien que l’armée turque ait été la plus formidablement
équipée de la région – tandis que l’Irak sortait affaibli de huit
années de guerre contre l’Iran dans les années 1980, de la campagne de
bombardements des États Unis et de leurs alliés en 1991 et depuis, et de
douze années de sanctions écrasantes, l’OTAN ne tarissait pas d’éloges
sur l’Opération Display Deterrence, qui venait de « tester et
prouver la capacité des forces de l’OTAN à répondre immédiatement et
avec la force offensive appropriée, à une menace évoluant rapidement
contre l’un des membre de l’Alliance ».
Dans quelle mesure un Irak aussi mortellement affaibli avait réellement
pu représenter pour la Turquie « une menace évoluant rapidement », cela
ne fut jamais précisé.
Les AWACS sortirent sur une centaine de missions et les batteries de Patriots allemandes furent notamment équipées de missiles Patriot Advanced Capability-2, « un missile plus moderne fourni par l’Allemagne » expliqua l’OTAN.
L’Opération prit fin le 3 mai, soit 65 jours après son déclenchement et
45 jours après le début de l’invasion de l’Irak. Pour donner une idée
de ce que l’OTAN pourra déclarer à l’issue de cette réunion au sommet,
l’Ambassadeur turc de l’époque, auprès de l’OTAN, déclara après avoir
invoqué l’Article 4 : « Encore une fois, je tiens à témoigner de la
sincère gratitude du peuple et du gouvernement turcs envers la
solidarité dont l’Alliance a su faire preuve en renforçant la défense de
mon pays en réponse à la dernière crise en Irak. Nous sommes convaincus
que, à travers un déploiement d’une force de dissuasion aussi active et
collective, l’OTAN a non seulement tendu la main et offert une aide
infiniment appréciable à l’un de ses membres en grande difficulté, mais
il a aussi prouvé une fois de plus sa crédibilité et sa pertinence, en
tant que pierre de touche de la sécurité collective dans la zone
Euro-Atlantique ».
La Turquie était alors, tout comme aujourd’hui, présentée comme la
victime – « en grande difficulté » qui plus est – tandis que l’Irak, en
état de siège et sur le point d’être anéanti, était considéré comme
l’agresseur.
La population syrienne se trouve à l’heure actuelle dans la même
position que l’Irak à l’époque, sauf que la Turquie est cette fois une
nation quasiment trois fois plus grande. La Syrie est isolée et ses
forces militaires sont dérisoires par rapport à celles de son voisin
turc. Ce dernier peut en outre compter sur le soutien de 27 alliés, au
nombre desquels la plupart des plus grandes puissances militaires du
monde. Les États-Unis disposent déjà d’environ 90 bombes nucléaires
tactiques B61 stationnées sur la base aérienne d’Incirlik, à 35 miles
des côtes méditerranéennes de Turquie.
C’est en outre au moins la seconde fois depuis avril dernier que le
Premier Ministre turc Recep Tayyip Erdogan demande l’activation de la
clause d’assistance militaire mutuelle de l’article 5 – qui implique le
déclenchement d’une guerre. La première ayant eu lieu plus de deux mois
avant la destruction du chasseur bombardier turc survenue la semaine
dernière.
Le 25 juin, le vice Premier ministre turc Bulent Arinc avait annoncé
que sa nation « avait déposé auprès de l’OTAN toutes les demandes
requises concernant l’Article 4 et l’Article 5 ».
Selon l’agence de presse Associated Press, il aurait ajouté :
« Il est important de comprendre que, dans le cadre légal, nous userons
bien évidemment jusqu’à la fin, de tous les droits que nous garantit le
droit international. Cela inclut notamment l’auto-défense. Cela inclut
aussi toutes les formes possibles de représailles. Cela inclut toutes
les sanctions applicables à l’État agresseur en vertu du droit
international. La Turquie ne négligera absolument rien en la
matière... ».
Les États-Unis et l’OTAN avaient impérativement besoin d’un prétexte
pour attaquer la Syrie, et la Turquie, seul membre de l’OTAN frontalier
de la Syrie, a toujours été le prétexte idéal auquel recourir pour
attaquer une nation arabe.
L’incident de vendredi dernier et la réunion de l’Otan qui y a fait
suite, marquent le début du quatrième acte d’une tragédie que le reste
du monde n’a que trop peu de temps pour empêcher.
Traduit de l’anglais par Dominique Arias.
Auteur de nombreux articles très documentés sur les activités
militaires des Grandes Puissances occidentales à travers le monde, Rick
Rozoff est chercheur et activiste, créateur de l’organisation Stop NATO.
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