Concernant les moeurs et plus généralement les opinion ou croyances, je vois deux cas à distinguer quand s’ouvre la question du jugement.
Il y a ceux qui ceci ou cela sans savoir qu’ils ceci ou cela. C’est par exemple le cas lorsque des Indigènes d’un bled du bout du Monde se retrouvent jugés par des explorateurs étrangers.
Ce que ces Indigènes feraient de bizarre ou choquant aux yeux des explorateurs peut évidemment être dénoncé par ces derniers
« Oh la la mais cépabien ce que vous faites là. Arrêtez ça toute de suite ! »
Mais ces vertueux ne peuvent tout de même pas, en principe dialectique, considérer ces indigènes bizarres comme des tordus.
Il est hélas très souvent arrivé que les explorateurs manquassent de raison et versassent dans une politique de punition immédiate ou suite à un refus des sauvages de changer leurs manières. Mais dans ces cas là, il y a toujours eu des gens du groupe des explorateurs pour dire que c’était de l’autoritarisme égocentrique.
Et il y a l’autre sorte de gens qui font des trucs hors-clous dans leur propre groupe en sachant donc très bien qu’ils sont transgresseurs. Leurs cas doit être traité différemment.
Quand on dit, entre soi, dans un groupe donné, qu’on est amoureux d’un objet dont on ne devrait pas être amoureux, on sait très bien qu’on est en dehors des clous et on n’a pas à être surpris de se le voir reprocher. Je ne dis absolument rien quant à ce qu’il faut en dire sur le plan manichéen. Mais Oscar Wilde savait très bien son a-normalité. Et un aristo qui n’aurait pas porté de perruque à la cour de Louis XIV aurait très bien su son a-normalité même s’il savait aussi que la plupart des hommes du Monde n’en portaient pas. OW savait donc qu’il était a-moral sur certains plans ou sujets par rapport à ceux de son groupe.
C’est donc un faux procès aux normaux qui est fait par les a-normaux quand ces derniers invoquent une moralité universelle. Chacun, normaux et a-normaux sait très bien qu’il n’existe pas de moralité universelle ou absolue. Chacun sait que la moralité n’est que culturelle donc relative à un groupe et que c’est même ce qui structure les groupes ou sociétés. Pierre Abélard savait qu’il transgressait (sur plusieurs plans). Jacques de Molay aussi.
Pourquoi persiste-t-on dans la transgression dont on est conscient ? Trop vaste sujet pour être traité ici.
Les mutins de la Bounty étaient tombés sur des Tahitiens ouverts à l’exogamie ce qui était plutôt rare car beaucoup d’autres groupes, même de gens très libres entre eux, interdisaient et interdisent toujours l’exogamie. Sans cela, il n’y aurait pas 7000 ethnies dans le Monde. Quasiment tous les groupes ont donc une morale et ils sont tous sévères envers les transgresseurs. La seule chose qui distingue les groupes sauvages du nôtre c’est que les plus sauvages iraient à tuer le transgresseur simplement ou parfois à le chasser au loin. Alors que par ici, on irait plutôt à lui faire subir les pires tortures (dont la prison n’est qu’une de ses formes les plus hypocrites et achevées)
Je crois possible que notre prodigieuse intelligence à infliger les pires tourments à nos propres transgresseurs provient en droite ligne de notre tout aussi prodigieuse intelligence du discours.
Il me semble que plus nous nous voyons développer notre subtilité sophiste, plus nous en arrivons, si nous nous sentons débordés par un discours, à envisager les violences physiques très intelligentes par dépit d’impuissance ou par somatisation hystérique.
Quand je regarde ce qu’écrivaient les pro et les anti pendant l’Inquisition, quand je vois l’incroyable intelligence des rhétoriques, quand je vois leur perversité littéraire, quand je vois que Voltaire n’a pas pu écraser Rousseau avec les mots qu’ils savait pourtant très bien manière et qu’il l’a torturé par subtile procuration, je comprends que les plus autoritaristes et abusifs d’entre nous en soient venus à envisager de faire subir à leur rival les tortures les plus sadiques (au sens nouveau).
On pourrait m’objecter que plein de nos gens très simples, pourtant incapables de déployer des astuces de langage susceptibles de les sauver du marteau des juges ont tout de même été très subtilement torturés alors qu’il aurait suffit de les décapiter en une fraction de seconde. Ce serait oublier le rôle des avocats, officiels ou non, qui ne manquaient jamais de protester en déployant alors un discours très intelligent (que le malheureux simplet ainsi défendu ne pouvait même pas piger).
Exemple de subtilité : Dire « Le marteau des sorcières » quand il s’agit en vérité du marteau des Inquisiteurs.
Qu’ils s’en prissent directement à des simplets ou à des élites, nos juges-bourreaux se retrouvaient finalement toujours face à des as de la rhétorique. Il leur fallait donc déployer des trésors de sophistique pour parvenir à réaliser leurs fantasmes sadiques.
Il y a donc constamment eu un lien étroit entre le développement de la torture et celui du discours. L’évêque Cauchon, as du discours accusateur et bourreau de Jeanne, ayant été recteur de la Sorbonne où se forment toujours les avocats et autres maîtres de la rhétorique.
Wilde avait participé au développement de notre intelligence discursive et il a été un des perdants de cette bagarre entre maîtres penseurs. Dans son cas, le peuple n’ayant en rien été concerné, il ne l’a jamais stigmatisé et sa tombe est respectée.
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Le cas DSK s’inscrit dans une lutte secondaire par rapport à la première exposée. Dans son cas, ce n’est pas un juge-bourreau ou un notable qui cherche à démontrer son intelligence en piégeant un homme célèbre et intelligent. DSK n’est pas attaqué par un Voltaire ou un Torquemada. On n’est pas dans une lutte au sommet même si ses déboires arrangent d’autres égocentriques très malins.
Ici, fait rare, ce sont des gens simples, peu rompus à la rhétorique de haut vol, qui l’attaquent au motif qu’il les aurait déshonorés.
Le Juge a fait son boulot normalement sur le fond, nul n’a vu se déployer de magnifiques catilinaires et il n’y a encore aucune torture d’infligée par un bourreau installé dans du velours. Mais le peuple, qui a désormais davantage de moyens de se faire entendre, se venge de la tyrannie qu’il subit constamment sur tous les plans de la part de ceux qui profitent de leur intelligence pour l’abuser.
Ca fait longtemps que les peuples préfèrent les chefs intelligents aux chefs musclés. Les Français apprécient donc d’avoir des chefs intelligents parce qu’ils croient que cette intelligence peut les protéger, par exemple dans les débats internationaux, contre des intelligences rivales ou prédatrices mais aussi pour leur trouver des solutions aux grands problèmes.
Mais en même temps qu’ils votent toujours pour celui qui leur semble le plus intelligent, les gens craignent aussi que cette intelligence portée au pouvoir se retourne contre eux. Ils surveillent donc ces chefs censés les protéger et se sentent en danger quand ils en voient un lancer à un quidam « Casse-toi pov con va ! ».
DSK a parfaitement illustré le cas d’un chef intelligent ayant l’air de servir le peuple jusqu’à la veille de son arrestation. Mais depuis et compte tenu de ce qui a été découvert, le peuple a l’impression que ce chef à surtout utilisé son intelligence pour abuser des petits de manière prédatrice. Les gens comprennent que s’ils étaient tombés face à lui, ils auraient été utilisés par lui puis oubliés dans le plus grand déni. Ce qui lui vaut la vindicte populaire.
Dans la Grèce antique puis à Rome et aussi en Gaulle romanisée, régnait l’oligarchie. Les oligarques pouvaient augmenter individuellement leur gloire en offrant des choses matérielles à l’élite, un temple, un aqueduc, une fontaine. Cette pratique évergétique valait donc entre élus et le bas peuple en profitait parfois mais toujours très passivement.
Sous la monarchie, certains sages disaient au roi qu’il avait intérêt et devoir de considérer la bonne satisfaction populaire. Les aristocraties, tel Voltaire, voulant s’accaparer tous les ortolans, ne jamais payer d’impôts et ne jamais travailler, ils obligeaient le roi à ne servir qu’eux.
Mais en démocratie, un chef politique ne doit les honneurs qu’à son peuple et se retrouve obligé de lui offrir des bienfaits en retour.
Plus des rhétoriques se déploieront pour protéger DSK, plus les démocrates seront enragés contre lui car ils tiennent à exercer leur pouvoir discrétionnaire et s’ils se rejoignent volontiers autour de paroles d’espérance, ils ne s’en nourrissent pas.
Il ne faut pas croire les Français pendus aux vertus. Si DSK leur avait livré des bienfaits, ils lui en sauraient gré et ne se seraient pas sentis complètement dupés à la suite de ces révélations. Dans ce contexte de fond, les personnes qui ont été abusées par des anguilles oublieuses ou dénégatrices voient en lui l’exutoire parfait de leur vengeance.
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