Il faut tout de même convenir d’un fait.
Dans toute société très complexe, il existe des gens qui estiment ne pas être de taille à discuter, à pratiquer la dialectique face à son élite.
Or les Juges font clairement partie de l’élite.
Ces gens qui ne se sentent pas de taille à argumenter de raison ressentent un grand besoin de compenser leur impuissance permanente par la possibilité d’exercer un contre pouvoir en ambiance sauvage, débridée. Ils créent donc des ambiances survoltées propices aux lynchages.
Il n’est pas illogique que face à une situation sociétale où des élites peuvent, dans la plus grande sérénité, condamner à mort ou à la prison des individus n’ayant pas su ou pas pu faire valoir leur point de vue soit parce qu’il était trop frustre soit parce que leur langue est trop rustique, il y ait des gens se sentant constamment menacés par cette élite et cherchant alors à créer des ambiances hystériques.
Que ces hystéries provoquées par les impuissants avortent le plus souvent, que leurs initiateurs soient régulièrement condamnés (Cf l’affaire Hautefaye), ne doit pas manquer de nous interroger sur la frustration et la peur que ressentent ceux d’entre nous qui se considèrent pré-condamnés voire pré-pendus par l’élite parce qu’ils n’ont pas son éloquence.
Je trouve l’éloquence, la rhétorique, les figures de style extrêmement dangereuses car elles servent trop la Justice ou parce que la Justice sempble trop s’en servir (qu’est un avocat sinon quelqu’un qui sait bien parler ?). Cette prévalence de la connaissance dans les cours de justice angoisse ceux qui sont conscients de ne pas la posséder et il n’est pas judicieux d’angoisser les gens.
Le petit peuple existe. C’est celui qui ne comprend rien au jargon judiciaire et pour qui l’usufruit renvoit d’abord au jus de fruit.
Ce petit peuple souffre énormément de pressentir qu’en cas de mise en examen, il sera écrabouillé. Pour les gens de ce petit peuple, le seul fait d’être examiné à la loupe, d’être mis en examen, signifie déjà qu’ils seront condamnés et au plus lourd.
Il y a pourtant beaucoup d’exemples de jugements faits par notre élite où l’on voit une personne très simple, parfois sans bras ni jambes, obtenir gain de cause contre des géants.
Notre Justice sait entendre les gens simples et elle le prouve tous les jours. Mais les gens à la langue frustre continuent à avoir très peur d’elle, ne peuvent donc pas organiser leur manière de vivre ou éthique autour de la Justice dialectique et lui préfèrent nettement la justice égocentrique, sans débat.
Je vois les effets pervers de cet élitisme ne serait-ce que sur Wikipédia. Alors que tout le monde peut y participer à la définition des choses, seuls les gens se considérant de l’élite y participent. Je connais beaucoup de personnes qui la consultent mais très peu qui osent y participer car cela implique de devoir débattre avec des savants. Du coup, nous perdons beaucoup de connaissances car les gens les plus simples détiennent des savoirs inconnus des savants.
En dépit de la scolarisation obligatoire pour tous, le principe très autorisé et très actif de l’élitisme fait qu’il y a toujours des gens plus savants et plus dialecticiens que d’autres. Il y a toujours deux classes (aux frontières constitutionnellement mal définies et perméables) et chacun de nous se retrouve pris entre deux menaces constantes : celle de la justice des sièges et celle de la justice de la rue.
Notre société actuelle, sous cette constitution, résulte pour une grande part des effets brutaux d’une justice de rue. Nous ne devons jamais oublier cet argument. Mais nous devons aussi considérer que dès le 15 juillet 1789, pour mettre fin à la situation extrêmement dangereuse pour tous, même pour les gueux, il a fallu à toute vitesse et tant bien que mal, réinstaller une justice de siège.
La justice de rue a donc son utilité et ses grandes heures.
Mais pour réguler nos rapports en ambiance normale, la justice du siège doit prévaloir et la justice de rue doit être unanimement refusée. Plus des gens réclament de la justice de rue en ambiance normale, plus ils offrent d’arguments à ceux qui préfèrent la loi de la jungle et plus nous risquons tous d’être tués pour un regard, une cigarette, un mot ou un billet de 10.
La rue sans feux rouges ni stop ni police, c’est la jungle.