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Commentaire de Renaud Bouchard

sur Rafle du Vél'd'Hiv, Hollande, la France et nous


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Renaud Bouchard Renaud Bouchard 23 juillet 2012 16:14


Une analyse particulièrement bienvenue (source http://www.bertrand-renouvin.fr/)

Voici peu, je souhaitais que François Hollande nous permette de retrouver le sens de notre aventure collective et j’évoquais ceux qui, comme moi, ont été blessés par la volonté de culpabiliser la France (1). Le 22 juillet, lors de la commémoration de la rafle du Vel d’Hiv, le président de la République a ravivé la blessure et contribué à brouiller le regard des Français sur l’Occupation. Ses paroles ont été reprises en boucle toute la journée sur les chaînes d’information : la terrible rafle ordonnée par les Allemands (2) aurait été « un crime commis en France, par la France ». Salué par François Hollande pour sa « lucidité » et son « courage », Jacques Chirac avait déclaré en 1995 que « la France » avait commis « l’irréparable » en juillet 1942…

Il faudrait donc faire à nouveau repentance au nom d’une « vérité » qui sera enseignée dans les écoles. Et il faudrait de surcroît se taire parce que François Hollande a pris soin d’équilibrer la violence de son propos par deux phrases apaisantes : le crime commis par la France « fut aussi un crime contre la France, une trahison de ses valeurs. Ces mêmes valeurs que la Résistance, la France libre, les Justes surent incarner dans l’honneur ». Jacques Chirac avait utilisé le même procédé : la culpabilité de la France compensée par un hommage aux patriotes qui se faisaient une certaine idée de la France. Après le jet d’acide, la pommade…

L’habileté discursive est répugnante parce que c’est l’accusation portée contre la France en 1995 et en 2012 qui risque de rester dans les mémoires. Elle est également écœurante parce que François Hollande et Jacques Chirac se contrefichent de l’histoire de la France. Ils adhèrent tous deux à la Pensée correcte sur l’Occupation. Inaugurée par les commentaires sur « Le chagrin et la pitié » (3), elle leur permet de satisfaire les adeptes des thèses post-nationales et des associations de victimes - réduites à l’état de clientèles.

Il est donc inutile de chercher à convaincre l’actuel président de la République. Manifestement, il fait fabriquer ses récits historiques comme les motions de synthèse des congrès socialistes et il demandera qu’on lui écrive un tout autre discours si ses conseillers en communication constatent que la Pensée correcte a perdu son influence. Cela ne signifie pas qu’il faille garder le silence, au nom d’une compassion de façade pour les victimes et les enfants de victimes des hitlériens et de leurs complices vichyssois. Ils peuvent et doivent comprendre, s’ils n’ont pas encore cette conviction, que le général de Gaulle et François Mitterrand eurent raison de refuser de reconnaître la prétendue culpabilité de la France. A l’intention des procureurs et des scribes officiels, je veux souligner une fois encore que la thèse de la France coupable ne tient pas debout.

Si le crime du Vel d’Hiv a été commis par la France, cela signifie que « Vichy est la France ». François Hollande reprend donc le principal mot d’ordre des pétainistes et récuse sans le dire le général de Gaulle qui avait immédiatement entrepris une lutte politique contre le prétendu « gouvernement de Vichy », dénoncé comme pouvoir de fait. Si Vichy parlait et agissait au nom de la France, qu’est-ce que la France libre par ailleurs saluée par le président de la République ? Veut-on établir une différence, et de quelle nature, entre les défenseurs des valeurs de la France et les hommes de Vichy qui auraient incarné la réalité française, le « pays réel » comme on disait alors ? Le « pays réel », en l’occurrence, était un territoire occupé par une puissance étrangère, dont Vichy avait accepté le démembrement et qu’il contrôlait par la violence. Les hommes de Londres incarnent la France dès juin 1940 parce que la France libre se bat pour l’indépendance et l’unité de la nation : la légitimité du général de Gaulle est d’abord fonction de cet objectif militaire et surtout politique par rapport auquel le maréchal Pétain, qui accepte l’armistice et s’engage dans la Collaboration, se trouve immédiatement disqualifié.

L’illégitimité du « chef de l’Etat français » et de son gouvernement tient au fait que la France ne peut être séparée du droit qui l’a constituée dès l’ancienne monarchie (4). Autrement dit : la France, c’est de l’histoire et du droit. Vichy était hors de l’histoire nationale qui est l’histoire d’une nation qui affirme son indépendance contre toutes les puissances extérieures. Et Vichy avait détruit tous les principes républicains : Déclaration de 1789, principes généraux du droit, libertés publiques : ce qui se désigne comme « Etat français » n’a pas de Constitution, ne reconnaît pas la souveraineté du peuple, ni le vote démocratique de la loi « expression de la volonté générale », ni le principe d’égalité puisqu’une discrimination raciale est organisée, ni le principe de liberté puisque les gaullistes, les communistes, les francs-maçons et l’ensemble des dissidents sont pourchassés.

Le rétablissement de la légalité républicaine en 1944 et les condamnations que les tribunaux infligèrent aux hommes de Vichy prouvent que « l’Etat français » fut un néant juridique et la forme concrète prise par la trahison au profit de l’Allemagne.

J’aimerais conclure que j’attends une réponse d’un conseiller du président de la République mais je sais qu’elle ne viendra pas. A quoi bon l’Histoire quand on peut voguer au fil des modes ? En ce cas, qu’on ne nous parle plus de courage. Ni de vérité.

***

(1) Cf. ma chronique 54 sur ce blog.

(2) François Hollande souligne dans son discours que « pas un seul soldat allemand ne fut mobilisé ». Un lecteur de Libération cite en réplique une dépêche qui établit que la rafle fut exécutée sur injonction allemande :

Urgent ! Présenter immédiatement !
Paris, le 10.7.1942

A l’Office Central de Sécurité du Reich IVB 4
Berlin

Objet : Évacuation des Juifs de France.

Référence : Entretien entre le S.S.-Obersturmbannführer Eichmann
et le S.S.-Hauptsturmführer Dannecker le 1.7.1942 ;
mon télex du 6.7.1942 IV J/SA 225 a.

L’arrestation des Juifs apatrides à Paris sera opérée par la police française dans la période du 16 juillet au 18 juillet 1942. On peut s’attendre à ce qu’il reste environ 4 000 enfants juifs après les arrestations.
Dans un premier temps c’est l’Assistance publique française qui les prendra en charge. Comme il n’est pas souhaitable qu’une promiscuité entre ces enfants juifs et des enfants non juifs se prolonge et que l’U.G.I.F. pourra placer au maximum 400 enfants dans ses propres centres, je sollicite une décision urgente (réponse par télex) pour savoir si par exemple à partir du 10e convoi les enfants d’apatride s à évacuer pourront être évacués eux aussi.
En même temps, je demande une décision la plus rapide possible sur la question évoquée dans mon télex du 6 juillet 1942.
Signé : DANNECKER, S.S. – Hauptsturmführer

(3) Cf. ma présentation des ouvrages de Pierre Laborie : Le chagrin et le venin, La France sous l’Occupation, mémoire et idées reçues, Bayard, 2011 et de Julien Blanc : Au commencement de la Résistance, Du côté du musée de l’Homme – 1940-1941, Seuil, 2010.

(4) Cf. Blandine Kriegel : Philosophie de la République, Plon, 1998.

 Tags : France libreFrançois Hollandegénéral de GaullehistoireJacques Chirac,légitimiténationOccupationpouvoir de faitrafle du Vel d’HivRépubliqueRésistance,Vichy

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