à l’auteur,
Un grand merci pour votre article, qui vient de me guérir instantanément d’une petite pathologie mentale dont je souffrais depuis plusieurs années. Il y a une demi-heure, je ne savais rien du tout de Raoul Follereau, bien que j’en connusse tout de même et le nom et la tête.
La première fois que j’ai rencontré ce personnage, c’était il y a bien longtemps sur les grandes affiches des stations du métro. Une espèce de gros lard portant chapeau mou et fumant cigare prétendait m’attendrir sur le sort des lépreux. Le contraste entre la dégaine du bonhomme et la misére, qu’on imagine très bien, des malheureux lépreux, me paraissait choquante. Churchill avec son cigare m’a toujours paru sympathique, mais ce type-là ressemblait trop à un Tartuffe, l’image me donnait une vague nausée. La campagne d’affichage a pris fin et j’ai cessé d’y penser.
Mais il se trouve que depuis quinze ans, je me promène presque tous les jours sur les bords du canal Saint-Martin. J’ai donc dû passer des milliers de fois non loin de la statue du bonhomme sur la place qui porte son nom, laquelle est un peu en retrait du quai de Valmy, et sans jamais la remarquer. Mais depuis quelques années que je sais qu’elle est là, presque toujours, je suis obligé de changer de quai si je ne veux pas éprouver une sorte de malaise. Il n’y a pas quinze jours, je me faisais cette réflexion : ton comportement est complètement irrationnel, quelle raisons as-tu de détester ce bonhomme simplement parce qu’il t’a semblé une fois qu’il avait une sale gueule ? Tout te dit au contraire que c’était un philanthrope, puisqu’il était le « bienfaiteur des lépreux ». C’est même écrit sur le socle. Tu es donc un parfait salaud, me disais-je. Evidemment, quand j’ai dépassé de cinquante mètres le sinistre endroit, le malaise disparaît et je ne songe pas, en rentrant, à consulter wikipedia, ce que je viens de faire.
Me voici donc guéri soudainement, grâce à votre article, d’une pathologie phobique et d’une mauvaise conscience qui ont bien dû gâcher en tout deux ou trois heures de mon existence ! Merci encore.