Raoul Follereau : vers une responsabilité morale ?
Les nombreux articles publiés ces derniers jours abordent les responsabilités directes des organisateurs de la rafle dite du Vel d'Hiv de juillet 1942 mais un point nous semble avoir été particulièrement négligé : c'est celui de la responsabilité de tous ces pseudos intellectuels qui, des années durant, ont préparé les âmes françaises à tolérer l'intolérable.
Il y a soixante-dix ans, les 16 et 17 juillet 1942, la police française organisait en zone occupée une rafle de grande envergure visant les juifs étrangers. Ainsi, 13.152 hommes, femmes et enfants furent parqués plusieurs jours au Vélodrome d'Hiver dans l’actuel XVème arrondissement de Paris avant d'être déportés, en plusieurs convois et après que les enfants aient été séparés de leurs parents, à Auschwitz. Moins de cent adultes en seraient revenus.
L'unique raison : ils étaient juifs ou supposés l'être du fait de leur ascendance et étrangers.
Nous ne polémiquerons pas sur le fait de savoir si ce fut la France qui livra ces juifs aux bourreaux nazis. Nous ne polémiquerons pas non plus sur le fait de savoir si le régime de Vichy préféra, comme certains le soutiennent, sacrifier les juifs étrangers sous le prétexte de mieux protéger les juifs français.
Néanmoins, il nous semble intéressant de rappeler que cette tragédie s'inscrivit dans une logique idéologique qui avait débuté bien avant le 10 juillet 1940, date de l'avènement du régime de Vichy, et bien avant l’occupation de la France par les armées allemandes. Pourtant, le principal moyen de défense de certains nostalgiques du Maréchal consiste à affirmer que le régime de Vichy, Pétain en tête et ses affidés plus ou moins gradés, de Pierre Laval à René Bousquet, n'avaient pas le choix. « Ce n’est pas le gouvernement de Vichy qui a déporté les Juifs, ce sont les Allemands qui, par la défaite de mai-juin 1940, sont les maîtres absolus de la France » affirme André Récipon, président-fondateur de la Fondation Raoul Follereau dans un livre (André Récipon, Lettre ouverte à Mathilde, p. 118) où il défend le maréchal Pétain non sans avoir affirmé précédemment que la Révolution Nationale constitua un « sursaut d’énergie [qui fit] la grandeur de la France » (André Récipon, Lettre ouverte à Hombeline, p. 132).
Justement, puisque le président d’honneur actuel de la Fondation Raoul Follereau s’en mêle, il convient de rappeler que des gens comme Raoul Follereau n'avaient pas le couteau des armées d'occupation sous la gorge lorsque son journal L’Œuvre Latine traitait les juifs étrangers de France de « pourriture », d’« armée du crime », ou de « métèques » dont il fallait que la France se « débarrasse » (ici, en 1934). De même, c’était librement et sans contrainte qu’il dénonçait lors de ses conférences sur le « vrai visage de la France » ces « oiseaux de proie venus s’abattre sur la France, (…) ces financiers internationaux qui sont de partout et de nulle part et dont le porte-monnaie remplace le cœur » visant explicitement le fantasme des juifs capitalistes, banquiers et apatrides (par exemple, en décembre 1936 à Tiaret, voir ici).
Il faut le dire, c’est de son plein gré et non soumis à une force étrangère que Raoul Follereau consacra dès 1927, derrière un apparent prosélytisme national-catholique, toute son énergie et tout son talent d’orateur à la défense d'une France fascisoïde face aux agents de l'Anti-France chers à Charles Maurras : les juifs, les étrangers, les socialistes, les francs-maçons, etc. Et pendant près de vingt ans, Raoul Follereau multiplia les livres et les conférences dans lesquelles il diffusait, de façon plus ou moins implicite et voilée (« Lénine, ce Moïse rouge », « je n’ai rien contre cet étranger, sinon qu’il est étranger et dangereux en tant que tel »), la théorie du complot judéo-bolchevico-maçonnique directement hérité des Protocoles des Sages de Sion, le célèbre pamphlet antisémite qui inspira Adolf Hitler dès la rédaction de Mein Kampf. « Tout ceci fait partie d’un plan absolument officiel, préparé de longue date (…). La rouge bande de Moscou n’a fait que le prendre à son compte. C’est chez lui, d’abord, qu’il faut l’abattre » reprenait Raoul Follereau en 1935 faisant directement allusion à ces Protocoles selon lesquels juifs, communistes (auxquels peuvent être assimilés les socialistes) et les francs-maçons se seraient coalisés pour détruire la civilisation occidentale. « Il faut tuer l’Idée Maudite, ligoter cette philosophie dégoûtante de sang et l’étouffer dans son propre carnage » et « écraser du talon les vipères maudites » écrivait en 1935 et 1939 celui dont la Fondation Raoul Follereau dira plus tard que toute sa vie ne fut qu’un seul et unique acte d’amour.
Il n'était pas seul à s’être investi dans cette « croisade » pour « défendre la civilisation chrétienne contre tous les paganismes et toutes les barbaries ». D'autres personnages de triste réputation l'accompagnèrent sur ces routes de la déchéance morale dont les figures de proue furent Maurras, Mussolini ou Pétain : Henry Coston, Louis Darquier de Pellepoix, Jacques Ditte, Georges Oltramare, etc. Citons, pour l’exemple, quelques passages du numéro de La Libre Parole d'Henry Coston dans lequel Raoul Follereau apparaît en 1936 :
« L’invasion juive-allemande commence. (…) Demain, alors que nos nationaux sont écrasés d’impôts et chôment nos parlementaires voteront des crédits pour aider les ‘pauvres émigrés israélites, victimes de la barbarie, etc.’ Et ce seront les Français qui paieront. »
« Avant de voler au secours des Juifs d’Allemagne, il serait nécessaire que cette opinion dite publique procédât à une enquête sur les agissements de la juiverie mondiale, se rendit compte de son travail séculaire de destructions des États, de désagrégation des peuples, de ses crimes envers l’humanité et de ses plans de domination mondiale. L’exemple sanglant de la Russie lui trace son devoir ! »
« Actuellement, les Français sont colonisés paci !quement dans tous les domaines. L’économie, les rouages essentiels de l’État, la presse, les professions libérales, en un mot tous les secteurs importants de l’activité nationale sont envahis par les Juifs. Avec ténacité et patience, le Juif s’installe partout. »
« Le courage consiste, non à se faire tuer dans un acte de sublime folie, mais à vivre, mais à lutter sauvagement, cyniquement, par tous les moyens, contre une secte infâme et contre un race maudite qui voudrait trouver en la Chrétienté, en la France surtout, !lle aînée de l’Église, un nouveau Christ à crucifier. »
« Nous avons dit et nous répétons : que les Juifs appartiennent à une race dfférente de la nôtre et qu’ils ne sont pas français ; qu’ils poursuivent depuis des siècles le dessein de courber le monde sous leur joug ; que, pour ce faire, ils emploient tous les moyens propres à diviser et à démoraliser les autres peuples ; que leur principale arme est la société secrète dont la Franc-Maçonnerie est le prototype (...). »
Mais, contrairement à Raoul Follereau, ces hommes n'eurent pas l’opportunité de faire oublier, après guerre, leurs engagements politiques grâce à une habile imposture historique. « Les lépreux ? J'ai passé toute ma vie à les aimer » aimait asséner Raoul Follereau à ses auditeurs à partir des années 1950, tirant ainsi un voile mensonger mais bien commode sur ses engagements antisémites de l'entre-deux-guerres et faisant croire ainsi à une vie toute entièrement dédiée à une noble cause.
En conclusion, si la rafle du Vel d'Hiv fut un drame immonde, il ne faudrait pas en cantonner la responsabilité aux hommes qui étaient, à l'époque, aux commandes de l'État français. Car les actes antisémites du régime du Vichy s'inscrivent dans la continuité d’une idéologie qui l’avait précédé : en cela, la politique antisémite du régime de Vichy est la concrétisation pratique d'une haine antisémite et xénophobe, véritable endoctrinement lentement distillé dans les âmes françaises tout au long de la première moitié du XXème siècle qui n’attendait que la première « divine surprise » venue pour prendre chair et se concrétiser dans les faits. Ces intellectuels que furent Drumont, Maurras, Coston et, dans une moindre envergure, Raoul Follereau, prirent leur part dans ce massacre, non pas à l'aide d’armes conventionnelles ou de Zyklon B, mais par leur plume et leur capacité à soulever les masses autour de leurs idées. D'une certaine façon, ce sont eux qui posèrent les traverses sur lesquels roulèrent les trains de la mort. Leur responsabilité dans ce crime contre l’humanité, même si elle n'est pas constituée au plan strictement pénal, existe au moins d'un point de vue moral car il existe un lien indubitable entre ceux qui évoquèrent la nécessité d’un massacre et ceux qui le réalisèrent, quand bien même les premiers se seraient cantonnés à des incantations ou à des figures de rhétorique.
À l’heure où la Fondation Raoul Follereau prétend solliciter la canonisation de son fondateur, il nous semble important que ces éléments ne soient plus davantage occultés.
Romain Gallaud
http://follereau-entre-ombre-et-lumiere.over-blog.com/
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