(Suite)
De l’Égalité
« L’envie, principe de la Révolution française, a pris le masque d’une égalité dérisoire ; elle promène son insultant niveau sur toutes les têtes, pour détruire ces innocentes supériorités que les distinctions sociales établissent. » Talleyrand
« Il faut reconnaître que l’égalité, qui introduit de grands biens dans le monde, suggère cependant aux hommes ... des instincts cependant fort dangereux : elle tend à les isoler les uns des autres, pour porter chacun d’entre eux à ne s’occuper que de lui seul.
Elle ouvre démesurément leur âme à l’amour des jouissances matérielles » Alexis de Tocqueville
“La liberté et la fraternité sont des mots, tandis que l’égalité est une chose” (Henri Barbusse)
Peut-être, s’il avait été plus pragmatique, Barbusse eût-il choisi d’évoquer l’inégalité plutôt que l’égalité. L’inégalité est en effet incontestablement plus naturelle et largement répandue que son contraire. Les pères de notre devise nationale et républicaine ont d’ailleurs pris la précaution de préciser qu’ils parlaient d’Égalité de droit, ce qui autorise que sa traduction dans les faits soit sujette à bien des difficultés, sinon à l’inaccessible L’égalité de fait n’est pas de ce monde, dans lequel aucune chose ne ressemble à une autre ; qui refuse par nature tout nivellement. En conséquence, les plus intégristes sont contraints d’admettre, même s’ils se gardent de l’avouer, le caractère éminemment utopique de cette égalité inscrite au fronton de nos monuments.
Si bien des exemples illustrent cette illusion, auquel le législateur tente de pallier par ses textes, il peut être divertissant autant que significatif de considérer à ce titre la différence d’usage que les républicains français font du vouvoiement et du tutoiement, signe d’égalité entre tous. Ils emploient en effet le vouvoiement et le tutoiement selon des règles révélatrices d’une certaines dérive de leurs valeurs de référence. Le phénomène mérite donc une attention plus grande que celle qui lui est généralement prêtée. Selon le code français de la politesse, l’usage du vous marque indéniablement, une distance, une considération, que ne confère pas le tu. N’en découle-t-il pas que la considération accordée à autrui n’est pas la même pour tous les êtres humains ? Ceci n’induit-il pas une notion d’inégalité fondamentale, dont l’usage différencié du tu et du vous, selon la personne à laquelle ils s’adressent, est la l’affirmation ?
Une remarque du même ordre s’applique d’ailleurs à l’usage du prénom. Alors que d’autres déclinent leur prénom pour un emploi immédiat par le premier interlocuteur venu, et n’hésitent pas à agir réciproquement, le Français en est loin. Soit par une sorte de réserve, soit par manque de simplicité, il préfère nommer l’autre, comme lui-même, en faisant précéder son nom propre du titre de Madame, Mademoiselle ou Monsieur, marquant de la sorte une distance aussi peu égalitaire qu’archaïque. Il est vrai que d’autres langues européennes, comme l’espagnol ou l’italien, par exemple, font mieux encore, qui usent de titres plus ronflants et distinctifs les uns que les autres et vont même jusqu’à user de la troisième personne pour s’adresser à autrui. Il est étrange que la situation ne soit pas inverse dans la langue de ceux qui se prétendent les promoteurs – quand leur chauvinisme légendaire ne les conduit pas à se prendre pour ses inventeurs – de l’égalité et de la fraternité. Il faut reconnaître à cet égard que nos politiciens de gauche, auxquels ceux de droite ont rapidement emboîté le pas, ont grandement innové dans les années 60 avec l’emploi du prénom pour communiquer entre eux au vu et au sus de tous, ce qui est peut-être l’avancée sociale la plus importante qu’aient pratiquée depuis longtemps les uns et les autres ; renouant en cela avec les efforts des révolutionnaires de 89 ayant vainement tenté d’instituer l’usage du ci-devant puis du citoyen, ainsi que de la gauche prolétarienne ayant tenté du camarade.
Quoi qu’il en soit, l’emploi du tu, après ces tentatives d’imprégnation des rapports entre les hommes d’une marque se voulant d’égalité et de fraternité n’a-t-elle pas atteint des résultats diamétralement opposés ? en d’autres termes, le tu, n’implique-t’il pas, en raison de son caractère familier, une sorte de banalisation, de nivellement humiliant, de ceux à qui il est réservé, dès lors que l’emploi du vous est permis et même recommandé pour marquer une reconnaissance assortie d’un supplément de respect face à d’autres ? Ceci peut sembler d’autant plus réel que l’emploi du vous ne s’avère aucunement opposé aux principes d’égalité, de fraternité ou de simple proximité, tout en valorisant les individus les uns par rapport aux autres ; ce faisant, tout un chacun, en toute circonstance, se voit témoigner non plus de la distance, mais de la déférence : le respect, que marque le vouvoiement. Il en est comme si l’usage du vous rehaussait le statut de chacun.
De la Fraternité
Des trois termes de notre devise nationale, la Fraternité est peut-être le plus précaire. En effet, si la Liberté et l’égalité – devant la loi – se peuvent décréter, nul ne peut contraindre qui que ce soit à une fraternité à laquelle celui ou ceux à qui elle s’adresse peuvent au demeurant être indifférents.
Paradoxalement, la fraternité est un sentiment qui ne peut être que personnel. Passe encore pour la solidarité, pour l’exercice de laquelle la collectivité peut se substituer aux individus pour en faire preuve en leur nom et à leurs frais.
Proclamer valeur républicaine et universelle la fraternité fut et demeure un vœu tellement peu laïque que l’esprit des lumières eut dû en être alerté. Quoi de plus contraire en effet à la raison pure qu’un sentiment directement inspiré de l’amour du prochain, valeur évangélique entre toutes.
La diversité des individus engagés et dès lors supposés faire preuve de fraternité et l’obligation d’égoïsme que la nature fait à chacun de donner priorité à ses propres intérêts sur ceux de son prochain dictent une tout autre loi ; les plus philanthropes d’entre nous doivent en convenir, lorsqu’ils ont à lutter contre.
Quoi qu’il en soit, le fait qu’elle ne puisse être que consentie à titre strictement personnel distingue, voire isole, en quelque sorte la Fraternité des deux autres valeurs proclamées. Éminemment individualiste, elle peut être refusée par certains sans ôter quoique ce soit à celle pratiquée par d’autres – et vice versa – et peut-être est-ce pour cette raison que le principe de solidarité tend à se substituer à une fraternité qui est tout autre chose. Curieux d’ailleurs, que la question soit aussi discrètement traitée dans les sphères intellectuelles.
Il en est tout autrement de la Liberté et de l’Égalité. Le fait qu’un seul membre de la communauté des hommes apparaisse aux yeux de leurs défenseurs comme privé de la moindre partie de ce qu’elles représentent, suffit pour que l’attrait universel de ces deux valeurs se rappelle à leur vigilance.
28/05 22:26 - Éric Guéguen
Merci à vous. Ça c’est pour l’héraldique, mais dans les faits, la conciliation des (...)
28/05 09:19 - SALOMON2345
« FRATERNITÉ » Rousseau évoque une dévolution d’une partie la Liberté personnelle (sa (...)
04/10 16:34 - Éric Guéguen
04/10 16:23 - JL
Restons calme ! :-(( Il vous faut des lunettes ? J’ai écrit : « Les compétitions (...)
04/10 16:07 - Éric Guéguen
Eh bien, que sont les catégories sportives si ce n’est de l’équité (...)
04/10 15:51 - JL
Et moi, soudard, j’aime bien ! :-)) Chance dans le sens, hasard. Il faut tout vous dire (...)
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