« Or, Charles Martel n’était absolument pas un croisé... »
A l’évidence criante, il faut attendre au moins le discours d’Urbain II le 27 novembre 1095, à l’issue du concile de Clermont, pour parler de « croisade », et même quelques décennies plus tard, avec le Liber ad milites Templi de laude novae militiae, de Bernard de Clairvaux ce proto-sionisme si on peut dire.
Faire de Charles Martel un croisé c’est de la rigolade, une esbroufe anachronique, une entourloupe historique.
Le Coran fut traduit pour la première fois sous l’impulsion de l’abbé de Cluny, Pierre le Vénérable (1092-1156).
A la faveur d’un voyage en Espagne entre 1141 et 1143, Pierre le Vénérable, créa avec le concours de l’archevêque Raymond de Tolède une équipe dirigée par un Anglais, Robert de Rétines, assisté d’un Dalmate nommé Herrman. ces deux clercs semblent s’être bornés à donner leur avis sur les passages d’interprétation délicate et le véritable traducteur est un certain Pierre de Tolède, probablement un converti à qui la langue latine n’était pas aussi familière que l’arabe, ce qui amena Pierre le Vénérable à lui adjoindre un coadjuteur appelé aussi Pierre, de l’ordre de Cluny, chargé de revoir le style de la traduction.
Ce travail ne précède que de quatre ans la deuxième croisade (1147-1149). Il était destiné à la propagande contre l’islam.
Au final, on ne parle vraiment de croisade que quatre siècles après Charles Martel qui devait à peu près tout ignoré de l’islam.
[...] la mémoire du groupe doit être respectée, d’un point de vue humaniste. Là, on a visé l’objectif politique précisément, unifier la nation ! même langue, même culture, même références historiques, mais pas des références historiques critiques, ce sont des références que Pierre Nora nous a bien décrites dans son gros livre en trois volumes « Les lieux de mémoire ». La bataille de Poitiers est un lieu de mémoire ... chrétienne, et ensuite un lieu de mémoire de la République. Malet_et_Isaac* a répandu cette phrase qui est incrustée dans notre tête, du moins ceux qui ont utilisé ce manuel, « Charles Martel arrête les arabes à Poitiers ». Cette phrase, cette proposition, est une proposition que j’appelle mytho-historique. Mytho-historique pour construire une mémoire chrétienne d’abord, ... le christianisme étant la religion vraie, il n’est pas question de laisser se balader dans un pays chrétien des barbares et la religion musulmane qui était une forgerie du diable, de Satan ... c’est comme ça qu’on voyait les choses, c’est de l’histoire ça !"
http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=Z8duBgzBdfw
* célèbre collection de manuels historiques français de la première moitié du XX e siècle
** Histoire de l’islam et des musulmans en France, Du Moyen Age à nos jours Mohammed Arkoun
De la bataille livrée à Poitiers en 732 par Charles Martel contre les Sarrasins aux problèmes d’intégration des immigrants du monde contemporain, des croisades médiévales à l’idéologie coloniale, du regard des peintres à celui des cinéastes, du rayonnement d’Abd el-Kader au déni de citoyenneté des harkis, les rapports entre la France et le monde musulman sont passés au crible. Et ces regards multiples, couvrant le Moyen Âge à nos jours, inventorient l’étroite interdépendance des deux cultures.